Amnistie – La demande du FPI divise politiques et acteurs des droits de l’homme

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Voici les explications de Richard Kodjo et des experts

Les conclusions des négociations entre le Gouvernement et le Front populaire ivoirien (FPI) ont été remises au Premier ministre, le lundi 4 février 2013.

Des points d’accord et de désaccord ont sanctionné ces négociations. L’un des points de désaccord reste la demande par le FPI de la prise d’une loi d’amnistie générale, gage, selon ce parti, d’une réconciliation réussie dans une Côte d’Ivoire post-crise électorale. Une demande à laquelle est opposée l’Action pour la protection des Droits humains (APDH), une organisation non gouvernementale active en Côte d’Ivoire. «L’APDH est farouchement opposée à la prise d’une loi d’amnistie pour la simple raison qu’en matière de justice transitionnelle, l’amnistie ne devrait intervenir qu’à la fin d’un processus. Quand on le dit de la sorte, on rappelle que les lois d’amnistie de 2003 et de 2007 n’ont rien réglé en Côte d’Ivoire. C’était des erreurs. En 2003, on a mal fait de prendre une loi d’amnistie, tout comme en 2007. On a cru qu’elles pouvaient concourir au dégel de la situation, mais nous avons vu où cela nous a envoyés. Il faudrait qu’on laisse le processus de réconciliation et de recherche de la vérité aller jusqu’à son terme, pour que les responsabilités soient situées. Si la CDVR (Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation) fait son travail, si les procédures judiciaires se déroulent correctement et sans parti-pris, tout le monde entier saura réellement ce qui s’est passé, parce que la Justice ne nous rassure pas, il y a une distorsion au niveau des poursuites. Il faudrait veiller à ce que les poursuites soient équilibrées et dans un camp comme dans l’autre, les responsabilités soient situées», estime Eric-Aimé Sémien, le président de l’APDH, pour qui «la décision de prendre une loi d’amnistie devrait être mûrie et partagée avec le peuple».
Le président de la Ligue ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO) qui s’est réjoui des discussions entamées entre le Gouvernement et le FPI, a déploré, hier sur ONUCI-Fm, le fait qu’il y ait eu des points de désaccord. «On ne peut pas amnistier a priori sans qu’on ait situé les responsabilités. Nous sommes de ceux qui estimons que pour qu’on aille à la réconciliation, il faut qu’on fonde toute notre démarche sur la Justice, mais une Justice équitable, impartiale, qui rassure et qui ne donne pas le sentiment d’un règlement de compte. Si on en arrive là, la Justice peut aider à la réconciliation», a indiqué René Okou Légré.
Selon des observateurs, cette demande du FPI, au-delà d’une revendication, semble être une manière pour le parti de Laurent Gbagbo de prendre acte de la légitimité du Président Alassane Ouattara et de celle du parlement, ainsi que de la crédibilité de Guillaume Soro, l’ex-patron des Forces nouvelles, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale. «De quelle légitimité s’agit-il ? Qui gouverne la Côte d’Ivoire ? Qui est chef de l’Etat ? Ce ne sont plus des questions à poser, c’est un débat anachronique. M. Ouattara est le Président de la République de Côte d’Ivoire et depuis 2011, ceux qui se posent des questions sur la légitimité de Ouattara sont dans un monde irréel. Il faut voir l’avenir et trouver les moyens pour que toutes les filles et tous les fils de la Côte d’Ivoire se retrouvent comme par le passé, parce que l’Ivoirien est un être naturellement jovial et convivial et c’est cela le fondement de la richesse de notre culture et de la créativité de nos artistes. Ne rendons pas des gens gais, tristes. Il faut trouver un moment pour qu’on puisse se dire la vérité et repartir du bon pied. Mais, cela demande la loi d’amnistie», soutient Dr Kodjo Richard, secrétaire général et porte-parole du FPI. «Nous prenons acte de toutes les distorsions et de toutes les faussetés qui se passent. Le parlement a été élu avec moins de 15%, on fait avec parce que c’est le parlement ivoirien», a-t-il ajouté à propos de la crédibilité de Guillaume Soro qui avait été «remise en cause» par ceux qui avaient parlé de «désert» lors des élections législatives auxquelles le FPI n’a pas participé.

Comprendre les
motivations du FPI
«Les négociations achoppent surtout et toujours sur les points controversés. Il est donc normal que nous continuions de discuter sur les points qui n’ont pas fait l’objet de consensus, comme l’amnistie, qui est pour nous, le point de départ de l’apaisement en Côte d’Ivoire», souligne-t-il en donnant une réponse au Gouvernement. «Continuer le processus judiciaire et prendre une amnistie sont deux choses antagonistes. L’amnistie effaçant l’objet même de la peine, on n’a pas besoin d’aller jusqu’à la fin du processus judiciaire (…) En Afrique du Sud, ceux qui venaient dire la vérité, bénéficiaient d’une loi d’amnistie. Ce qui fait que les gens viennent sans contrainte et sans peur pour confesser ce qu’ils ont fait (…) Si les Ivoiriens n’ont pas la garantie d’une loi d’amnistie, ils ne viendront pas (…) Mais c’est une utopie de dire qu’on va achever le processus judiciaire, puisque les arrestations et les emprisonnements continuent. Serait-ce un processus sans fin ? Ceux à qui on demande de venir dire la vérité ont peur de rentrer, de sorte qu’on est obligé de les arrêter et de les forcer par l’extradition. C’est dire que le processus d’apaisement en Côte d’Ivoire ne commencera jamais, la CDVR ne fera rien», justifie encore Dr Kodjo Richard. Le secrétaire général et porte-parole du FPI va plus loin dans ces explications et fait des révélations. «L’amnistie est valable pour tous les Ivoiriens. La crise qui est survenue est le sommet de la négation de la Nation. Si les protagonistes veulent se retrouver, c’est-à-dire eux et nous, il faut qu’on puisse se regarder et regarder dans la même direction. C’est l’amnistie qui permet cela, mais quand ils en parlent, ils donnent l’impression que cette décision ne va favoriser que les pro-Gbagbo, or c’est faux. La loi d’amnistie est valable pour nous (pro-Gbagbo), pour eux (pro-Ouattara) et même pour tous ceux qui habitent la Côte d’Ivoire, parce que les balles n’ont pas choisi que les Ivoiriens. Il y a des étrangers qui sont intéressés par notre crise. Il faut qu’ensemble, on décide de la fin de la crise et la porte par laquelle on entre dans la sortie de crise s’appelle l’amnistie. Mais, c’est ce que les gens ne comprennent pas», assure Dr Kodjo Richard qui révèle qu’un lobbying est en cours afin que les proches du Président Ouattara indexés dans des cas de violations des Droits de l’Homme et d’exactions pendant la crise, soient également présentés devant les juridictions compétentes, à tout le moins, œuvrer pour la sortie de crise en Côte d’Ivoire. «Nous allons même au-delà des forces de Ouattara pour rencontrer ses parrains, c’est-à-dire la communauté internationale. Nous avons vu l’ONU, à travers l’ONUCI, l’ambassade de France, l’ambassade des Etats-Unis et nous continuons le lobbying pour qu’ils comprennent qu’ils doivent nous soutenir pour la sortie de crise. Nous sommes dans un environnement qui ressemble à un labyrinthe et tant qu’on ne trouvera pas le bon chemin, on tournera en rond. Or, le bon chemin pour sortir c’est l’amnistie, qui est valable pour tous les protagonistes, les deux principaux que sont les pro-Ouattara et les pro-Gbagbo et pour tous ceux qui vivant en Côte d’Ivoire ont souffert de la crise», a-t-il précisé.

Pas d’amnistie sans confession, selon le RDR
Cette vision n’est pas partagée par Joël N’guessan, le porte-parole principale du RDR, qui rassure qu’il n’y aura plus d’impunité en Côte d’Ivoire, en tout cas pas sous l’ère Ouattara. «Les amnisties politiques n’ont pas de sens, elles ne nous ont pas empêché de faire une guerre, de nous battre. Arrêtons de faire de la politique. Quand quelqu’un a commis une faute, avant de le gracier ou de l’amnistier, il faut que la Justice se mette en œuvre, qu’il reconnaisse son tort et qu’il accepte de demander pardon (…) Mais si nos amis du FPI qui ont commis des actes ne demandent pas pardon, ils ne peuvent pas demander une loi d’amnistie. C’est inhumain, c’est faire preuve d’un cynisme grave, c’est faire passer les victimes en pertes et profits et c’est inacceptable. La Justice fera son travail jusqu’au bout. Toute personne qui aura commis des crimes de sang ou des crimes économiques sera jugée, mais on commence d’abord par ceux qui ont donné l’ordre pour qu’on brûle des gens à Yopougon, pour qu’on bombarde les femmes d’Abobo (…) C’est un faux argument que le FPI avance, parce qu’ils ne veulent pas reconnaître leurs torts, mais nous au RDR, nous avons demandé au Président Ouattara et au gouvernement d’être intransigeants sur cette question», tranche Joël N’guessan. La crise postélectorale a fait 3000 morts, selon les chiffres officiels. Mais peut-on oublier les victimes de l’Ouest pour lesquelles le Front populaire ivoirien demande une attention particulière de la part du gouvernement ? A cette interrogation, Eric-Aimé Sémien répond ceci : «Il ne faut pas traiter la question des victimes de façon sélective, ni les cibler».
Olivier Dion

Encadré
Amnistie et réconciliation : un refus de la justice ?
Depuis que le Fpi a clairement mis au goût du jour l’idée d’une loi d’amnistie pour favoriser la réconciliation, il y a comme un lever de bouclier. Des politiques et des leaders de la société civile se livrent à une guerre des idées. Les plus radicaux rejettent du revers de la main une telle idée en soutenant que la réconciliation viendra quand justice sera rendue. Les autres sceptiques quant à la réalité d’une justice équitable en Côte d’Ivoire militent en faveur d’une réconciliation sur des bases nouvelles en évitant la justice nationale ou internationale. Une chose est sûre, dans le camp présidentiel comme dans l’opposition, on est convaincu que rien de durable ne peut s’obtenir en Côte d’Ivoire tant que le tissu social sera fissuré. Depuis, le mot ‘’réconciliation’’ émaille tous les discours. Chacun allant de ses arguments et convictions. La réconciliation est-elle un mode de règlement des conflits fondé sur le consensus ou est-ce plutôt une sorte de bouée de sauvetage pour les pouvoirs en place, voire un instrument de mise au pas des contestataires ? Pourrait-on s’interroger avec le professeur titulaire de philosophie Cyrille Koné des universités de Ouagadougou. L’opportunité ou non d’une amnistie se trouve dans cette problématique. Amnistier et faire fi de la nécessité de rendre justice ou rendre justice pour faciliter la réconciliation et consolider l’Etat de droit. Un dilemme. Répondant à une question sur les lois d’amnistie pour des pays qui ont connu des guerres, au cours d’un colloque qui s’est tenu à Limoges (France) en 2001, un juriste français du nom de Hervé Ascencio répondait ceci : ‘’on peut toujours aller vers davantage de démocratie. Je ne suis pas convaincu que les lois d’amnistie aient été une bonne chose. Si l’on regarde ce qui s’est passé après la deuxième guerre mondiale en ce qui concerne les crimes commis sous Vichy, cinquante ans plus tard (on était en 2001, ndlr) nous sommes toujours dans un drame national lorsqu’il s’agit de juger Maurice Papon. Il aurait mieux valu le faire plus rapidement pour faciliter l’accès aux preuves et aux témoignages. Sur le plan politique il est malsain d’être obligé de refaire ce qui n’a pas été fait au moment où cela aurait dû l’être. Certes les lois d’amnistie correspondent à un intérêt en termes de réconciliation, mais pour certains crimes ce n’est pas adapté’’. Et sa compatriote Simone Gaboriau d’ajouter : ‘’désormais les souverainetés nationales ne peuvent plus être absolues devant les crimes les plus graves. La raison d’Etat ne peut plus empêcher que justice soit faite’’. Pour ces deux experts, l’amnistie doit venir après la justice. D’une part pour connaître les vérités du moment et prévenir les crimes du futur. Le professeur Cyrille Koné, dans son livre « de la réconciliation terrestre : Essai sur la citoyenneté réhabilitée » dont nous avons consulté des pages, leur oppose la force de l’amnistie. ‘’Le recours à l’amnistie, à la réconciliation a permis de dépasser de nombreuses situations conflictuelles’’, écrit-il. Il va même plus loin en partageant la position de l’ancien président Uruguayen J.M. Sanguienetti, l’Uruguay ayant aussi connu une période trouble dans son histoire. ‘’L’obligation qu’a l’Etat d’administrer la justice ne peut être remplie dans l’absolu sans prendre en compte les autres fonctions de l’Etat dont les plus importantes sont de garantir que les citoyens vivent ensemble dans la paix et d’encourager le développement de la communauté dans un contexte de paix et de sécurité’’. Le débat est houleux en ce moment en Côte d’Ivoire. Mais in fine, il faut peut être songé à l’intérêt supérieur de la nation. Bâtir la nation, un slogan cher au candidat de l’Udpci (parti membre du Rhdp) à la présidentielle 2010. Il y a encore des ressentiments. Mais la Côte d’Ivoire doit s’inventer une voie de sortie d’une crise qui a peine à s’estomper malgré le changement intervenu au sommet de l’Etat. Le Burkina Faso a eu sa journée du pardon en mars 2001. L’Afrique du sud est sortie de l’auberge après la triste période de l’apartheid, elle compte aujourd’hui parmi les pays émergents. En RDC, il y a eu une loi d’amnistie en 2003. Même si elle n’a pas permis d’éteindre la guerre à l’Est, elle aura eu pour mérite de rassembler les belligérants autour d’un gouvernement et d’ouvrir la voie pour la consolidation de la réconciliation. Les résultats traînent certes, mais l’espoir n’est pas perdu. La Côte d’Ivoire l’a expérimentée en 2003 aussi. La loi d’amnistie a permis de faire accepter ceux qu’on appelait les rebelles par leurs farouches censeurs. Il y a eu des avancées et des élections présidentielles ont été organisées même si nous en gérons aujourd’hui encore les dommages.

S. Debailly
L’Intelligent d’Abidjan

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