L’Editorial Par Charles Kouassi
La réconciliation nationale est véritablement à l’épreuve de la justice face à l’exigence d’une loi d’amnistie générale. Un jeune confrère mien qui se reconnaîtra a publié ce coup de gueule: « J’ai entendu dire qu’une loi d’amnistie se prenait « au bout d’un processus qui ne peut faire l’économie de la Justice », certes. Mais, laissez-moi vous rappeler que le 6 aout 2003, une loi d’amnistie est votée en faveur les ex-rebelles, par la volonté de Laurent Gbagbo. Et pourtant ni Guillaume Soro encore moins les ex-chefs de guerre n’avaient été poursuivis, arrêtés ou condamnés par contumace, pour que cette loi d’amnistie soit votée. Et pourtant aujourd’hui, l’on parle de loi d’amnistie qui devrait intervenir après un processus de justice. Arrêtez la distraction! Soit vous posez des actes concrets et palpables dans le sens de la décrispation et de la réconciliation,¬ soit vous vous abstenez et on reste dans une situation de ni paix ni guerre. Et le pays avance à reculons. »
Le coup de gueule ne peut laisser indifférent et nous donne même matière à analyse au sujet de la requête et de la problématique d’une loi d’amnistie générale.
De mon point de vue, le sentiment d’impunité et d’injustice crée par la loi d’amnistie votée en 2003 en faveur certes des exactions de la rébellion, mais aussi de celles des FDS, puisqu’il s’agissait d’effacer des faits avérés ou non, de toutes les parties en conflit, peut être considéré comme l’une des sources de l’aggravation et de la radicalisation de certaines positions lors de la crise postélectorale. On a entendu des acteurs autour de Laurent Gbagbo, surs de leurs faits dire: « on ira jusqu’au bout et si on perd qu’est-ce qu’on va nous faire alors que nous, on ne leur a rien fait à leur tour ».
Ne pas rendre justice aujourd’hui, c’est créer les germes de futures exactions dans l’esprit des vainqueurs du moment. C’est leur dire, comme on a pratiquement laissé entendre aux ex-bénéficiaires de l’amnistie, à peu près ceci : » vous pouvez faire tout ce que vous voulez contre le peuple et contre vos adversaires, y a rien en face, y aura pas la justice et demain dans tous les cas, ça finira par une loi d’amnistie comme en 2003, comme en 2007, comme après la crise de 2010″.
La faiblesse de l’argument et de la position du gouvernement sur cette question tient à deux choses: d’abord le refus d’expliquer historiquement les choses sans doute par souci d’éviter de gêner les ex rebelles, ensuite le caractère plutôt partial et sélectif de la justice en cours. En effet si des partisans du camp Ouattara étaient poursuivis pour des exactions supposées et dénoncées dans le rapport remis par la Commission nationale d’enquête, la position défendue, consistant à dire que l’amnistie doit être au bout d’un processus, lorsque la justice aura parlé, serait alors plus crédible. Dans ces conditions, les autorités actuelles pourraient de façon crédible rappeler qu’il y a déjà eu déjà deux lois d’amnistie lors de la longue crise commencée dans notre pays en Septembre 2002, sans que cela ne nous ait pas mis à l’abri de crimes et d’exactions plus graves, lors de la crise postélectorale.
Cette situation devrait amener à mieux examiner et à mieux cerner la question des bienfaits (mais aussi des méfaits) d’une loi d’amnistie, qui est un instrument politique garantissant le pardon, l’absolution des fautes et des crimes qui ne ressortissent pas de crimes dits imprescriptibles.
En réalité, l’amnistie reste un vrai deal et un passeport pour l’impunité politique totale, face aux exigences d’une responsabilisation plus efficiente des acteurs politiques de tout bord. Ce qu’il faut craindre pour demain, au-delà d’une nouvelle d’amnistie visant à garantir la réconciliation, c’est que la certitude à venir d’une autre possible loi d’amnistie, ne conduise de prochains acteurs politiques à commettre leur part d’abus et d’exactions. Traduction: si le Rhdp au pouvoir actuellement vote la loi d’amnistie comme cela a été fait par le passé sans aucun souci de justice pour tous, il faut craindre que certains de ses acteurs qui sont déjà impunis, et qui le seront davantage grâce à cette loi, ne s’en saisissent comme prétexte pour commettre à l’avenir de prochaines exactions en se disant que d’une manière ou d’une autre il y aura bien une autre loi d’amnistie pour les absoudre. Voilà la problématique de cette option. Dans la poursuite de la réflexion, on peut toujours se poser la question suivante: au lieu d’opter pour une impunité absolue a travers une autre loi d’amnistie, ne faut-il pas davantage plaider pour une justice impartiale qui poursuit également les exactions commises par (et dans) le camp des vainqueurs?
Une requête de justice pour tous faite éventuellement par le FPI et les pro-Gbagbo , qui ne signifie point un aveu de culpabilité de leur part, ne pourrait-elle pas mettre plus en difficulté le pouvoir si cela peut le faire prendre a défaut dans sa volonté de lutte contre l’impunité liée à l’action politique? Même si en définitive, le Président Alassane Ouattara décidait de faire voter la loi d’amnistie pour protéger également les siens, ce ne serait point un bon signe pour la paix durable. On est allé à la présidentielle avec les mêmes arrangements politiques. On est allé par exemple à la présidentielle sans modifier dans les règles de l’art la Constitution. Avec des signatures présidentielles suite a des accords de paix tous les candidats présentés par les partis politiques signataires des Accords de Marcoussis ont été retenus pour participer à l’élection présidentielle de 2010.
Un an plus tard, la même disposition a été utilisée pour permettre a Guillaume Soro, qui aurait pu attendre six semaines, semaines d’être élu président de l’Assemblée nationale. Voilà où peuvent mener des accords politiques! De nouveaux arrangements politiques débouchant sur une nouvelle loi d’amnistie ou sur des décisions spéciales, opposées à la Constitution, peuvent-ils cette fois-ci nous mettre à l’abri de drames ou exactions futures, si le débat n’est pas fait au sujet des responsabilités de chacun dans cette tragédie qui a failli nous emporter?
Nous disons oui, oui absolument à la réconciliation. Toutefois concernant la question de l’amnistie nous invitons à poursuivre la réflexion, et à opter a la place du « pardon pour tous » pour « la justice pour tous ».
Le FPI et les partisans de Laurent Gbagbo, au-delà du dialogue direct avec le gouvernement et des échanges officieux avec les diplomates accrédités dans notre pays, pourraient en Côte d’Ivoire rencontrer ouvertement des acteurs et dignitaires religieuses et des ONG, des syndicats et acteurs divers de la société civile pour échanger sur cette problématique de la loi d’amnistie comme outil de pardon général et collectif.
La question demeure au cœur de la réconciliation nationale dans sa relation avec les exigences d’une lutte efficiente contre l’impunité politique, seul moyen de nous mettre à l’abri de la commission par d’autres acteurs et forces politiques ou armées, des exactions vécues dans notre pays, ces dix dernières années. En définitive, même si les autorités politiques finissent par céder aussi bien sous la pression du FPI, que face à la crainte d’engager de vraies et sérieuses poursuites contre des acteurs de premier plan du camp des vainqueurs, que gout d’inachevé de la justice pour tous restera, avec une nouvelle loi d’amnistie.
Et ce sera tant pis et bien dommage pour une paix politique durable. Désapprobation de la justice sélective, promotion de la justice pour tous, réserves face au pardon pour tous d’une loi d’amnistie à la suite d’une simple justice sélective et partiale ayant déjà garanti l’impunité pour les vainqueurs avant même la loi d’amnistie, voici la clé d’une bonne et durable réconciliation. Cela peut intervenir aussi bien an début, en cours, qu’a la fin du processus, parce que des bases claires et équitables acceptées par tous auront été établies. En dehors de cette démarche, c’est la place ouverte au grand « deal » suivant que propose le FPI sans jamais avoir avoué quoi que ce soit, sans que la justice ait établi la vérité sur les crimes : « Chacun se tient par ses crimes, nous, on oublie Duékoué, Guiglo, Nahibly et tant d’autres violences. Vous vous oubliez Lamblin, Colonel Major Dosso, les femmes à Abobo le 8 Mars etc. Les autres vont laisser tomber IB et d’autres choses. L’amnistie est une bonne affaire pour tout le monde, c’est un bon régulateur pour parvenir à la réconciliation politique ». Le FPI et Laurent Gbagbo ont déjà pratique un tel deal, comme le dit si bien le jeune confère mien cité plus haut, lorsqu’ils étaient au pouvoir. Cela ne nous a pas sauvés. Peut-on croire valablement qu’un tel deal nous sauvera enfin et que les victimes de tous les camps, ont fait le deuil de toutes les violences subies? La loi d’amnistie d’aujourd’hui peut-elle, plus que celles d’hier, venir à bout de nos haines et de nos ressentiments; à bout de nos frustrations individuelles et collectives, à bout de nos positions radicales et exclusives qui font de l’autre l’enfer, à bout de nos intolérances et de nos méchancetés ? Nous voulons bien y croire! Nous voulons vraiment bien y croire. Voire!
L’Intelligent d’Abidjan
Commentaires Facebook