États Unis d’Amérique – Barack Obama vire-t-il enfin à gauche ?

obama1

par Serge Halimi, Monde-diplomatique.fr

Depuis quelques semaines, un vent d’optimisme réchauffe un peu les rangs de la gauche américaine. Redoutant d’abord l’échec électoral de M. Barack Obama, puis la disposition du président finalement réélu à concéder l’essentiel à ses adversaires au nom des compromis nécessaires, elle découvre au contraire que le scrutin de novembre dernier a assommé la droite républicaine. Et que — provisoirement ? — celle-ci baisse le ton.

A priori, la réélection de M. Obama ne devait pas constituer une surprise ; presque tous les sondages l’annonçaient. Mais la droite et la plupart de ses intellectuels ou journalistes étaient à ce point persuadés du contraire que le résultat les a laissés interdits, presque hagards. Jusqu’au soir des résultats, non seulement ils avaient annoncé l’élection de M. Willard Mitt Romney, mais ils avaient également prédit qu’elle serait largement acquise grâce à la mobilisation exceptionnelle d’une majorité silencieuse blanche, plutôt âgée, non citadine, religieuse, détestant l’Etat. En face, imaginaient-ils, la coalition démocrate était démoralisée par la crise économique, les promesses non tenues de M. Obama, son centrisme congénital, sa disposition à ménager Wall Street. Elle traînerait donc les pieds pour se rendre aux urnes le jour de l’élection. Des vedettes de Fox News ou des éditorialistes conservateurs aussi connus que George Will, Sean Hannity, Dick Moris (pour qui « ce sera la plus grande surprise de l’histoire politique américaine. Là, où les sondages annoncent trois points d’avance pour Obama, ce sera quatre points d’avance pour Romney »), Charles Krauthamer, Michael Barone, festoyaient déjà.

Or non seulement le président démocrate a été réélu avec près de cinq millions de voix d’avance mais les démocrates ont consolidé leur majorité au Sénat (55 sièges contre 45), là où on imaginait au mieux qu’ils la maintiendraient. Surtout, si les républicains conservent l’avantage à la Chambre des Représentants, ils le doivent à un découpage électoral qui leur est indûment favorable, car ils ont obtenu 1 400 000 suffrages de moins que leurs adversaires. Autant dire que l’interprétation de l’élection et du « mandat » populaire est moins « complexe » qu’on ne l’a cru, y compris le soir de l’élection. Les démocrates l’ont emporté, point final. Même les référendums d’initiative populaire se sont soldés par nombre de revers conservateurs (relèvement des impôts en Californie, droits des homosexuels dans le Maine, le Maryland, le Minnesota).

Le deuxième facteur d’optimisme pour la gauche modérée découle de la combativité nouvelle qu’elle détecte chez le président des États-Unis depuis sa réélection. Indice principal, son discours du 21 janvier. Pour l’éditorialiste Paul Krugman, qui pourtant n’a pas ménagé le locataire de la Maison Blanche ces dernières années, « le second discours d’inauguration du président Obama a offert beaucoup de choses agréables aux progressistes. Il y a eu sa défense inspirée du droit des homosexuels (1), il y a eu également sa défense, tout aussi inspirée, du rôle de l’Etat, et en particulier du filet de sécurité que procure l’assurance maladie et le système de retraite. Mais le plus encourageant tient à ce qu’il n’a pas évoqué. Il a à peine mentionné le déficit budgétaire. (2) »

Ces quatre dernières années, l’obsession de réduire les déficits, au prix de coupes importantes dans les budgets sociaux, avait en effet caractérisé la démarche « centriste » de M. Obama. Là, depuis novembre, le président des Etats-Unis a réussi à arracher au Congrès un relèvement des impôts pour les contribuables les plus riches sans offrir en contrepartie aux républicains la baisse des dépenses qu’ils exigeaient (3). D’où l’optimisme de M. Krugman, conforté par le discours présidentiel de janvier, que les embuscades républicaines démentiront peut-être assez vite.

Le dernier élément qui enhardit certains progressistes américains, que le peu de résultats obtenus par le mouvement Occuper Wall Street avait un peu découragés découle des deux précédents. Il s’agit de l’embarras des républicains, désormais divisés entre les ultras du Tea Party et de la droite religieuse, bien décidés à ne rien céder sur aucun sujet, et les autres, dorénavant soucieux de ne pas s’enfermer indéfiniment dans un réduit électoral qui se rétrécit.

A mesure qu’il est devenu plus strident, le combat des républicains contre l’immigration illégale a fait basculer la très grande majorité de l’électorat hispanique dans le camp démocrate. A force d’agiter comme autant d’épouvantails les questions de l’avortement et du mariage homosexuel, les républicains se sont par ailleurs coupés d’une proportion croissante de la population, jeune en particulier, qui, notamment sur le dernier sujet, est devenu plus libérale. En somme, la stratégie politique de la droite américaine qui consistait à s’appuyer sur les « valeurs morales traditionnelles » pour faire passer son soutien aux intérêts les plus privilégiés de la société ne semble ne plus être aussi porteuse qu’avant, y compris dans des Etats où les églises demeurent puissantes. Depuis la fusillade meurtrière à l’école de Newton, même la question du contrôle des armes à feu ne joue plus comme avant en faveur des républicains (lire dans le numéro de février l’article de Benoît Bréville, « de Robespierre à Charlton Heston »).
Comme si tout cela ne suffisait pas, le discours conservateur assimilant tous les riches à des « entrepreneurs » créateurs de richesses constamment harcelés par une administration fiscale, elle-même au service de dizaines de millions de parasites (les « 47% » d’assistés dont M. Romney laissa échapper qu’ils étaient ses principaux adversaires), a été spectaculairement sanctionné par le scrutin du 6 novembre dernier.

Tout cela suffit-il pour décréter qu’une ère nouvelle éclaire la politique américaine ? Sans doute pas. Ceux que le discours présidentiel du 21 janvier, pourtant constellé de généralités, a réconfortés oublient un peu vite qu’il ne s’agit là que d’un discours, une des spécialités reconnues de M. Obama. Et que la réalisation de plusieurs des promesses qu’il contient – ou suggère – dépendra du concours des Etats (égalité des droits pour les homosexuels), de celui du Congrès (dépenses publiques en matière d’éducation et d’infrastructures routières ou ferroviaires, lutte contre le réchauffement climatique), sans parler d’un engagement continu … du président des Etats-Unis.
Au demeurant, si on compare ce discours du 21 janvier à celui que M. Obama prononça quatre ans plus tôt à l’aube de sa présidence, on remarque que, cette fois, la question du rôle de l’argent en politique n’y figure pas. Après une campagne qui a pulvérisé les records de la précédente et ouvert les vannes du financement illimité par quelques milliardaires de leurs causes les plus chères, c’est fâcheux. Rien non plus sur la remise en cause de la possibilité d’incarcérer pour une durée illimitée les personnes soupçonnées de « terrorisme », voire d’employer des drones pour les liquider sans jugement en Afghanistan, au Pakistan ou ailleurs.

Mais il est vrai que la politique étrangère a été presque totalement ignorée par l’adresse présidentielle, au point qu’aucun nom de pays autre que les Etats-Unis n’a été cité.

(1) Le 21 janvier 2013, M. Obama a associé dans la même phrase le mouvement des Noirs américains et celui des homosexuels, la marche des droits civiques à Selma (Alabama) en 1965, et la bataille opposant, en 1969, des clients d’un bar gay de Greenwich Village (le Stonewall Inn), à un raid de la police de New York.

(2) Paul Krugman, « Deficit Hawks Down — Please », The New York Times, 24 janvier 2013.

(3) Toutefois, M. Obama s’est résigné à entériner à titre définitif cinq des six nouveaux barèmes d’imposition votés à titre provisoire du temps de M. George W. Bush. La principale concession obtenue par M. Obama et les démocrates aux dépens des républicains est le relèvement du taux marginal de l’impôt de 35 % à 39,6 % pour les contribuables gagnant plus de 400 000 dollars par an. Le président démocrate avait fait campagne pour que ce relèvement intervienne au dessus de 250 000 dollars, et il avait expliqué qu’il ne céderait jamais sur ce point.

[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »144902495576630″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]

Commentaires Facebook