Par Mathieu Olivier Jeune-Afrique
Les accusations d’exactions contre l’armée malienne se multiplient. Jeudi 24 janvier, deux habitants de Niono auraient ainsi, selon un témoignage, été abattus par des militaires. Deux Maliens « à la peau claire », précise le témoin. Retour sur les précédents historiques qui font craindre le pire.
Alors que l’armée malienne prend, avec l’appui de la France, clairement le dessus sur les rebelles du Nord Mali, les inquiétudes se sont multipliées ces dernières semaines. En représaille à la barbarie des islamistes radicaux, auxquels s’étaient alliés (au début du conflit) les Touaregs du MNLA, des soldats de l’armée malienne ont succombé à l’attrait de la vengeance. « Il y a des exactions à droite et à gauche », explique Florent Geel, directeur Afrique de la Fédération internationale des Droits de l’Homme, contacté par Jeune Afrique, « il y a un ensemble d’agressions à caractères raciales, basées sur la vengeance ou encore le racket ».
Les cibles de ces violences ? Surtout « ceux qui ont la « peau claire » », dit Florent Geel. Jeudi 24 janvier, deux habitants de la région de Niono ont ainsi été abattus par des militaires, qui, du fait de leur couleur de peau, les ont considérés comme « complices des islamistes ». Mais ces tensions ne sont pas nouvelles. Avec la lutte contre les jihadistes, de vieux souvenirs reviennent en mémoire. Retour sur ces événements sanglants, intimement liés aux rébellions touarègues, qui nourrissent les craintes d’un nouveau cycle de vengeance aveugle au Mali.
Le massacre de Léré : 20 mai 1991
C’est sans doute le massacre le plus présent à l’esprit des populations dites « blanches » du Nord du Mali. Alors que l’année 1991 avait commencé avec espoir avec les Accords de Tamanrasset, le village de Léré va être le théâtre de représailles contre les populations touarègues, assimilés aux voleurs de bétail qui sévissent alors près de la frontière mauritanienne.
Le 20 mai 1991, un jeune officier de l’armée, commandant la garnison locale, décide, en représailles des vols, de rassembler un groupe de vieux marchands arabes et touaregs avec leurs fils sur la place du marché. Au nombre d’une cinquantaine, ils sont tous exécutés et leurs familles retenues en otage pendant plus d’un an. Les populations touarègues et arabes le vivent comme un véritable carnage. En quelques semaines, la moitié d’entre elle s’enfuit en Mauritanie, selon l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (Unidir).
Attaques de Gossi et Foïta et détournement de l’aide humanitaire : 14 mai 1992
Un an plus tard, presque jour pour jour, c’est dans les environs de Gossi que se produisent de nouvelles exactions. Le 14 mai 1992, douze Touaregs, travaillant pour une ONG norvégienne, sont assassinés par des militaires. D’abord imputée à des rebelles touaregs, l’attaque du convoi humanitaire a été organisée par la gendarmerie locale, selon le Parlement européen, et sur des bases ethniques.
Pour les députés de Strasbourg, ce massacre participe d’une politique de persécution visant à détourner l’aide humanitaire via l’armée et à éviter la mise en place de tout projet de développement à destination des Touaregs. Alors que, le 17 mai encore, 48 éleveurs touarègues sont tués à Foïta, cette série d’événements provoquent une nouvelle fois la fuite de dizaines de milliers de personnes vers l’Algérie et la Mauritanie.
Aux alentours de Ménaka en 1994
Avec les accords signés au sein du Pacte national, patronnés par l’Algérie, une partie des rebelles touaregs intègre l’armée régulière malienne. Cela n’apaise cependant pas les tensions. Le 21 avril 1994, en représailles à une querelle meurtrière ayant opposé la veille des anciens rebelles « intégrés » et d’autres membres de leur unité, quatre à douze civils touaregs, selon les informations, sont exécutés de manière extrajudiciaire par l’armée.
Selon Amnesty International, ce sont quatre civils, dont une femme âgée, qui ont été abattus. Sept autres femmes, qui s’étaient enfuies, seraient également mortes plus tard sous l’effet de la soif. Suite à une commission d’enquête, les militaires responsables ont été transférés dans une autre caserne. Cependant, aucun n’a été traduit en justice.
Douloureuse mémoire
La situation ne cesse alors de dégénérer. Le 12 juin 1994, sur la route de Ménaka à Andéramboukane, des soldats auraient, toujours selon Amnesty International, procédé à l’exécution extrajudiciaire d’au moins 22 civils maures et touaregs. Dans le même temps, à partir du 12 juin, plusieurs exactions ont lieu à Tombouctou, une nouvelle fois en représailles à des attaques menées précédemment par des « intégrés » à Léré, Gourma-Rharous, Andéramboukane et Tombouctou. On dénombre une cinquantaine de victimes parmi la population à « peau blanche ».
Les années 90 ont tristement marqué les mémoires. Au Sud, suite aux rébellions touarègues successives, une partie de la population s’est mise à considérer le Nord comme une région potentiellement sécessionniste. Dans le Nord, quant à elles, les populations touarègues n’ont pas oublié les épisodes de représailles et d’exactions. Avec la reconquête actuelle du Nord-Mali par l’armée malienne, ce sont bien les vieux démons qui refont surface.
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