Publié par L’Intelligent d’Abidjan
Les conclusions de la conférence épiscopale des Evêques de Côte d’Ivoire à Korhogo
EXHORTATION AU PARDON ET A LA RECONCILIATION
Préambule
Chers frères ct sœurs en Jésus-Christ,
Chers croyants en Dieu,
Hommes et femmes de bonne volonté
1. Nous, Evêques Catholiques de Côte d’Ivoire, dans cette adresse, voulons rejoindre chacun et chacune d’entre vous, pour regarder ensemble et de façon objective, la situation de crise qui est la nôtre aujourd’hui, et ses conséquences tragiques qui marquent chacun de nous dans sa chair et dans son histoire. Face à cette situation, que faire à présent? Comment notre foi en Dieu et notre amour pour la patrie peuvent-ils nous aider il sortir de cette crise et il prévenir de telles dérives?
2. N’oublions pas que si nous nous enfermons dans nos préjugés, nos méfiances les uns vis-ii-vis des autres et nos souffrances, la crise risque de perdurer. II nous faut, individuellement et collectivement, ici ct maintenant, nous engager à repenser les conditions de notre cohabitation pour rebâtir de manière plus solide le tissu social fortement fragilisé. Il nous faut surtout croire qu’il nous est encore possible de vivre en frères et sœurs dans nos familles, dans nos diverses communautés et dans notre pays. Et cela est il notre portée si, honnêtement, nous nous rendons disponibles à l’Esprit de Dieu: Esprit d’amour, d’unité, de vérité, de pardon el de paix. En effet, la réconciliation à laquelle nous aspirons est un don de Dieu, accueilli el mis en œuvre par l’homme en toute responsabilité.
LE PARDON, LA RECONCILIATION ET LA PAIX: DON DE DIEU
3. Cet appel ii la réconciliation que nous vous adressons fait profondément partie de la mission originelle et permanente de j’Eglise dans le monde. La réconciliation des hommes avec Dieu et comme effet, celle des hommes entre eux est le projet fondamental de Dieu lui-même sur le monde. Cette œuvre de réconciliation est si importante pour Dieu qu’il a envoyé son propre Fils, Jésus-Christ, afin qu’en lui soient rassemblés tous les hommes et les peuples que le péché a dispersés. Nous, Evêques Catholiques de Côte d’Ivoire, à la suite de l’Apôtre Paul, nous vous le demandons: “Au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu» (2 Co 5. 20; 6, 2). “Ne rendez à personne le mal pour le mal, ayez à cœur de faire le bien devant tous les hommes” (Rm 12.17).
Frères et sœurs, au nom de Dieu, laissons-nous réconcilier entre nous. Cela nous invite â nous engager personnellement et collectivement à tous les niveaux pour bâtir la réconciliation que Dieu nous propose.
NOTRE ENGAGEMENT POUR BÂTIR UNE SOCIETE DE PAIX
A – Dispositions concrètes pour favoriser la réconciliation
4. Frères et sœurs, nous nous adressons li vous, guides religieux, victimes, hommes politiques, militants de partis politiques, militaires et forces de l’ordre, convention de la société civile, membres de la Commission, Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), familles, hommes, femmes, jeunes, syndicats, opérateurs des médias, éducateurs, frères et sœurs venus d’ailleurs.
5. Avec vous, nous avons pleinement conscience des souffrances indicibles que subissent au quotidien les habitants de la Côte d’Ivoire. Nous sommes de plus en plus confrontés à une montée de la violence dans nos maisons, nos quartiers, nos villes et nos villages. Avec tristesse, nous constatons des attitudes susceptibles de compromettre les efforts de réconciliation. Ajoutée à cela l’épineuse question du foncier rural qui, avec la crise, devient de plus en plus douloureuse et insupportable. Cette situation nous pèse et nous préoccupe au plus haut point. Cela exige que chacun de nous, à son niveau de responsabilité, honnêtement, prenne des dispositions el des décisions concrètes pour faciliter et rendre effective la réconciliation en vue d’amorcer définitivement la marche vers la paix. C’est pourquoi, au nom de Dieu et du peuple Ivoirien meurtri, nous demandons et nous attendons que chacun d’entre nous reconnaisse son tort, en demande pardon avec le ferme engagement de ne plus occasionner de quelque manière que ce soit un tel drame national qui n’a que trop dure. En comptant sur la grâce de Dieu, nous supplions toutes les personnes qui ont subi des torts de renoncer à toute forme de haine et de vengeance et d’offrir le pardon à tous ceux qui les ont offensés.
Pour ce qui nous concerne humblement, nous demandons pardon pour nos voix discordantes et nos silences à des moments aigus et à bien d’autres étapes de celte crise que nous traversons.
B – Principaux champs pour travailler:’l la réconciliation
5. Si nous voulons effectivement aboutir à la réconciliation, il nous faut opter pour la vérité et œuvrer dans la venté. Cela passe par la construction d’un Etat de droit, la condamnation et le refus de la violence, la création de conditions favorables à la participation de tous à la réconciliation et le règlement juste de la question du foncier rural.
Bâtir un Etat de droit
6. La construction d’un Etat de droit passera par la promotion dans la société ivoirienne d’une politique ayant réellement pour vision le bien commun et l’unité nationale. Un adversaire politique n’est pas un ennemi il abattre mais plutôt un partenaire en vue de la construction équilibrée et concertée de la nation. Celte construction concertée de la nation exige la confiance réciproque. C’est pourquoi, nous invitons chacun d’entre vous il beaucoup plus d’ouverture et d’humilité. Parce que, à maintes reprises, vous n’avez pas été conformes il cet idéal d’hommes politiques, nous vous appelons à reconnaître vos fautes et à demander pardon aux Ivoiriens que vous avez instrumentalisés, trompés et même sacrifiés sur l’autel de vos ambitions. Renoncez définitivement à toute forme de vengeance se donnant un visage de justice.
7. Mettez définitivement fin aux perquisitions systématiques, violentes, non autorisées, aux arrestations arbitraires et à l’occupation illicite des maisons.
Renoncez également à toute forme de déstabilisation de notre pays, de l’intérieur comme de l’extérieur. Nous condamnons, à cet effet les attaques à mains armées, les rumeurs et les mensonges sciemment fabriqués qui créent la psychose et la panique au sein de la population et qui ne favorisent guère un climat de sérénité et de paix. Hommes politiques, voyez l’intérêt supérieur de notre pays.
8. A vous militants, nous conseillons la même attitude d’amour de notre pays el le sens du bien commun. Nous sommes tous frères et sœurs. Nous pouvons faire la politique autrement, sans haine ni animosité.
Montrons-le à tous les niveaux de responsabilité en refusant la partition idéologique ou géopolitique de notre pays. Qu’il n’y ail plus d’un côté un pays des pro-Gbagbo et de l’autre celui des pro-Alassane. Sortons définitivement de ce complexe des vainqueurs et de celui des vaincus qui rongent notre pays. Pour nous tous, la Côte d’Ivoire constitue un seul et même pays. Notre pays est indivisible. Nous encourageons l’Etal à poursuivre ses efforts pour protéger la vie et les droits de tout habitant de ce pays en garantissant la sécurité de tous, dans les familles, dans les villages, sur les routes ct dans les villes. Les citoyens, quant à eux, ont le devoir de soutenir l’Etat dans cette lâche. Ils adopteront des attitudes responsables susceptibles de promouvoir ct de consolider la paix sociale. Dans ce cadre, nous invitons les gouvernants â se pencher avec objectivité sur les drames multiformes qui, depuis plusieurs années, ont lieu dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire el à y apporter des solutions définitives.
Nous invitons les intellectuels, les chefs religieux, les chefs coutumiers, et tous les leaders d’opinion il assumer leur responsabilité devant l’histoire en évitant de s’aligner de façon servile derrière l’un ou l’autre camp el qu’ils évitent aussi de s’enfermer dans des considérations d’ordre ethnique ou de parti politique.
Condamnation et refus de la violence
9. Depuis plusieurs années la violence semble avoir été intégrée dans le fonctionnement de notre pays. Nous condamnons cette montée de la violence dans nos mœurs sociopolitiques. Elle constitue en effet une blessure grave à la justice sociale et au développement. Voilà pourquoi, nous avons condamné et nous condamnons encore plus fermement la violence comme moyens d’octroi de droits, de promotion sociale, d’accession ou de maintien au pouvoir. Des lors, nous demandons autant aux gouvernants qu’à l’opposition, à tous ceux qui pêchent en eaux troubles et à tous les habitants de la Côte d’Ivoire de renoncer à la violence. Dans ce contexte, il est absolument urgent que soit définitivement résolue la question des miliciens, des ex-combattants et des dozos.
Pour parler de paix et de réconciliation, il est nécessaire d’être soi-même crédible. Nous demandons donc à chaque habitant de notre pays de poser des actes forts qui manifestent sa volonté de contribuer à l’aboutissement heureux du processus de réconciliation.
Participation de tous à la réconciliation
10. La crise que traverse la Côte d’Ivoire a divisé et dispersé ses fils et ses filles. La réconciliation, dans sa nature, est le rétablissement des relations entre personnes brouillées. «La réconciliation, affirme le Pape Benoît XVI, n’est pas un acte isolé mais un long processus grâce auquel chacun se voir rétabli dans l’amour, un amour qui guérit par la Parole de Dieu. Elle devient alors une manière de vivre, en même temps qu’une mission” (Africae Munus, n°34). Dès lors, elle a pour objectif principal de rassembler tous les Ivoiriens, sans exclusion, autour et au sein de la Mère-Patrie dans la conjugaison harmonieuse des diversités. Cette communion se manifeste par l’acceptation des différences et des débats contradictoires au niveau des médias d’Etal d’une part et, d’autre part, des journaux dans leur ensemble. Tous les médias doivent œuvrer dans le sens de l’apaisement. Il convient donc ici de dénoncer, de condamner et de combattre toute exclusion, toute promotion arbitraire basée sur l’appartenance régionale, ethnique, sociale, religieuse, culturelle, politique dans la construction de la nouvelle Côte d’Ivoire à laquelle tous, nous devons œuvrer. Il faut plutôt, pour prévenir les frustrations et les haines sociales, valoriser et promouvoir le mérite et la compétence dans la société ivoirienne.
11. Ce processus de la réconciliation requiert, pour son succès et pour sa viabilité, la participation de tous les Ivoiriens et de toutes les Ivoiriennes sans exclusion. Déjà nous saluons la mise en liberté de certains de nos frères et sœurs détenus après la crise post-électorale. Mais nous pensons qu’il serait souhaitable que des efforts soient poursuivis pour la libération des autres el le retour au pays des Ivoiriens en exil afin que tous participent au processus de réconciliation en cours Ces actes seront sans nul doute à même de créer un climat favorable à l’apaisement et à la réconciliation. Ce projet de réconciliation doit s’exprimer d’abord ct avant tout dans les structures et institutions de l’Etat avec, il leur tête, la Présidence de la République comme véritable inspiratrice et facilitatrice et la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation comme animatrice autonome et impartiale qu’il faut soutenir dans ses activités.
Le processus de la réconciliation amorcé, pour aboutir, devra affronter et résoudre le problème épineux, délicat et grave du domaine du foncier rural.
Le problème du foncier rural
12. Le foncier rural constitue il n’en point douter une des sources du conflit social qui mine la société ivoirienne. Nous saluons les efforts de l’Etat pour résoudre ce délicat problème. Nous espérons que définitivement une solution équitable sera trouvée qui puisse favoriser un climat de paix durable.
Aussi condamnons-nous fermement les actes illicites de ventes, d’acquisitions et d’expropriations des terres qui om cours sur le territoire ivoirien. Nous nous insurgeons contre le déclassement abusif des forets classées et leurs attributions il des personnes n’y ayant pas droit car de telles pratiques sont un frein à la convivialité entre les citoyens d’une même région.
CONCLUSION
13. En conclusion, nous appelons les Ivoiriens et les Ivoiriennes à aimer davantage le travail, à cesser de s’enterrer dans le passé et à s’investir positivement dans le présent, pour garantir l’avenir de notre pays. Ainsi, dans l’union et la discipline, la dignité et la liberté, tous ses fils et toutes ses filles réconciliés vivront dans la paix. Le destin de notre pays est ainsi entre nos mains. Cependant, “Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain n (Ps 126,1). C’est pourquoi nous voulons lui adresser cette prière à la fin de notre exhortation.
PRIERE FINALE
14 Seigneur, Dieu de bonté, enflamme la volonté de tous les habitants de notre pays pour rompre les barrières qui divisent, renforcer les liens de l’amour mutuel, user de compréhension à J’égard d’autrui et pardonner à ceux qui nous ont fait du tort, de sorte que, grâce à son action, tous, nous fraternisions et que parmi nous ne cesse de fleurir et de régner la paix tant désirée.
Fais de nous de véritables artisans et bâtisseurs de paix, de sorte que notre pays grandisse dans une concorde fraternelle, dans la prospérité et dans la paix.
Fait à Korhogo le 20 janvier 20 13
Vos Pères et Frères, les Evêques de Côte d’Ivoire
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