L’enquête ouverte par la procureur de la CPI vise surtout les islamistes, alors que certains s’inquiètent des exactions commises par les deux camps.
De NOTRE CORRESPONDANT À BRUXELLES, ALAIN FRANCO – Le Point.fr
Militaire d’abord, diplomatique ensuite, la situation au Mali s’enrichit d’un nouveau volet, juridique cette fois. La procureur de la Cour pénale internationale a en effet annoncé mercredi soir l’ouverture d’une enquête sur « les crimes présumés commis sur le territoire du Mali depuis janvier 2012 ». C’est à cette date qu’a commencé l’offensive des djihadistes contre le gouvernement de Bamako.
« Depuis le début du conflit armé qui a éclaté en janvier 2012, les habitants du nord du Mali sont soumis aux grands troubles qui agitent leur région, explique la procureur Fatou Bensouda. Divers groupes armés ont semé la terreur et infligé des souffrances à la population par tout un éventail d’actes d’une extrême violence à tous les stades du conflit. Je suis parvenue à la conclusion que certains de ces actes de brutalité et de destruction pourraient constituer des crimes de guerre. »
« Un message à ceux qui planifient de tels crimes » (Amnesty)
Contrairement à la Syrie, le Mali a reconnu la compétence de la Cour, qu’il a ensuite saisie en mai 2012. Au terme d’une première analyse, après avoir recueilli des témoignages et des informations par l’intermédiaire du gouvernement en place et des ONG, la procureur a décidé de lancer une enquête en bonne et due forme pour « meurtres, mutilations, traitements cruels, tortures, viols, exécutions extrajudiciaires », ainsi que pour « des attaques délibérées visant des biens protégés » – allusion aux destructions par des combattants islamistes liés à al-Qaida de mausolées soufis à Tombouctou. Le rapport préliminaire pointe aussi « la détention arbitraire de personnes ». Ce qui pourrait concerner les prises d’otages, mais aussi l’utilisation d’enfants-soldats et de la population civile comme boucliers. Ce que dénonçait mercredi soir à l’AFP un responsable de l’armée malienne.
Ce n’est pas la première fois que la CPI, créée pour juger les plus hauts responsables de crimes de droit humanitaire dans le monde (contrairement aux tribunaux ad hoc, comme sur l’Ex-Yougoslavie, qui ont une compétence géographique limitée), s’immisce dans un conflit en cours. Elle avait en effet lancé un mandat d’arrêt contre le colonel Kadhafi et son fils, Seif el-Islam, pour crimes contre l’humanité, en pleine opération pour déloger le dictateur libyen. Ce dernier est mort, et la justice libyenne a refusé de lui livrer son fils et bras droit. Actuellement, la Cour juge un autre dictateur africain : Laurent Gbagbo, accusé de crimes contre l’humanité pour son rôle dans la crise post-électorale de 2010-2011 qui avait fait quelque 3 000 morts.
Peu lisible hors des cénacles juridiques et diplomatiques, critiquée pour sa lenteur et, par certains, pour ses choix, parfois instrumentalisée par les chancelleries – Américains, Russes et Chinois l’avaient saisie du dossier Kadhafi malgré leur opposition à toute idée de justice pénale universelle -, la CPI n’en reste pas moins soutenue par les ONG qui militent pour le droit humanitaire et la condamnation des criminels de guerre de haut rang. « La décision concernant le Mali est un message important envoyé à tous ceux qui planifient et commettent de tels crimes : ils ne resteront pas impunis », affirme ainsi Amnesty International.
Risque d’instrumentalisation
Christian Chartier, fondateur du Centre d’observation de la justice internationale transitionnelle (COJITE), lié à l’université de Limoges, nuance : « Ce n’est pas une surprise. C’était l’une des premières décisions de Bensouda d’envoyer des enquêteurs, quand elle a pris la succession de Moreno-Ocampo. Ce n’est pas sans lien avec l’opération française et les accusations qui montent et accusent les deux camps, y compris l’armée malienne, de violer le droit humanitaire. Si elle avait des éléments d’information, elle ne les a pas obtenus depuis trois jours. Faire ce type d’annonce dans la foulée des opérations françaises ne peut qu’alimenter le courant de ceux qui pensent que la Cour est un instrument au service des puissances occidentales. On jugera de son impartialité dans ce dossier sur la base des inculpations à venir. »
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