Par Mamadou Koulibaly LIDER 13 janvier 2013
« Quand il y a le silence des mots, se réveille trop souvent la violence des maux. »
(Jacques Salomé, 1991)
L’ANNEE 2011 a été bouclée avec les législatives ayant marqué la défaite de toute opposition au pouvoir de Ouattara qui, pourtant, a présenté un tel résultat comme la panacée qui aurait permis au pays de rompre avec la violence des longues années de crise depuis la mort de Houphouët-Boigny. Les législatives elles-mêmes ont été le terrain de toutes sortes de violences avec destruction de vies humaines et de biens. Un an après, un parlement est certes en place, mais il n’a nullement exercé sa mission centrale de contrôle de l’activité gouvernementale. Il a préféré limiter sa mission au vote de lois sans débat et à l’organisation de diners de gala de plus de quatre cents couverts. La violence, quant à elle, est restée vive. Elle continue d’endeuiller les populations civiles, les militaires, gendarmes, policiers et autres corps du secteur de la sécurité qui, en retour, se vengent sur les populations qu’ils soupçonnent de se liguer contre eux.
Une armée de défenseurs-bourreaux
Dans cette spirale infernale de violence, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) font leur propre justice. Le président de la République, après avoir simulé diverses tentatives, s’est nommé lui-même ministre de la Défense, en plus d’être déjà chef suprême des armées et président du Conseil supérieur de la défense. Il a de plus créé le Conseil supérieur de la sécurité dont il est aussi le président. Dans la nouvelle armée, fille de la victoire des Forces armées des forces nouvelles (Fafn), récemment renommées Frci, la sélection ethnique est devenue la norme organisationnelle. La chaîne de commandement est rompue et la confiance est brisée entre l’armée ancienne, les Forces de défense et de sécurité (Fds), et la nouvelle, les Frci. Une superposition de grades et de structures parallèles non intégrées rend toute autorité peu fonctionnelle. Tout cela pour quel résultat?
Point n’est besoin de présenter un bilan exhaustif de la réforme du secteur de la sécurité par le président Ouattara. Il nous suffit de regarder l’état de l’armée à la fin de l’année 2012. Nous nous contenterons de constats faits par les populations et les observateurs internationaux, dont un condensé se retrouve dans une enquête menée par le journal satirique ivoirien L’éléphant déchaîné, n°115 du vendredi 21 au jeudi 27 décembre 2012, réalisée par deux reporters, Bony Valérie et Wenceslas Assohou, envoyés spéciaux à Grand Yapo, dans le département d’Agboville, où des attaques ont eu lieu contre les Frci, qui ont perdu deux éléments à Ery Markouguié le dimanche 16 décembre 2012. L’armée déployée sur l’ensemble du territoire et dans toutes les localités a du mal à être reconnue comme une force protectrice. Elle est au contraire constamment harcelée et, en réponse, réprime et harcèle les populations. Supposée être en charge de la sécurité de la nation, elle n’est pas capable d’assurer sa propre sécurité. A Yapo, qui n’a pourtant pas été le lieu des attaques contre les Frci, les représailles ont été significatives, non pas à cause des pillages et autres exactions qui s’y sont déroulés, mais surtout à cause de l’état d’esprit exprimé, et par les populations, et par les Frci.
Aux populations qui tentaient d’en savoir plus sur la situation dans leur localité, les Frci ont certes répondu parce qu’il y avait des observateurs et qu’il faisait jour, mais leurs propos voilaient à peine leur violence face à ceux qu’ils sont pourtant censés protéger. «Tu as de la chance qu’il y a du monde, sinon on allait te montrer quelque chose» ont-ils rétorqué. En dehors de tout regard témoin, les FRCI s’adonnent à des rackets organisés et à des violences indicibles, comme l’exprime cette dame interrogée: «Ici on ne parle plus comme ça désormais, parce qu’on peut venir vous prendre à tout moment».
Ces deux sentiments ne sont hélas pas propres à Grand Yapo, mais à toute la Côte d’Ivoire. Les Frci répriment en douce et très loin des regards témoins. Les populations victimes de ces représailles n’osent pas témoigner de peur de se faire enlever et réprimer encore plus. Ce sont les Frci qui sont maintenant devenues les forces de répression, abandonnant leur rôle de défense du territoire national. Elles peuvent agir ainsi sans avoir reçu d’instructions, simplement parce qu’elles ont décidé de le faire, convaincues qu’aucune sanction ne leur sera appliquée. En effet, l’impunité reste la règle, ce qui fait perdre la notion du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Ce fait est d’ailleurs révélateur, toujours à Grand Yapo : alors que certains Frci agressaient au couteau des habitants et tabassaient des femmes, l’un d’entre eux, pris certainement de remords, rappelle à ses frères guerriers ceci : «Ne les frappez pas ; ce ne sont pas les instructions que le commandant nous a données». Ces Frci, dans leur élan de justiciers et de policiers répressifs, peuvent aller très loin dans l’horreur. Selon les reporters : «L’un des soldats, on ne sait trop pourquoi, tenait absolument à trancher la gorge à un habitant de Yapo pour venger la mort de ses deux frères d’arme tombés à Ery Markouguié, plus tôt dans la journée. Il le fait saisir et immobiliser par certains de ses frères d’arme et lui mouille la gorge avec de l’eau avant de sortir une fourche. De tels actes dans un reflexe que permet seul l’instinct de survie, le jeune homme parvient à se retourner. Au terme de deux tentatives infructueuses, le bourreau en est dissuadé par un autre de ses frères d’arme. «Tu as essayé à deux reprises de l’égorger. Tu n’y es pas parvenu. Laisse tomber». On se croirait dans un film d’horreur avec l’apparition d’un ange. Relâché, le jeune homme n’est pourtant pas au bout de ses peines, de son calvaire, pour être plus proche de la réalité. Son sauveur lui exige le paiement d’une rançon. Sans le sou, comme un rat d’église, la providence divine viendra une fois encore à son secours. Cette fois, grâce à une cotisation levée par les autres prisonniers du jour, comme lui».
Tel est le mode de fonctionnement de l’Etat malfaiteur, l’Etat criminel. Telle est la manifestation de la criminalisation de l’Etat en Côte d’Ivoire, sous le pouvoir de Ouattara. Les plus forts se font justice eux-mêmes, et le président du Conseil supérieur de la magistrature ne dit rien, alors qu’il est président de la République. Les plus armés terrorisent les autres et le président du Conseil national de la sécurité ne dit rien, lui qui est pourtant chef d’Etat. Les Frci font ce qu’elles veulent des populations civiles, et le président du Conseil supérieur de la défense ne dit rien et ne fait rien, lui qui est pourtant ministre de la Défense. L’armée nationale vole la population, la bat, l’humilie, la tue et le commandant en chef des armées ne dit rien et ne fait rien, lui qui prétend être le président de tous les Ivoiriens. Comment en est-on arrivé là ? Ouattara est-il complice de ces crimes commis par les Frci ? Est-ce son incompétence qui l’empêche de résoudre le problème ? Est-il incapable de faire respecter les ordonnances qu’il a lui-même prises? A défaut de protéger les Frci contre les violences des populations, le chef de l’Etat peut-il protéger les populations contre les représailles de ses miliciens ? Rappelons que le secrétaire général du Rdr (le parti dont A. Ouattara demeure encore le président en exercice) avait mis en garde publiquement qu’il réservait le cimetière à tous ceux qui s’attaqueraient à l’autorité de Ouattara. Comme l’aurait dit Jean Marie Adiaffi : «Silence dans les rangs, l’argent travaille pour vous, sans vous, malgré vous et très probablement contre vous.»
«Vivre ensemble» ou «Savoir survivre ensemble» ?
Dès 2011, Ouattara a pris conscience que son programme du «vivre ensemble» était vide de sens et que les Ivoiriens vivaient déjà ensemble. Il a compris que ce qui était important, ce n’était pas de vivre ensemble, mais de savoir survivre ensemble. C’est peut-être pour cela qu’en fin 2012, le président Ouattara a officiellement abandonné son programme de gouvernement pour s’accrocher au Pnd (Programme national de développement) et remettre au goût du jour le programme d’investissement public (Pip), qui tiennent lieu désormais de programme de Ouattara. Il renonce aux méthodes Fmi pour adopter celles des Frci. Il renonce au «vivre ensemble» pour «le triomphe de l’éléphant». Il renonce à l’Etat de droit pour l’Etat criminel. A quoi aura donc servi son programme de gouvernement, présenté à grand renfort de propagande, sinon à tromper les électeurs ? Une fois son produit fourgué à l’électorat, le service après-vente se révèle totalement défaillant, et pour éviter qu’on le lui dise, le président Ouattara terrorise tout le monde, partenaires comme adversaires.
Cependant il ne faut pas totalement désespérer. De plus en plus de personnes trouvent inacceptable cette destruction organisée, qu’elle conduise à des homicides collectifs ou à des charniers involontaires comme celui du Plateau dans la nuit du 31 décembre 2012. Ces personnes se mobilisent pour dire non. De plus en plus de gens prennent conscience que les pratiques des anciennes Fafn, nouvellement Frci, ne peuvent servir à gérer l’Etat de Côte d’Ivoire et qu’elles ne peuvent qu’être source d’appauvrissement, de frayeur, de souffrance, de morts gratuites et de recul de la démocratie.
Triste destin que serait celui de la Côte d’Ivoire si la mobilisation ne se faisait pas plus grande et plus forte !
Mamadou Koulibaly
Président de LIDER
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