Côte d’Ivoire: l’affaire Gbagbo en souffrance

Stéphanie Maupas | Amnesty International

Incarcéré depuis un an à La Haye, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo est suspecté par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de crimes contre l’humanité commis suite à l’élection présidentielle de novembre 2010. De son côté, l’ex-chef d’État conteste la compétence de la Cour et demande sa libération provisoire. Enquête

« Jusqu’au bout ! ». C’est le slogan repris désormais en chœur par les partisans de Laurent Gbagbo à chaque manifestation organisée à La Haye depuis la première comparution de leur chef devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI), le 5 décembre 2011.

Ce jour-là, adressant un sourire complice à ses supporters assis derrière la vitre blindée qui le sépare du public, l’ex-président ivoirien avait dénoncé ses conditions de transfert depuis Korhogo, au nord de la Côte d’Ivoire, jusqu’à la prison des criminels de guerre, en banlieue de La Haye aux Pays-Bas. En quelques heures, l’opération avait été bouclée sans alerter ses avocats ivoiriens, auxquels fut refusé le droit de déposer un seul recours. « Si on m’avait dit : “Gbagbo, tu vas à La Haye”, je serais venu, avait donc indiqué l’ex-président, début décembre, aux trois juges de la CPI, mais là encore, on m’a trompé ». D’un ton bonhomme doublé d’une autorité certaine, il avait ensuite assuré « maintenant qu’on est là, on va aller jusqu’au bout ». Pourtant, depuis ce jour de décembre, Laurent Gbagbo ne s’est plus présenté dans le box de la salle d’audience. Face aux juges, ses avocats ont, sans succès, contesté la compétence de la Cour, dont la Côte d’Ivoire n’a pas encore ratifié le traité1.

Le procureur s’était néanmoins saisi de l’affaire, se basant sur des courriers adressés par le tombeur de Laurent Gbago, Alassane Ouattara dans lesquels il reconnaissait la compétence de la juridiction. Une procédure prévue dans les textes de la Cour et, qu’ironie de l’Histoire, Laurent Gbagbo avait lui-même utilisée suite à la tentative de coup d’État des partisans d’Alassane Ouattara en septembre 2002. Le procureur n’avait alors pas ouvert d’enquête. Et c’est sur une requête déposée par les avocats de Gbagbo, que la chambre a demandé au procureur d’enquêter sur les événements survenus depuis 2002, en lien avec les violences de fin 2010, début 2011.

Les avocats de l’ex-président ivoirien, maîtres Emmanuel Altit, Natacha Ivanovic Fauveau et Agathe Bahi Baroan, ont aussi demandé sa mise en libération provisoire. L’Ouganda de Yoweri Museveni, qui avait soutenu son homologue lors de la crise post-électorale de fin 2010/2011, s’est porté candidat pour l’accueillir en résidence surveillée. Selon la presse ivoirienne, l’Angola serait aussi volontaire. Mais pour l’heure, les juges estiment que la peine qu’il risque pourrait inciter Laurent Gbagbo à prendre la fuite. Une fuite possible, selon eux, grâce à son réseau de partisans et ses moyens financiers. Abel Naki, président du Cri-Panafricain, l’une des nombreuses organisations pro-Gbagbo dénonce ces arguments : « Est-ce qu’on peut reprocher aujourd’hui à Nicolas Sarkozy d’avoir des réseaux dans le monde politique ou des supporters ? Un président de la République est quelqu’un qui a des contacts. C’est normal, par rapport à toutes ses actions en Côte d’Ivoire – de bonnes actions – que Laurent Gbagbo ait tous ces soutiens ».

La botte secrète de Ouattara

Les avocats du président déchu ont aussi tenté de dénoncer les mauvais traitements, « assimilables à de la torture » selon eux, qu’il aurait subis lors de ses huit mois de détention en Côte d’Ivoire. Il avait été arrêté, le 11 avril 2011, par les partisans du nouveau président Alassane Ouattara, épaulé par les forces françaises de l’opération Licorne et la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Il avait ensuite été transféré au nord du pays, à Korhogo, avant d’être conduit à La Haye, le 30 novembre 2011. Stratégie de défense ou réels problèmes de santé ? Trois experts, mandatés par les juges, se sont penchés au chevet de l’ex-président, pour dire s’il était en mesure de suivre son procès. À 67 ans, Laurent Gbagbo souffrirait, selon eux, de dépression et d’une grande fatigue. Néanmoins, dans son rapport, le psychiatre Pierre Lamothe affirme que le prisonnier « attend impatiemment l’opportunité » de faire valoir ses thèses « avec l’espoir d’être acquitté à long terme ». Après plus de trois heures d’entretien avec lui, il affirme que l’ex-président est très inquiet « de la façon dont il sera jugé par l’Histoire » et se soucie plus « de son image » que de sa stratégie de défense.

Autorisé à ouvrir une enquête début octobre 2011, le procureur a rendu publics deux mandats d’arrêt, contre Laurent Gbagbo et son épouse, Simone Gbagbo, en février 2012. Ce dernier mandat n’a pas été exécuté par les autorités ivoiriennes, qui, à plusieurs reprises, ont déclaré qu’elles « préféreraient » les juger sur leur sol. Pour Abidjan, le transfert de Simone Gbagbo à La Haye pourrait rendre plus fragile encore la réconciliation dans le pays. Par ailleurs, les affaires Gbagbo ne présentent qu’une seule face des crimes commis en Côte d’Ivoire. Au bureau du procureur de La Haye, on affirme que des enquêtes sont en cours concernant les crimes commis par les fidèles du nouveau chef d’État. Mais Alassane Ouattara dispose d’une botte secrète contre la Cour. Dans son courrier à la Cour du 3 mai 2011 sur la situation en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara expliquait en substance que les institutions judiciaires étaient en cours de reconstruction, mais qu’à l’avenir, il serait possible de juger les responsables dans le pays. Une façon de se réserver la possibilité d’activer les tribunaux ivoiriens si des poursuites de la CPI étaient jugées « inadéquates ». La Cour n’est en effet compétente que si les États n’ont pas la capacité logistique et la volonté politique de conduire des procès équitables.

Cependant l’attentisme apparent du procureur suscite beaucoup d’amertume du côté des pro-Gbago, mais aussi des militants des droits de l’Homme. Diabaté Bambaoulé, de la Coalition ivoirienne pour la CPI, estime qu’à ce jour « il y a un problème de crédibilité de la justice ivoirienne. Pour que les juridictions ivoiriennes soient compétentes, encore faut-il que la législation soit réformée. Mais jusque-là, il appartient à la Cour de poursuivre ». Or pour l’instant, le bureau du procureur semble s’intéresser au seul clan Gbagbo. L’ancien président ivoirien, poursuivi pour crimes contre l’humanité, aurait, selon la poursuite, planifié et mis en œuvre une politique destinée à conserver le pouvoir. Une politique fomentée avec son épouse officielle, Simone Gbagbo, le chef des Jeunes patriotes, Charles Blé Goudé et l’ancien chef d’État-major, Philippe Mangou. Ils sont eux aussi dans le viseur du procureur, mais la Côte d’Ivoire semble vouloir les juger devant ses propres juridictions. En attendant les audiences destinées à confirmer les charges portées par le procureur, Laurent Gbagbo restera donc dans cette prison où, à son arrivée au petit matin du 30 novembre 2011, l’ex-président libérien Charles Taylor l’avait accueilli d’un « welcome ». Une rencontre au sommet entre deux anciens chefs d’État rattrapés par la justice internationale. Mais c’est là leur seul point commun. À la tête du Liberia, Charles Taylor avait envoyé, en 2002 et 2003, des officiers pour soutenir les opposants à Laurent Gbagbo. En représailles, le président ivoirien avait dépêché des milices de l’autre côté de la frontière.

Stéphanie Maupas

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