«Si M. Ouattara est si sûr de son plan, qu’il en débatte avec le Pr Koulibaly en direct à la télévision»
Réalisée par Charles Kouassi in L’Intelligent d’Abidjan
Interview Nathalie Yamb, conseillère exécutive à LIDER
Nathalie Yamb, conseillère exécutive à LIDER (Liberté et Démocratie pour la République) s’est ouverte à l’IA. Dans cet entretien, elle fait le tour de l’actualité socio-politique en Côte d’Ivoire.
Le début d’année a été sombre pour la Côte d’Ivoire. Vos commentaires sur la bousculade du 1er janvier ?
A LIDER, nous sommes profondément choqués par ce qui s’est passé et toute notre compassion va aux familles des victimes et aux rescapés de cette tragédie, qui n’avait pas lieu d’être. Les morts du 1er janvier sont dus à l’inconscience du gouvernement. Je me serai attendue à une démission collective de celui-ci. Mais non ! L’on dissout le gouvernement quand le parlement tente de faire son travail, mais on le maintient en place quand il se rend responsable de la mort d’une soixantaine d’enfants. Les conséquences des conclusions de l’enquête préliminaire du Parquet sont pourtant limpides. La rue mal éclairée est de la responsabilité du District dirigé par M. Beugré Mambé, donc des pouvoirs publics, donc de l’Etat. Le constat du nombre insuffisant de forces de sécurité accuse directement le ministère en charge de l’Intérieur et de la Sécurité, donc l’Etat. La chaussée était rétrécie du fait de troncs d’arbres qui l’encombraient et de la clôture d’un chantier qui empiétait sur la voie publique. Le propriétaire de cet immeuble en construction qui s’approprie l’espace public comme s’il était sien, serait Guillaume Soro, ci-devant président de l’Assemblée, qui est donc co-responsable de l’homicide involontaire de toutes les personnes qui ont perdu la vie dans cette bousculade. L’Etat est ainsi non seulement malfaiteur, mais également malfaisant. Il fait mal, il fait ce qui est mal, il fait du mal. Avec cette débauche de milliards dépensés pour les feux d’artifices meurtriers et l’escroquerie des Koras, le gouvernement a montré ce qu’il sait faire de mieux : faire du spectacle et se donner en spectacle. Alors que la seule chose que les populations attendent est qu’on mette enfin en place les politiques promises qui réconcilient et sortent de la pauvreté. Au lieu de cela, le régime les jette dans la mort et les affame.
Le Président de la République a pourtant dressé un bilan satisfaisant de l’action de son gouvernement pour l’année 2012 à l’occasion de ses vœux de fin d’année.
Ce message ne peut, d’évidence, s’être adressé aux populations ivoiriennes. Elles connaissent trop la réalité qui les frappe. Trois jours après ces vœux d’artifice, le gaz et l’essence ont augmenté sans préavis, sans campagne d’information et surtout, sans raison. Et quelles augmentations !! 11% pour la bonbonne de 6 kg, 30% pour celle de 12,5 kg et 106% pour celle de 28 kg. Depuis 2011, ce gouvernement est constant dans sa nuisance envers le portefeuille et le bien-être des Ivoiriens. Après les denrées de première nécessité, comme le riz, l’huile, le savon, le pain, les tomates, les oignons, c’est maintenant au tour du gaz et de l’essence, avant l’électricité puis les transports. On ne peut pas augmenter l’essence sans que cela n’induise une augmentation des prix du transport et un nouvel accroissement des prix des denrées de première nécessité. Pendant ce temps, on nous parle de croissance et d’émergence. L’on apprend que les autorités disent que la subvention du super sans plomb coûtait 40 milliards de FCFA par an à l’Etat et les arriérés des pouvoirs publics relatifs au gaz domestique s’élevaient à 25 milliards. Mais ces 65 milliards ne représentent absolument rien pour nos nouveaux gouvernants milliardaires.
Le Président a affirmé que même si l’argent ne circule pas, l’argent travaille.
Il travaille où ? Il travaille pour qui ? C’est un pillage sans précédent qui a lieu, et les Ivoiriens sauront s’en souvenir et y mettre fin en élisant un nouveau président en 2015. Un président qui saura libérer le marché de l’entreprise créateur d’emplois. Un président qui saura faire cesser les monopoles spoliateurs filés de gré-à-gré. Un président qui saura réconcilier les Ivoiriens. Un président qui sera exemplaire et rigoureux. Un président qui sanctionnera ceux qui pillent les fonds publics. Un président qui interdira à tous les hauts fonctionnaires, d’aller se faire soigner à l’étranger pendant que le peuple se meurt dans des structures médicales de 6ème zone. Un président qui rendra la terre à ses propriétaires légitimes, les paysans, au lieu de la garder par devers lui dans le giron de l’Etat. Un président qui rendra sa souveraineté monétaire à la Côte d’Ivoire, tout en l’ouvrant sur le monde. Un président qui limitera lui-même ses pouvoirs pour se mettre au service du peuple et non pour le dominer. Un président qui inspirera la confiance. Un président qui admettra que ce n’est pas l’argent qui travaille, mais les hommes. Un président qui n’aura pas besoin de faire de la prestidigitation communicationnelle parce que l’argent circulera, et que tout le monde le verra et le ressentira, pas seulement une poignée de privilégiés proches du pouvoir.
Que pensez-vous de la situation sécuritaire en ce début d’année 2013 ?
C’est une immense catastrophe. La place d’une armée en temps de paix se trouve dans les casernes et non dans les contrôles de police sur l’ensemble du pays. Le contrôle du territoire par les Frci dix-huit mois après leur l’accession au pouvoir prouve deux choses: soit nous sommes en état de guerre permanent, soit les Frci, bien qu’ayant le pouvoir, ont échoué à sécuriser les populations et les terrorisent au quotidien. Il est évident que les Frci sont là pour faire la guerre. En général, ce sont elles qui attaquent les populations civiles. Et les quelques fois où elles ont-elles-mêmes été attaquées, il s’agissait aussi bien de règlements de compte internes que d’offensives contre elles. Les Frci, depuis leur institution comme armée du Rdr mise à la disposition de Ouattara pour gouverner, se montrent totalement réfractaires à la République. Ce n’est pas étonnant compte tenu du fait qu’elles sont, quoi qu’on fasse, les rejetons des Fafn et les avatars du Mpci. Ce sont des forces rebelles qui haïssent profondément la République, qu’elles ont combattu depuis 2002. Elles constituent désormais les Factions Répressives de Côte d’Ivoire à la solde du régime pour pérenniser la dictature qui prévaut depuis le 6 mai 2011.
Le président de votre parti, le Pr. Mamadou Koulibaly, a suggéré que la réforme de la sécurité soit confiée à l’Onu. Une telle proposition est-elle réaliste ?
Non seulement elle est réaliste, mais c’est la seule option possible et elle doit être réalisée dans les plus brefs délais. Le désordre de l’armée ivoirienne remonte à la décision d’Houphouët-Boigny de nommer le colonel Guéi à la tête de l’Etat-major, l’imposant ainsi comme supérieur hiérarchique à des militaires plus capés et plus haut-gardés que lui. Des généraux se sont alors retrouvés sous les ordres d’un colonel! C’est à partir de ce jour-là, lorsque les principes de l’ancienneté et de la hiérarchie ont été bafoués par Houphouët, que des soldats se sont dits que plus rien ne les empêchaient d’inverser la chaine de commandement, fut-ce en faisant des coups d’Etat. Et depuis, aucun de ceux qui se sont succédé à la tête de l’Etat n’a eu le courage d’engager les réformes nécessaires. Pourtant, le gouvernement dispose de toutes les données utiles pour diagnostiquer le mal et y remédier une fois pour toutes. Gbagbo déjà n’avait pas osé prendre le problème à bras le corps. Quant à Ouattara, il est parfaitement incapable d’y apporter une solution, d’autant plus que ce n’est qu’à travers cette milice qui tient lieu d’armée régulière qu’il peut asseoir sa tyrannie. Je parle de milice, parce qu’elle est constituée de jeunes paysans, gardiens de troupeaux, mécaniciens, employés de maison, élèves, désœuvrés qui ont été armés pour exécuter des missions militaires et de police sans la moindre formation. A LIDER, nous disons qu’il faut une réforme profonde du secteur sécuritaire. Il faut des écoles militaires dignes de ce nom, il faut ré-inculquer les valeurs du respect et de la République à nos soldats, il faut procéder au désarmement de tous ces miliciens enrôlés par les hommes politiques pour défendre leurs fauteuils, qui ne savent que tuer mais pas combattre. Au point où nous en sommes arrivés, il serait judicieux que le secteur de la sécurité soit momentanément retiré des prérogatives du ministre de la Défense-Président de la République, dont l’incapacité notoire à gérer ce dossier sensible n’est plus à démontrer depuis deux ans qu’il est au pouvoir. Si le mandat de l’Onuci est bien la protection des populations civiles, alors il faut qu’elle nous reconstruise sans tarder une armée républicaine.
Mais cela ne signifie-t-il pas une perte de souveraineté ?
Mais de quelle perte de souveraineté parlez-vous ? Nous vivons dans un pays où les ministres ont tellement peu confiance en leur propre politique sécuritaire qu’ils ont planqué leurs familles à l’étranger. Nous vivons dans un pays à propos duquel toutes les organisations humanitaires internationales relèvent la violence d’Etat, les actes de torture et les exactions quotidiennes commises par les Frci. Soyons sérieux. Si on veut parler de souveraineté, alors libérons-nous du franc cfa, libérons-nous de la dette. Mais là, il s’agit de notre sécurité à tous, pas seulement celle du clan au pouvoir. Comme les casques bleus ne peuvent pas être partout sur le territoire, la meilleure solution, celle qui fait le plus de sens, c’est de leur confier la réforme du secteur. Ils extirperont ceux qui n’ont rien à y faire, mettront de l’ordre dans le fouillis qui y règne depuis des décennies, remettront sur pied une armée républicaine, constituée de soldats qui seront formés pour sécuriser les frontières et non tuer les populations civiles ; de policiers et de gendarmes qui assureront la sécurité publique des biens et des personnes, avec les équipements nécessaires pour cela. Quand ils auront fini, la confiance reviendra peut-être entre l’armée et la population, et l’on pourra alors aller à des élections réellement sécurisées.
Justement, parlant des élections, votre parti refuse d’y prendre part et a claqué la porte du CPD. Que signifie ce coup d’éclat ?
Cette réunion n’avait pas d’autre but que de bluffer les partenaires étrangers du régime, en l’occurrence à l’occasion du gasoil de la directrice générale du Fmi à Abidjan, relativement à ses capacités d’instaurer des pratiques démocratiques. On convoque les opposants pour faire risette sur une photo de famille à l’intention de la communauté internationale alors que le reste du temps, on les violente, on les brime, on les ignore, on les persécute, on tente de les éliminer! A LIDER, nous refusons de nous laisser instrumentaliser à cet effet par le gouvernement. Ce qui est ressortit de la rencontre confirme la mascarade et la vacuité de cette réunion. J’ai entendu le Premier ministre dire que le gouvernement avait proposé un financement aux partis politiques pour aller aux élections. Certains s’en contenteront peut-être et sont pleinement satisfaits de servir de faire-valoir du gouvernement tant que cela leur rapporte quelques sous, mais ce n’est pas le cas de LIDER. Nous ne voulons pas l’aumône de la part du gouvernement ! Nous voulons un statut formel pour l’opposition politique en Côte d’Ivoire et, comme l’a dit le Pr Koulibaly sur les ondes de Rfi hier matin, c’est en tant que membre de l’opposition statutaire que nous reprendrons notre place à la table du CPD, pour discuter des questions électorales, sécuritaires, judiciaires, des réformes du foncier, du recensement de la population etc. Que monsieur Kablan Duncan ne se trompe pas. Nous ne demandons pas la charité du gouvernement pour aller aux élections : nous voulons un financement permanent et non conditionné pour mener nos activités politiques en bénéficiant de la couverture des médias d’Etat, en toute indépendance et en toute sécurité, qu’on soit en période électorale ou non ! Nous attendons du gouvernement qu’il respecte ses engagements et ses interlocuteurs au sein du Cadre permanent du dialogue.
LIDER est-il le seul parti d’opposition en Côte d’Ivoire ?
L’opposition-je parle de la vraie opposition, pas celle que le pouvoir s’est choisie-est encore un peu désorganisée, ce qui n’est pas étonnant quand on considère son manque de statut et que l’on voit la brutalité et l’état de non droit qui sévissent en Côte d’Ivoire depuis deux ans. On frappe, on torture, on menace, on arrête, on intimide, on pille, on tue… C’est avec le sang des opposants que l’on installe la tyrannie. Mais d’ici 2015, elle aura le temps de s’homogénéiser pour mettre un terme à cela en s’unissant, je l’espère, autour des principes fondamentaux consensuels que sont la reconquête de notre liberté, la culture de la démocratie et le respect de la République et du peuple souverain. A LIDER, nous pensons que le rôle de l’opposition est de veiller à ce que les dirigeants n’abusent pas de leur pouvoir pour opprimer les populations. L’opposition doit créer un pont vers la société civile pour éviter l’isolement des uns et des autres et limiter ainsi les dérives des élus pro-gouvernementaux. L’opposition doit aussi s’atteler à l’éveil pédagogique des citoyens en ce qui concerne la vie politique, économique et sociale. Nous pensons qu’il ne faut pas seulement critiquer les actes du régime en place, mais également proposer des alternatives. Il y a des chantiers importants que l’opposition doit prendre à bras le corps dans l’intérêt des populations et de la réconciliation : la question sécuritaire, la réforme du foncier rural, le reformatage de la CEI qui est forclose depuis janvier 2012, l’actualisation de la liste électorale. C’est quand même scandaleux de voir que des gens qui ont pris des armes et causé la mort et la désespérance de milliers de personnes pendant près d’une décennie, soit disant pour permettre à toutes les populations d’accéder à leurs papiers d’identité et au droit de vote, décident, une fois au pouvoir, d’exclure des millions d’Ivoiriens des listes électorales !!! Cela met à nu le mensonge permanent dans lequel la rébellion et ses financiers se vautrent depuis 2002.
Qu’est-ce que LIDER va faire en 2013 ?
Cette année est pour nous celle du terrain. Nous allons continuer l’installation du parti, notamment à l’intérieur du pays. Nous allons être à l’écoute des soucis, des peurs, des rêves des citoyens. Nous allons parler aux populations partout en Côte d’Ivoire, leur expliquer notre vision, notre programme, les consoler, leur redonner espoir et courage pour refuser la tyrannie qui tente par tous les moyens de s’imposer à nous. Et nous allons continuer de mettre l’accent sur la formation de nos militants, pour qu’enfin émerge une nouvelle classe politique dotée de convictions idéologiques solides, qui sache débattre sans se battre, qui argumente sans insulter, qui défende ses idées sans violence ou belligérance, qui critique fermement mais avec courtoisie, qui réalise ce qu’elle promet, et qui dépasse les clivages ethniques, tribaux, régionaux ou religieux pour proposer des solutions innovantes et de bons sens pour lutter contre le seul vrai ennemi que nous ayons : la pauvreté.
Vous êtes la Conseillère exécutive du président de LIDER, et vos détracteurs vous dénient le droit de vous prononcer sur la vie politique nationale parce que vous auriez des passeports non ivoiriens. Que leur répondez-vous ?
J’en rigole. Ce n’est pas à ceux que vous appelez mes « détracteurs » de décider sur quels sujets je peux m’exprimer ou pas. LIDER est un parti politique ouvert à tous, Ivoiriens et non Ivoiriens. Nos statuts stipulent d’ailleurs notre vocation panafricaine et je saisis l’occasion qui m’est offerte ici pour appeler tous ceux qui sont intéressés par notre programme et nos idées à nous rejoindre, quelle que soit leur nationalité. Et puis, vous savez, si on disait à tous ceux qui ne sont pas Ivoiriens de ne pas s’impliquer dans la vie politique en Côte d’Ivoire, on passerait du stade de la forêt à celui de la steppe, ne serait-ce que dans l’entourage du chef de l’Etat et des membres du gouvernement.
Est-il exact que vous avez fait l’objet de tentative d’intimidation et de rappel à l’ordre lors de votre précédente sortie dans les colonnes de l’IA ?
Oui. Mais, les intimidations, tout comme les mystérieux accidents de voiture, ne nous ont jamais fait reculer. Bien au contraire, les brimades, les menaces, les intrigues, les tentatives de chantage et d’asphyxie financière décuplent notre énergie et renforcent notre détermination.
A travers des interventions, le Pr. Mamadou Koulibaly et le Dr Prao Séraphin, ont démonté le plan national de développement du Président Ouattara, pourtant présenté comme le parchemin pour l’émergence. LIDER ne fait-il pas preuve de mauvaise foi en s’attaquant ainsi à la politique économique du chef de l’Etat ?
Non. Prétendre qu’on va atteindre des taux de croissance en hausse de 13% alors que les populations se sont appauvries de façon drastique, le coût de la vie a explosé, n’est pas la verite. Mais c’est très simple. S’il est si sûr de son plan, que le Président Alassane Ouattara accepte d’en débattre avec le Pr. Koulibaly en direct à la télévision nationale et puis les Ivoiriens jugeront sur pièce. Et si jamais il n’a pas le temps, qu’il envoie le ministre de l’Economie ou le ministre du Plan ou même les deux. Le régime Ouattara n’affirme-t-il pas qu’il est démocratique? En démocratie, on débat avec son opposition, on ne la censure pas, on ne la violente pas. Si le gouvernement ne craint pas la contradiction, qu’il ordonne à la RTI de faire son travail et organise ce face-à-face ! Nous sommes prêts. Messieurs Ouattara, Kablan Duncan et Mabri Toikeusse le sont-ils ?
Réalisée par Charles Kouassi
L’Intelligent d’Abidjan
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