Par Adam Khalil, ENVOYÉ SPÉCIAL au Ghana Fraternité Matin
Des regards interrogateurs. Des coups d’œil de gauche à droite, comme pour voir la réaction de son voisin de table. Dans la salle du Banquet Hall d’Accra, plusieurs convives ont les yeux écarquillés. D’autres restent de marbre devant les résultats donnés par le jury. L’Ivoirien Yaya Touré est le vainqueur du Ballon d’or 2012 devant son compatriote, Didier Drogba.
Jeudi soir, l’ambiance de fête du début de cérémonie a fait place à un grand mystère à la fin du gala.
Une fête pourtant rythmée par les chansons de grandes figures de la musique africaine. Le chanteur-compositeur malien Salif Kéita, par ailleurs vainqueur du Best World Music 2012, berçait l’assistance avec des chansons de son album ‘’Différence’’. Le groupe sud-africain, Ladysmith Black Mambazo, trois fois vainqueur du Grammy Awards, compilait à merveille, harmonie traditionnelle et sonorités de la musique gospel, rythmé par des refrains de l’album Graceland que reprenait le public…Autour de plats exquis et dans un décor feutré.
Le public de choix du Banquet Hall restait, jusque-là convaincu de sa participation à une belle soirée de gala. Une fête pour les footballeurs africains dont les plus méritants passaient tour à tour sur le podium : l’Égyptien Mohamed Salah (meilleur espoir 2012), l’Équato-Guinéenne Genoveva Anoman (meilleure footballeuse 2012), l’égyptien Abu Trika (joueur de l’année évoluant sur le continent)… Les gestes approbateurs de l’assistance en disaient long, chaque fois que les maîtres de cérémonie (Jhon Barnes et Anita Erskine) donnaient à haute voix les noms des gagnants. Une fête du football, parrainée par le géant des télécommunications nigérian, Globacom, qu’Issa Hayatou a particulièrement remercié. Les Caf Awards, dans leur nouvelle version, sont à leur 8e édition.
Si cette distinction est vieille de 42 ans, les dernières éditions ont toujours été sujet à controverse.
Même si dans son discours, le président de la Caf s’évertuait à montrer la crédibilité de son institution. «Le jury (…) va nous donner les résultats. Comme vous, je n’ai pas connaissance des résultats», a-t-il soutenu. Si Didier Drogba et Yaya Touré étaient présents, c’est parce que l’un comme l’autre avaient des chances de remporter le trophée. Ce n’était pas le cas d’Alexandre Song. Le défenseur camerounais du FC Barcelone qui n’avait jamais atteint le podium africain, espérait devenir le troisième joueur des Lions Indomptables à remporter ce trophée après Eto’o (2003, 2004, 2005 et 2010) et Patrick Mboma (2000). Et lorsque les informations ont filtré sur le vainqueur, il a préféré se rétracter. Pendant que les dirigeants de Manchester City auraient donné la certitude à la Caf de faire venir par jet privé, Yaya Touré, si éventuellement l’international milieu de terrain était l’heureux élu. Le staff de Didier Drogba, pour sa part, avait eu confirmation que l’ancien buteur de Chelsea serait lauréat pour la troisième fois. Mais le prix a été attribué à Yaya Touré (vainqueur du titre de champion d’Angleterre), qui glane un deuxième trophée consécutif, sous le regard admiratif de Didier Drogba (vainqueur de la Ligue des champions d’Europe).
Un gros paradoxe ? Les participants n’en font pas cas. Sans doute pour ne pas enfler la polémique.
Et, certainement, pour ne pas se faire tirer les oreilles par les membres de la Caf. « Ce sont deux grands footballeurs. Ils jouent dans la même sélection. C’est vrai que beaucoup de personnes ont pensé à Didier Drogba, mais Yaya mérite aussi ce trophée », laisse entendre Kalusha Bwalya, président de la Fédération zambienne. « Les deux sont mes amis. Ils sont de très grands footballeurs. C’est le plus important», rétorque Rigobert Song, manager des Lions Indomptables du Cameroun. Le Guinéen Almamy Kabélé Camara, vice-président de la Caf, lui, reste convaincu que «ce prix fait honneur au football africain. Tout le mérite revient à la Caf et à son président, Issa Hayatou, qui travaille pour le développement du football africain».
Critères aléatoires
Selon ses membres de l’instance africaine, il faut comprendre que le jury est composé de sélectionneurs et directeurs techniques nationaux issus des 53 fédérations affiliées à la Caf. Ainsi, le trophée est décerné à tout joueur d`origine africaine évoluant sur le continent ou en dehors et s`étant distingué au cours de l’année de référence. C’est dire que les votants sont appelés à opérer leur choix suivant des critères bien définis. Les performances du joueur au niveau national et international constituent les faits les plus importants. Suivent son accomplissement sportif, son charisme et son influence sur le jeu. Des critères pas toujours pris en compte quand on regarde les différentes listes retenues à chaque édition depuis 2003. L’absence, par exemple, de l’Ivoirien Gervinho (Arsenal) sur la liste finale des nominés, combinée à la présence du Ghanéen André Ayew (Olympique de Marseille), confirme l’assertion qui veut que les votants sont plus guidés par le côté affectif.
Comme ce fut le cas en 2007 avec le trophée attribué au Malien Frédéric Kanouté parce que le lauréat désigné à la suite du vote, Didier Drogba, a tout simplement refusé de se rendre à Lomé Togo pour récupérer son prix alors que sa sélection nationale préparait un match des quarts de finale de la Can 2008 au Ghana. Pour réparer cet impair, Hayatou a décidé, à nouveau, d’offrir le trophée à l’attaquant ivoirien, alors que la planète foot voyait le sacre du Camerounais Samuel Eto’o Fils, le privant ainsi de son quatrième titre qu’il finira par obtenir en 2010, devenant le recordman du Ballon d’Or africain. Déjà lauréat en 2003, 2004 et 2005, Samuel Eto’o devance le Ghanéen Abedi Pelé (3 fois, 1991, 1992, 1993) et le Libérien George Weah (1989, 1994, 1995) et un quatuor aux deux titres le Camerounais Thomas N’Kono (1979, 1982), le Nigérian Nwankwo Kanu (1996, 1999), le Sénégalais El Hadj Diouf (2001, 2002), Didier Drogba (2006, 2009) et l’Ivoirien Yaya Touré (2011 et 2012).
Avec la dernière distinction, au Ghana, l’on retiendra que le prix doit certes se bonifier. Mais, avec une meilleure organisation.
ADAM KHALIL,
ENVOYÉ SPÉCIAL AU GHANA
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