Par Olivier DOSSOU FADO*
A l’invitation du MORAF (Mouvement pour la Renaissance Africaine), un cercle de réflexions et de lobbying sur l’Afrique, Bruno Amoussou, ancien Président du Parlement béninois et naguère Secrétaire Général de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) a présenté une communication intitulée « Bilan et perspectives des processus démocratiques en Afrique), le samedi 20 octobre 2012 à l’Horloge du Sud à Bruxelles en Belgique. Nous retraçons ici les principaux points saillants qui ont meublé cet échange fort enrichissant, au regard de la somme d’expériences du conférencier.
1-De la décolonisation à l’émergence des Etats postcoloniaux
Selon Bruno Amoussou, comprendre l’évolution des processus démocratiques en Afrique (Sub-saharienne) reviendrait à distinguer deux niveaux d’analyses :
Au plan intérieur, les causes de l’émancipation politique des pays africains sont liées au rôle d’organisations politiques comme le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) en Afrique francophone, incarné par Houphouët Boigny et d’autres organisations moins bien connues. Ajoutons-y aussi, l’action des syndicats à l’instar de l’Union Générale des Travailleurs en Afrique Noire (UGTAN) et les cheminots de l’Afrique de l’Ouest qui ont également participé à la conscientisation des masses laborieuses dans la dénonciation du fait colonial. Le rôle des différents Cercles intellectuels animés par Alioune Diop, Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor ainsi que la mobilisation de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) dans la diffusion des idéaux de liberté et de dignité permirent de sensibiliser l’opinion publique sur les méfaits du colonialisme en Afrique. Il importe également d’ajouter l’action très déterminante de la West African Students Union (WASU) basée à Londres dans la fermentation de la lutte pour la décolonisation de l’Afrique anglophone avec des leaders comme Kwame Nkrumah, devenu par la suite, Président du Ghana.
Au plan extérieur, la conjoncture internationale liée à la fin de la seconde guerre mondiale, était favorable à l’émancipation des anciennes colonies françaises et anglaises notamment. C’est dans cet ordre d’idées que s’inscrivent, les pressions de l’administration étasunienne déjà à partir de 1943 pour une dislocation totale des empires coloniaux. Du fait des pressions du Président Franklin Roosevelt des Etats-Unis, Charles de Gaulle et Winston Churchill, respectivement Président du Comité de Libération Nationale et Premier Ministre de Grande-Bretagne, vont accélérer le rythme des décolonisations en Afrique et en Asie, une fois la guerre terminée.
Par ailleurs, l’aide politique et logistique des pays socialistes d’Europe et d’Asie après la seconde guerre mondiale permit de soutenir activement la lutte des mouvements de libération nationale sur le plan militaire. L’objectif de ce soutien accordé par exemple à l’Union des Peuples du Cameroun (UPC) en 1955 au Cameroun et au Front de Libération Nationale (FLN) en Algérie en 1954 était de s’affranchir de l’impérium colonial et de créer des Etats africains réellement indépendants. La décolonisation sera réelle et effective dans quelques pays africains (sphère anglophone) et nominale dans beaucoup d’autres (sphère francophone).
Bruno Amoussou fera observer que les pays qui optèrent pour une rupture frontale (politique ou militaire), offrent une situation bien meilleure que ceux qui choisirent le régime de communauté entre la France et ses ex-colonies dénommé « Loi-cadre Defferre ». De fait, les pays sous association avec Paris connurent un lent décollage économique marqué par une économie de type colonial avec le maintien des anciens comptoirs coloniaux de négoce très actifs dans la vie économique des pays francophones conjugués à une industrie très rudimentaire.
Sur le plan politique, les anciens administrateurs coloniaux troquèrent leurs costumes métropolitains contre de nouveaux apparats pompeusement dénommés « coopérants techniques » au service des nouveaux Etats !
Selon le conférencier, cette imposture se traduira par la formulation de nouvelles expertises qui renforcèrent la dépendance coloniale au détriment d’une réelle émancipation politique et économique. Selon ces « coopérants techniques », la démocratie n’était guère prioritaire. L’important était l’édification d’un Etat stable, fort et répressif (state building) au détriment des libertés publiques et de la consolidation d’un véritable sentiment national (nation building).
Sur le plan social, cette situation se traduira par l’apparition d’une nouvelle forme de travail forcé abusivement qualifiée d’« investissements humains ».
Notons que le culte de la personnalité, la délation, la corruption et l’arbitraire judiciaire étaient légion dans ces nouveaux Etats.
Dans la vie économique, le dirigisme étatique était le maitre mot car seule l’implication étatique au détriment de l’initiative privée, générerait un réel développement économique. Le conférencier fera remarquer qu’un tel système portait en lui, les germes de sa propre faillite.
2- Détour par la prime à la démocratie et la bonne gouvernance
Multipartisme et bonne gouvernance ! Tels sont les nouveaux slogans à la mode en ce début des années 90. La chute de l’ordre politique ancien, marqué par un dirigisme étatique très prégnant dans tous les secteurs de la vie publique ainsi que les contestations sociales dans plusieurs pays africains ont été les principaux déterminants internes qui ont conduit à l’implosion de ce système monolithique.
Au niveau international, la chute du Mur de Berlin en 1989 et la déliquescence de l’URSS, concourront à engendrer un nouvel ordre politique plutôt libéral.
C’est dans ce contexte que jailliront partout en Afrique, les Conférences Nationales comme mode de transition pacifique d’un régime politique à un autre. Le Bénin de ce point de vue, sera pionnier en organisant avant tous les autres, la Conférence Nationale Souveraine le 19 février 1990 afin de se sortir de l’impasse politique dans laquelle le régime marxiste-léniniste de Mathieu Kérékou l’avait enfermée. Par effet d’entrainement à cette vague de renouveau démocratique sur le continent, le Chef de l’Etat français, François Mitterrand prononcera le fameux « Discours de la Baule » du 20 juin 1990 durant lequel l’aide publique au développement sera désormais conditionnée à la mise en place de réformes démocratiques, suivant des conditionnalités liées au respect des droits de l’homme et de son volet économique, la bonne gouvernance.
La « prime à la démocratie » était née !
Au demeurant, les pays pionniers en matière d’émancipation démocratique en attendent toujours sa matérialisation effective en termes d’aide publique au développement. Ces réformes politiques iront de pair avec la mise en place des Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) dont l’objectif était l’implémentation d’une économie libérale suivant la doxa du Consensus de Washington . Cet ensemble de mesures politiques était censée juguler la crise économique qui étreignait de nombreux pays africains. C’est alors qu’un OPNI –Objet Politique Non Identifié – de type nouveau, fera irruption sur la scène politique : le technocrate. Véritable bras séculier des institutions de Brettons Woods en Afrique, le technocrate n’est rien d’autre qu’un gestionnaire moulé dans l’idéologie néolibérale et le principal exécutant des conditionnalités du FMI et de la Banque Mondiale dans les pays en proie à une crise économique.
Le conférencier, Bruno Amoussou, fera observer que le bilan de ces fameux technocrates à la tête des pays africains est plus que mitigé à défaut d’être marginal. Cette vague de renouveau politique en Afrique, cèdera vite place au désenchantement démocratique et à l’exclusion sociale.
3- Désenchantement démocratique, mondialisation et pauvreté : comment en sortir ?
Le milieu des années 90, verra le retour sur les devants de la scène politique, d’anciens autocrates jadis rejetés par les populations de leurs pays respectifs.
Mathieu Kérékou en 1996 au Bénin, Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville en 1997 , Didier Ratsiraka en 1997 à Madagascar reviendront aux affaires cette fois-ci en « démocrates convertis ». Haro sur le treillis militaire jugé trop archaïque et vive désormais le costume civil !
Hélas, les fruits ne tiendront pas la promesse des fleurs et partout l’Afrique se réveillera une fois de plus avec la gueule de bois économique et le désenchantement démocratique.
Dans la région des Grands lacs, ce sera la décennie de la Terreur marquée par les massacres au Burundi et au Rwanda (1990/1994), la lente et longue agonie du Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) qui verra la chute de Mobutu (1997) et enfin, la guerre civile au Congo-Brazzaville qui provoquera la chute de Pascal Lissouba (1997) de l’autre coté de la rive du fleuve du même nom. Une fois de plus, l’Afrique sombre dans la violence.
Mais cette descente aux enfers de l’Afrique verra aussi, sur le plan médiatique, la résurgence de nouveaux négrologues que fustigeait déjà dans les années 70, le philosophe béninois Stanislas Spéro Adotevi. Ainsi, le journaliste Stephen Smith , véritable laudateur d’une Afrique maudite et damnée à jamais, décrit dans son ouvrage une Afrique qui se meurt lentement à l’ombre des cocotiers.
D’autres également comme Jeffrey Sachs, économiste américain et consultant spécial des Nations Unies, pense que « l’Afrique est pauvre parce que sa gouvernance est pauvre » .
Dans le même ordre d’idées, un Chef d’Etat français, Nicolas Sarkozy pour ne pas le citer, n’hésitera pas à fustiger en juillet 2007 à Dakar « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire.
Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir… Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin…». Sarkozy intervient après que son prédécesseur à la tête de la France, Jacques Chirac, eût dit en 1990 que « L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ! ». A chacun son imaginaire colonial !
Cette mélancolie coloniale spécifique aux élites françaises dans ses liens avec son ancien pré carré est le déterminant essentiel qui a prévalu à l’instauration de la « Françafrique » , réseau d’intérêts personnels au détriment des relations d’Etat à Etat hors de tout contrôle démocratique. C’est certainement par ce prisme que s’expliquerait une immense partie du retard que connaît la partie l’Afrique francophone.
Dans un droit de réponse à Jacques Chirac resté célèbre, l’écrivain congolais, Sony Labou Tansi pense que la France est tout simplement « malade de ses anciennes colonies » et a du mal à se penser sans l’Afrique qu’elle pille et exploite plus que de raison.
Face à ce racisme institutionnel de bon aloi, au mépris politique et à l’appropriation de l’espace africain et l’exploitation des richesses stratégiques (pétrole, gaz, coltan, uranium, bauxite, nickel…), l’Afrique manque cruellement d’un leadership fort et audacieux. Par ailleurs, la mondialisation des échanges et le triomphe rampant d’un capitalisme financier outrageusement prédateur est une menace sérieuse pour l’avenir du continent. Même les denrées alimentaires (riz, mais, soja, blé) sont l’objet d’une politique spéculative sans limites.
L’une des conséquences directes de cette spéculation boursière sur les céréales, fut l’explosion du prix des denrées alimentaires importées en Afrique d’une part, et la montée des contestations sociales qualifiées d’« émeutes de la faim » entre 2007 et 2008 d’autre part.
Dans cet « ordre cannibale du monde » selon le sociologue suisse Jean Ziegler , l’Afrique est à la traîne et compte pour moins de 1% des échanges internationaux conjugué à une insignifiance diplomatique.
La « voix de l’Afrique » ne pèse rien sur la scène internationale.
Sur le plan interne, la pauvreté et sa logique d’exclusion frappent les populations déjà appauvries par les chutes rédhibitoires des prix des matières premières (coton, arachides, thé, café, cacao, mines,…), dues à la suppression des Caisses de péréquation censées atténuer les chocs exogènes liés à la volatilité des prix sur le marché mondial. L’exode rural, la morbidité, la misère, l’immigration clandestine et la dépréciation des valeurs morales accablent gravement l’Afrique.
Face à un tableau aussi alarmant, Bruno Amoussou, auteur, entre autre de « l’Afrique est mon combat » , fera remarquer que des motifs d’espoir subsistent malgré tout. Pour créer l’espoir et une espérance nouvelle, il faudra définir un cadre incitatif qui passe par :
-La restauration de l’intérêt de la population et des élites pour l’action publique à travers les partis politiques et les associations. Cela aurait le mérite de contribuer à élever le niveau d’expertise des acteurs politiques et associatifs pour la res publica (chose publique) ;
-La redéfinition d’un cadre politique sain pour les partis d’opposition et contribuer à leur financement public. La question du financement passe aussi par l’adoption d’un véritable statut de l’opposition sur le plan juridique ;
-Le recours à l’intégration politique au niveau régional ou continental, principe de subsidiarité oblige, afin de que l’Afrique ait voix au chapitre concernant les difficultés qui l’étreignent.
Cette visée intégratrice devra également jeter les bases pour un meilleur développement économique et social de nos espaces territoriaux, grâce à la mise en place d’un marché commun ainsi que la mutualisation des coûts liés à des investissements structurants : routes inter-Etats, ponts, universités, centrales thermiques ou hydroélectriques, aéroports, complexes agro-industriels, cimenteries… ;
-La refondation d’une nouvelle éthique commune quant à l’intérêt général et au bien public.
En guise d’épilogue, dans « Un défi pour l’Afrique » , l’ancienne Prix Nobel de la Paix 2004, Wangari Maathai, pense que la sortie de ce qu’elle qualifie si pertinemment de syndrome du mauvais autobus passe aussi par l’affirmation d’un nouveau leadership fort, hégémonique et responsable au service du continent africain. Quel pays pourrait alors incarner ce leadership ?
L’Afrique du Sud m’apparaît en tous points de vue (militaire, économique, stabilité des institutions, légitimité historique), comme la puissance idoine pour incarner cette mission. Toutefois, dispose-t-elle réellement d’un agenda africain, des moyens nécessaires et de la mystique qui fonde toute quête de leadership ? Au stade actuel, il est permis d’en douter.
Bruxelles le 19 décembre 2012
*Vice-Président du Mouvement pour la Renaissance Africaine (MORAF)
Bruxelles (Belgique)
moraffd@yahoo.fr
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