L’administration, de retour dans le nord de la Côte d’Ivoire

Le nord de la Côte d’Ivoire, coupé du pouvoir central pendant près de dix ans, retrouve progressivement une administration normale.

Seydou Coulibaly conduit un moto-taxi à Bouaké, deuxième ville de Côte d’Ivoire et bastion de la rébellion des Forces nouvelles de 2002 à 2010. Seydou a pris les armes aux côtés des rebelles. Il dit les avoir déposées il y a deux ans. Puis a enfourché sa moto, transformée en taxi, mais qui ne porte pas de plaque d’immatriculation. « On nous a dit de déclarer les motos, mais ils peuvent toujours attendre…, lance-t-il. J’attends que l’on me verse mes indemnités d’ancien combattant, et après j’irai la dédouaner. »

Un an et demi après la fin de la crise post-électorale, le retour de l’administration et de l’État dans les ex-zones CNO (centre, nord et ouest), c’est d’abord, pour les populations, le retour des impôts et taxes de dédouanement. Des impôts, certes, existaient sous les rebelles, mais ils étaient plus aléatoires. Quant aux douanes, les produits provenaient du Burkina Faso et du Mali voisins par contrebande.

Les consommateurs paient le « vrai prix »

« On a eu dix ans de guerre, pas dix jours… Il faut reprendre les habitudes perdues » , estime Mamadou Tuo, gérant d’une boutique de matériel informatique à Korhogo, à l’extrême nord du pays. Reprendre les habitudes, et donc payer plus cher les produits. « Le commerce tournait mieux avant. Tout est plus cher… mais les salaires n’ont pas augmenté », affirme Albertine Kouassi, 32 ans, qui tient un maquis (bar) dans le centre de Bouaké.

Pour Lassina Diomandé, député de Bouaké, les consommateurs paient le « vrai prix » pour des produits de meilleure qualité : « Le riz, l’huile ou le pétrole étaient moins chers, mais il n’y avait aucun contrôle », rappelle-t-il. Les banques ont rouvert leurs bureaux, et les multinationales du pétrole relancent leurs stations d’essence – même si l’on voit encore dans les rues de nombreux revendeurs.

Le retour de l’État dans le nord de la Côte d’Ivoire avait débuté en 2007 après les accords de paix de Ouagadougou, mais il était souvent limité à un service minimum. Les autorités locales parlent aujourd’hui d’une administration au complet, ou presque : à Bouaké, les locaux de la sécurité sociale, la CNPS, continuent d’être occupées par des forces armées.

Les habitants sont amers et attendent plus

Au jour le jour, c’est tout de même la fin de complications pour de nombreux habitants. Plus besoin de venir à Abidjan ou Yamoussoukro, la capitale, pour retirer un certificat de naissance ou autres titres administratifs. L’éducation et la santé reprennent aussi un peu de souffle. Près de 500 professeurs bénévoles ont été formés pour intégrer l’éducation nationale, d’autres ont été engagés, tandis que l’université de Bouaké – qui avait été délocalisée à Abidjan – a rouvert ses portes à plus de 20 000 étudiants. Les médecins et personnels de santé reviennent aussi. « Les choses se remettent en place, lentement mais sûrement », affirme un médecin de retour après dix ans passés en France.

Pourtant, les habitants sont amers et attendent plus. « On revoit la police et la gendarmerie dans les rues, le tribunal a rouvert… Mais la véritable justice ne fonctionne pas encore. Si j’ai un problème judiciaire et que je veux porter plainte, il n’y a personne pour m’aider », lance une restauratrice. « C’est encore un semblant d’administration », résume un autre habitant.

Loin d’Abidjan qui s’est métamorphosée depuis la fin de la crise, Bouaké a peu changé. Les routes sont toujours dans un état déplorable et l’activité industrielle n’a pas repris. Pendant ce temps, l’insécurité grimpe et beaucoup accusent les ex-combattants, toujours armés et non réinsérés, d’être à l’origine de braquages, en forte hausse. Beaucoup se disent toujours oubliés par le pouvoir central.

Olivier Monnier, à BOUAKÉ/KORHOGO

la-croix.com

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