Par ANASSÉ ANASSÉ source L’inter
Le Ghana vient une nouvelle fois de réussir (sans trop de dégâts) une élection présidentielle (la 6ème depuis 1992), sans que le ciel ne lui tombe sur la tête. Certes, le pays a connu quelques heures de frayeur avant la proclamation des résultats du scrutin du vendredi 7 (et aussi du samedi 8) décembre dernier.
Mais le calme est très rapidement revenu sur toute l’étendue du territoire national, après le verdict rendu dimanche vers 22H, par le président de la Commission Électorale ghanéenne, Dr. K. Afari-Gyan. Maintenant que les clameurs de l’élection présidentielle, se sont tues, quels enseignements peut-on tirer de ce scrutin et de la démocratie ghanéenne ? Nous en voyons au moins cinq (05) : acceptation des résultats des urnes et refus de l’aventure (militaire), la démocratie bi-partite ou bi-polaire, un peuple uni, debout et fier, une Nation laborieuse et surtout, un système et un cycle électoral « huilé » depuis deux décennies. Toutefois, il existe aussi quelques faiblesses ou failles dans le système, qui ne manqueront pas d’être soulignées.
Première leçon : les Ghanéens ont tiré les leçons de leurs turpitudes passées et n’entendent pas, pour rien au monde, revivre les cauchemars des années 60 à 90, rythmés par des coups d’État militaires et des pronunciamientos à répétition. Ils ont donc décidé de ne plus jamais mettre la vie de la Nation en péril pour une élection, même si elle a connu quelques difficultés techniques. Et encore moins pour un homme, fut-il le « Guide éclairé » ou le « Grand Timonier ».
Ainsi, les partisans du candidat de l’opposition majoritaire, Nana Akufo-Addo, ont tenté d’empêcher l’annonce officielle des résultats par la EC (Electoral Commission). S’ils y étaient parvenus, aucun observateur ne pourrait présager de ce qu’il serait advenu du voisin oriental anglophone de la Côte d’Ivoire. Le peuple ghanéen a retenu son souffle pendant un moment, craignant de basculer dans des violences postélectorales. Mais les forces de l’ordre ghanéennes, appuyées de renforts venus des villes environnantes de la capitale (Tema, Winneba…), ont très vite rétabli l’ordre.
Et dès que les chiffres officiels ont été rendus publics par la Commission Électorale, le président élu John Dramani Mahama, suivi quelques heures plus tard par son adversaire Nana Akufo-Addo, ont tous deux lancé des appels à la retenue à leurs partisans. La tension est alors retombée très rapidement, le calme est aussitôt revenu, car vainqueurs et perdants ont accepté sans trop de contestation, les résultats sortis des urnes. Moralité de l’histoire : l’aventure (militaire ?) a été ainsi évitée, et le Ghana pourra fièrement continuer sa marche démocratique. Rendez-vous dans quatre ans (décembre 2016), pour une nouvelle élection présidentielle.
Leçon N°2 : Quoiqu’il existe au Ghana une vingtaine de partis politiques, ce qui s’est d’ailleurs matérialisé par la candidature de huit (08) postulants au fauteuil présidentiel, les Ghanéens ont décidé de réguler leur vie démocratique de façon bicamérale. En effet, en 20 années d’exercice de la démocratie au Ghana et après six élections présidentielles, ce sont seulement deux partis politiques qui ont jusque-là alterné au pouvoir : le NDC (National Democratic Congress), créé par l’ancien Président Jerry John Rawlings en 1991, et le NPP (New Patriotic Party), créé par l’ex-chef de l’État, John Agyekum Kufuor à peu près dans la même période. Qui se souvient encore que Rawlings, ancien Capitaine de l’avion militaire ghanéenne né d’un père écossais et d’une mère ghanéenne, est arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1981 ? Ce qui avait à l’époque, provoqué un exode massif des Ghanéens, surtout vers le voisin francophone de l’Ouest, la Côte d’Ivoire.
En tout cas, très peu de Ghanéens aujourd’hui parlent de ces années de plomb vécues par leur pays. Ils considèrent dans leur immense majorité, que l’ancien Président Jerry Rawlings est celui qui a introduit la démocratie au Ghana après 19 ans de règne (1981 à 1992 : 11 ans de pouvoir militaire sans partage ; et de 1992 à 2000, soit huit ans et deux mandats démocratiques), avant de prendre sa « retraite » politique. Même sans le constitutionnaliser, le Ghana est en train de tendre vers la démocratie bi-partite, comme c’est le cas dans les grandes démocraties occidentales : Socialiste (gauche) et RPR devenu UMP (droite) en France, Travaillistes et Conservateurs en Grande-Bretagne, Républicains et Démocrates aux USA… Un modèle qui pourrait faire des émules dans d’autres États africains.
Troisième leçon : Une des choses qui a le plus frappé les observateurs et les médias internationaux présents à Accra lors de la présidentielle ghanéenne (couplées avec les législatives), c’est la disposition de ce peuple à se conformer à la décision de l’autorité publique. Et aussi, la capacité des Ghanéens à surpasser leurs querelles politiciennes et à ne voir que l’intérêt supérieur de la Nation. « NDC ou NPP au pouvoir, c’est le Ghana qui sort vainqueur de l’élection », entendait-on dans les rues de la capitale. Aucun témoignage d’échauffourées ou d’affrontements graves entre les partisans des deux candidats arrivés en tête du scrutin. Ils ont tous ravalé leur ferveur victorieuse pour les militants du NDC, le parti déclaré vainqueur, ou leur frustration pour ceux du NPP, qui perd deux fois de suite la présidentielle, pour se mettre tous au service du nouveau président élu. Les Ghanéens l’ont compris et assimilé : plus de sang versé dans leur pays pour des élections. A méditer.
Quatrième leçon : Tous au boulot dès le premier jour ouvrable au lendemain du long week-end électoral (de vendredi à dimanche). En effet, dès le lundi 10 décembre, tous les Ghanéens sont retournés au travail, sans exception. Même les fêtards du NDC qui ont célébré leur victoire jusque tard dans la nuit, ont pris le chemin du boulot au petit matin. Écoliers, Élèves, Étudiants, Fonctionnaires, Travailleurs du privé ou « Business Men », tout le monde a recommencé à vaquer à ses occupations, comme si de rien n’était. Le lundi n’a pas été déclaré chômé (et payé) pour les travailleurs. Dans d’autres pays, ç’aurait été le contraire ; au moins trois jours d’inactivité pour magnifier le nouvel élu. « Ghanéen connaît pas ça. Chez nous, c’est bizness qui fait courir tout le monde. Time is money ! », nous a fait comprendre un citoyen ghanéen avec qui nous avons fait le voyage retour vers Elubo.
Leçon N°5 : L’ultime (mais assurément pas la dernière) remarque qu’on pourrait faire, c’est le système électoral ghanéen. Il est rôdé depuis 20 ans, et est animé à peu près par les mêmes acteurs depuis les deux décennies de démocratie au Ghana. Tous les membres de la Commission Électorale (le président et les autres commissaires) sont nommés à vie aux termes de la Constitution ghanéenne. Seul sont remplacés ceux qui décèdent, sont gravement malades et incapables d’accomplir leur tâche ou qui démissionnent. Conséquence : la EC ne plie pas à la moindre pression politique, militaire ou financière. Pour la petite histoire, le Dr. K. Afari-Gyan est l’unique président de la Commission Électorale ghanéenne depuis sa création en 1992.
En outre, les Ghanéens connaissent par cœur leur cycle électoral : présidentielle (et législatives) tous les quatre (04) ans (comme aux États-Unis d’Amérique), notamment le 07 décembre pour le 1er tour. S’il y a un 2ème tour, le scrutin est organisé le 28 décembre. Et le nouveau Président élu prête serment et prend fonction le 07 janvier de l’année qui suit les élections. Ça marche depuis 20 ans !
Mais comme tout système, celui du Ghana est perfectible. Cette année, les aléas du vote biométrique, expérimenté pour la première fois par le pays, ont rallongé le scrutin de deux jours. On a voté vendredi et samedi (pour les civils, car les forces armées avaient tous déjà voté le mardi), ce qui est une première au Ghana. Le vote biométrique devra donc être amélioré. De plus, les deux dernières élections (2008 entre Akufo-Addo et feu John Atta-Mills, et 2012) se sont terminées dans un léger cafouillage. Il faudra rapidement apporter les réglages et correctifs nécessaires à ces failles ou faiblesses du système électoral ghanéen.
ANASSE ANASSE
(Envoyé spécial à Accra, Ghana)
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