PARIS (© 2012 Afriquinfos) – Phillip Carter III, le représentant de Washington à Abidjan a le contact facile, le sourire malicieux, le discours direct, franc et structuré. Normal pour ce diplômé en Economie internationale et du développement de la prestigieuse université de Yale, mais aussi d’Economie et d’Histoire de Drew University! Avant sa nomination en Côte d’Ivoire, il a servi, à différents postes, au sein de l’administration centrale, mais aussi en Asie, en Amérique centrale et du Nord ainsi que dans plusieurs pays africains. Notamment, comme ambassadeur en Guinée, de 2007 à 2008. Il revient pour Afriquinfos sur la situation en Côte d’Ivoire… (Propos recueillis par Francis Kpatindé)
Dans la lutte pour le pouvoir qui opposa Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, fin 2010-début 2011, les Etats-Unis ont pris le parti de Ouattara…
Pas du tout ! Nous avons soutenu celui qui a été élu à la tête de la Côte d’Ivoire, pas un homme ! Les Nations unies ont reconnu la victoire de Ouattara. Pour le reste, la Côte d’Ivoire a tourné une page de son histoire. Elle veut retrouver la place qui était naguère la sienne en Afrique de l’Ouest. Il y a beaucoup d’attentes depuis l’investiture du président Ouattara. Cela prendra du temps pour toutes les satisfaire. Les défis sont réels. Pour renouer avec leur niveau d’antan, les Ivoiriens doivent travailler et faire preuve de constance dans l’effort…
La réconciliation nationale se fait attendre. La commission Dialogue-Vérité-Réconciliation semble dans l’incapacité d’agir…
La réconciliation recouvre plusieurs aspects : politique, social, économique. Le cadre politique a été défini par le président de la commission. Le reste prendra du temps. La question sociale sera plus difficile à satisfaire dans l’immédiat parce qu’elle est inséparable des autres aspects. Le plan national de développement que le président Ouattara vient de soumettre aux bailleurs de fonds est un excellent cadre pour les investisseurs privés et publics. Mais par où commencer ? Comment avancer ? Comment maintenir le cap ? A mon avis, il faut tout démarrer en même temps, avancer en bon ordre en ne laissant registre de côté, tout étant imbriqué…
Que fait au juste la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation présidée par l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny ?
La Commission a pris beaucoup de temps avant de nommer son bureau, ses différentes structures et ses démembrements. Cela tient sans doute au style de son président. Cela dit, il y a des initiatives visant à amener les Ivoiriens à se réconcilier. On peut mentionner les initiatives prises par certaines ONG, par les religieux, notamment les clergés catholique et musulman. Il y a aussi des efforts pour amener les militaires, les frères ennemis d’hier, à fraterniser, sans oublier les nombreuses initiatives en faveur de la paix pilotées par les chefs traditionnels. C’est important que la société elle-même bouge dans le sens d’une réconciliation. Après tout, la Commission de Dialogue-Vérité-Réconciliation n’a qu’une durée de vie de deux ans !
Le président Ouattara demande l’équivalent de 3 milliards d’euros aux bailleurs de fonds…
Ne vous laissez pas impressionner par les chiffres ! Il s’agit d’un plan réaliste, et non pas d’un catalogue de bonnes intentions ! Le secteur privé est privilégié dans ce plan, l’Etat n’intervenant que pour faciliter les investissements.
Le bilan n’est guère fameux au plan sécuritaire. Vingt mois après l’investiture de Ouattara, des groupes armés continuent d’imposer leur loi dans la rue, de racketter de paisibles citoyens…
Le gouvernement doit faire davantage en matière de sécurité. Il doit par exemple préciser ce qu’il entend vraiment faire en la matière, approfondir le programme Désarmement-Démobilisation-Réinsertion(DDR), indiquer clairement comment moderniser le secteur de la sécurité avec le programme RSS (Réforme du Secteur de la Sécurité). Le manque de programme de la RSS commence sérieusement à poser problème.
En matière de justice, non plus, ce n’est guère reluisant.
Le chef de l’Etat ne rate aucune occasion d’affirmer que la justice fera son travail. Nous n’avons aucune raison de ne pas le croire. A sa décharge, il faut savoirqu’on revient de loin. Les archives du ministère de la Justice avaient été brûlées durant les violences à Abidjan, les cours et tribunaux avaient été pillés et Laurent Gbagbo avait fait limoger beaucoup de juges. Les Etats-Unis ont aidé à la formation de magistrats et les cours et tribunaux sont en passe d’être opérationnels.
La Cour pénale internationale (CPI) vient de lancer un mandat d’arrêt internationale contre l’ex-Première dame de la Côte d’Ivoire, Simone Gbagbo. Mis sous scellé, le mandat, qui date de février 2012, n’a été rendu public qu’en novembre. Avez-vous connaissance de la prochaine « victime » de la CPI, après Simone Gbagbo ? Un proche du président Ouattara ?
Il m’est difficile de répondre à cette question. Les Etats-Unis ne sont pas signataires du Traité de Rome instituant la CPI !
Les rapports sur les violations de Droits de l’homme se suivent et se ressemblent : Amnesty International, Human Rights Watch, Crisis Group. Sur le plan des violations des droits de l’homme, les choses n’ont guère changé…
Le président Ouattara a la responsabilité de régler cette question et de mettre fin aux violations des Droits de l’homme. J’ai été le premier diplomate à condamner les tueries intervenues à Duékoué, dans l’Ouest. Nous avons demandé au président Ouattara d’ordonner une enquête impartiale et nous attendons les résultats. Sur ce sujet, comme dans d’autres cas de violations des Droits de l’homme, les Etats-Unis sont d’accord avec les récentes recommandations faites par Amnesty International, Human Rights Watch et Crisis Group.
Considérez-vous que la réconciliation pourra se faire sans Gbagbo qui est en attente de jugement à la CPI ?
Pourquoi pas ? J’essaie d’être pragmatique. Ce qui compte à mes yeux, c’est le devenir de la Côte d’Ivoire. On ne peut pas impliquer un homme emprisonné à La Haye dans des négociations. Cela dit, tout dépendra du verdict de la CPI.
Les partisans de Laurent Gbagbo réfugiés à l’extérieur ont-ils les moyens de déstabiliser le gouvernement ivoirien ?
Je ne le crois pas ! Ils peuvent, en revanche, perturber le climat des affaires.
Que pensez-vous des conclusions du dernier rapport des experts de l’ONU sur la Côte d’Ivoire ? Il y est question de liens supposés entre certains partisans de Gbagbo à la fois, curieusement, avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et l’officier putschiste de Bamako, le capitaine Amadou Sanogo…
Ce rapport ne me semble pas fiable. Certaines des informations produites sont invraisemblables…
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