Par BLAISE BONSIE Source L’inter
Remercié par le Président de la République Alassane Ouattara, après 8 mois à la Primature, l’ex-Premier ministre Jeannot Ahoussou-Kouadio qui vient d’achever un séjour de 4 jours auprès du président Henri Konan Bédié est arrivé tard dans la nuit du samedi 1er décembre dans son village natal, à Raviart, dans le département de Didiévi dont il est le député. A sa résidence, malgré son refus d’accorder des audiences de masse pouvant porter à interprétation, il ne cesse de recevoir amis et parents qui tiennent à lui exprimer leur soutien. Après de longues insistances de notre part, l’homme qui était le Premier ministre de Côte d’Ivoire, il y a à peine une dizaine de jours, a accepté de se confier à nous. Interview…
Monsieur le Premier ministre, une semaine après votre départ de la Primature, quels sont les sentiments qui vous animent aujourd’hui?
Ce sont avant tout des sentiments de satisfaction pour avoir servi son pays à ce si haut niveau de responsabilité. C’est pourquoi mes premiers mots seront des mots de remerciement et de reconnaissance à l’endroit du président Henri Konan Bédié et du président Alassane Ouattara. Le président Ouattara m’a fait confiance, il m’a permis d’être Premier ministre, de voir l’Etat de Côte d’Ivoire à ce haut niveau, de traiter les dossiers. Je pense que c’est une chance exceptionnelle et je m’en réjouis. Il n’est pas donné à tout le monde d’être Premier Ministre sur 22 millions d’habitants. J’ai fait huit (8) mois d’expérience. Je voudrais aussi le remercier d’avoir reconnu que je n’ai pas démérité (lors de sa conférence de presse à Bondoukou). On a travaillé dans la loyauté.
Quand on sait en Côte d’Ivoire, combien de fois depuis le coup d’Etat de 1999, les vertus comme la loyauté ont disparu dans la plupart des milieux, le reniement est devenu le jeu favori des Ivoiriens, la trahison alors, ça c’est devenu leur fétiche. Et il faut qu’on bâtisse une nation sur des valeurs. Et pour moi l’une des valeurs qui doit nous caractériser c’est l’engagement. L’engagement pour construire son pays. Et c’est ensemble qu’on peut construire la nation ivoirienne.
Depuis 1999, nous avons passé le temps à exalter la haine et les vilains sentiments dont parlait le président Félix Houphouët-Boigny, la jalousie, la délation, la haine, la méchanceté gratuite. Ces sentiments, je reviens là-dessus pour dire qu’on ne peut bâtir un pays que dans l’amour. Chaque Ivoirien a besoin de faire sa toilette intérieure pour se réconcilier avec lui-même avant d’aller à la réconciliation. Et je constate jusque là qu’on n’a pas encore fait sa toilette intérieure, les Ivoiriens ne se sont pas encore réconciliés avec eux-mêmes. Car il faut que chaque individu se réconcilie avec lui-même avant d’aller à la réconciliation. Tant que cet exercice, cet effort n’est pas fait, en vain nous allons bâtir la nation ivoirienne. Nous allons travailler vraiment comme le lézard qui fait ses buttes. Dans d’autres civilisations, on parlera du mythe décisif. Nous pensons qu’aujourd’hui il faut appeler à la cohésion. La cohésion à l’intérieur de tous les partis politiques.
Que ce soit au Fpi, au Pdci, au Rdr…, nous devons avoir des partis politiques forts, homogènes, qui parlent de la même voix et dans une vision pour bâtir une nation. Et c’est parce que nos partis politiques sont faibles que ce qui nous préoccupe c’est les positionnements, les avantages, les ors et les phares du pouvoir. Ces avantages qui ne sont que des moyens du service. Il faut qu’on comprenne qu’on puisse faire de la politique, partir des postes et garder sa dignité. Garder son calme et ne pas chercher à avoir des sentiments négatifs en soi. Le président Henri Konan Bédié nous a donné l’exemple, et je pense que c’est un exemple à suivre pour tous ceux qui veulent faire de la politique. Il y a eu le coup d’Etat, on a pillé ses biens, il a subi l’humiliation extrême lui, son épouse, ses enfants, mais il est revenu tendre la main. Il a tendu la main au Général Guéi en janvier 2002 au sommet des cinq grands à l’époque à Yamoussoukro, il est revenu participer au forum qui avait été organisé, et tout cela doit nous servir d’exemple. On fait de la politique pour rassembler. J’insiste la politique est faite pour rassembler et non pour diviser.
Au cours de vos huit mois à la tête du gouvernement, l’un de vos grands chantiers a été la main tendue à l’opposition notamment le Fpi. En partant, n’avez-vous pas l’impression que c’est un chantier inachevé ? Des regrets ?
Je n’ai ni remords ni regret d’autant plus que le choix du Premier Ministre Kablan Duncan est un choix judicieux. Souvenons nous que les premières négociations avec le Fpi étaient sous le régime Bédié. Avec comme Premier ministre Duncan. Avec le Premier ministre Duncan il y a eu des accords qui ont été signés. Donc, c’est un chantier que le Premier Ministre Duncan a eu à mener. Ça s’est arrêté en 1999 avec le coup d’Etat. Ils ont signé en 1998 la participation du Fpi à la gestion de l’Etat. Et donc le Premier ministre Duncan a les arguments, l’expérience nécessaire pour continuer ce chantier. Je suis sans remords, sans regret.
Le choix judicieux, Duncan, peut faire ce travail pour l’Etat. Vous savez que c’est un grand Commis, un grand serviteur de l’Etat. Et tout à l’heure, je vous disais que pour pouvoir faire la paix, il faut se pacifier soi-même. Pour pouvoir faire la paix il faut être en équilibre avec soi-même. Donc j’invite tout un chacun à faire sa toilette intérieure. J’insiste pour que nous soyons en paix avec nous-mêmes pour pourvoir donner la paix à nos frères. Qu’on se réconcilie avec soi-même pour aller à la réconciliation. La place de la réconciliation dans toutes les religions, que ce soit dans la religion traditionnelle comme dans les religions révélées, pour aller adorer les fétiches il faut être pur. Il faut se laver, il faut un degré de pureté. A l’église, chez les catholiques, pour aller communier il faut se confesser, il faut être dans un état de pureté. Chez les musulmans il y a l’ablution. La symbolique de l’eau, il faut se nettoyer. Et je pense que pour aller à la paix, la paix qui est un don de Dieu, il faut pouvoir faire sa toilette intérieure. Moi je suis un serviteur, j’ai quitté Abidjan, je suis venu au village, il y a tellement de choses à faire, tellement de chantiers à faire en Côte d’Ivoire que si ce n’est pas là-haut c’est à la base ici. Il y a des écoles à construire, des dispensaires à construire, il y a l’encadrement des jeunes, celui des paysans pour se constituer en coopérative. Aujourd’hui la classe paysanne se modernise, la plupart des paysans savent lire et écrire. Comment les organiser. Il y a tous ces chantiers et vous avez vu j’ai travaillé avec le préfet de Didiévi qui va faire une tournée pour organiser tous les jeunes dans les villages pour qu’il y ait une coopérative bien structurée de production, de commercialisation.
Le problème de la Côte d’Ivoire, aujourd’hui, c’est la pauvreté, l’insécurité et je dirai la sécurité alimentaire. Il faut que nous soyons un grenier. Donc si je ne suis pas à Abidjan, à la Primature, je suis assis ici dans ma circonscription électorale, j’ai du travail à faire. Je vais apporter ma petite pierre ardente qui certainement va permettre à d’autres pierres même d’ailleurs d’être aussi ardentes pour bâtir la nation ivoirienne.
Vous avez parlé d’un séjour d’une dizaine de jours au village. Quels vont être les grands programmes qui vont meubler ce séjour ?
Je n’ai pas de programme préétabli. Ça fait un moment donné que profondément je me suis éloigné de cette région que j’aime beaucoup. C’est pour moi ma Côte d’Azur, et je retrouve tous mes esprits, toute ma force, mon énergie ici où dorment mes parents. Mes parents sont enterrés ici et donc pour moi c’est mon foyer spirituel. Je n’ai pas de programme préétabli, mais pour l’essentiel, j’ai commencé à rencontrer les autorités administratives, voir ce qui se passe sur le terrain. Je vais rencontrer les coopératives des femmes de mon village, de Didiévi où il y a une coopérative des femmes du marché de Didiévi, voir avec elles quels sont les programmes, ce que je peux leur apporter, comment je peux les assister. Rencontrer la coopérative des jeunes à Tiédienkro, voir ce que je peux leur apporter. Travailler beaucoup dans le sens de la production agricole, de la production vivrière. Il y a un programme d’hévéaculture dans la région. La formation a eu lieu ces derniers temps, on a formé des jeunes. Je vais donc discuter avec eux et voir ce que je peux apporter. Parce que, vous savez, il faut créer la richesse, car on ne partage que la richesse. Et comment aider les uns les autres à créer la richesse ? Je vais apporter ma petite expérience.
Est-ce à dire que le député retourne auprès de sa population ?
Çà, c’est une évidence. Le député retourne auprès de sa population. En dehors de l’aspect député, quand vous avez été plusieurs fois membre du gouvernement (j’ai été ministre de l’Industrie, ministre de la Justice, Premier Ministre), on a une autre lecture des problèmes de développement. Donc j’apporte cette expérience à ma population.
Va-t-on vous voir à l’hémicycle dans les prochaines semaines?
Pour le moment, c’est le suppléant qui continu. J’ai mes dix jours de repos, de réflexions. Mais une chose est certaine, j’ai envoyé ma robe au pressing, elle va être retirée demain (Ndlr : lundi 3 décembre dernier), et je vais demander ma réinscription au barreau comme Avocat parce que j’adore ce métier. C’est un métier qui vous ouvre sur plusieurs horizons. Sarkozy est un Avocat, Christine Lagarde, Directrice générale du FMI c’est une Avocate, Obama, c’est un Avocat, sa femme Michelle c’est une Avocate. Donc c’est un métier plein qui embrasse l’homme dans toute sa dimension. Dimension humaine, juridique, sociale, politique et technique. C’est donc un très beau métier, et je conseille aux jeunes Ivoiriens d‘embrasser ce métier. Et puis c’est un métier qui vous prépare à l’esprit sportif. Parce que, chaque jour que vous allez au Palais de justice, vous perdez, vous gagnez. Vous vous retrouvez parfois en face de jeunes Avocats à peine sortis des universités qui vous en apprennent chaque jour. Donc, ça vous enseigne l’humilité, pour dire que le savoir, il est dynamique, et si vous voulez être au diapason du savoir, il faut être dans la dynamique de l’instruction, dans la dynamique de la découverte. Vous savez quand on sort de l’université, la seconde université c’est les livres. Et donc quand vous êtes Avocat, vous passez tout votre temps à lire, à découvrir. En tout cas c’est un très beau métier.
Le président Ouattara a reconnu que vous n’avez pas démérité et indiqué à ce titre que d’autres responsabilités vous seront confiées. En avez-vous parlé avec lui, avant votre départ de la Primature ?
Moi je suis un serviteur de l’Etat de Côte d’Ivoire. A soixante (60) ans passé on a vécu une belle expérience de la vie, je rends grâce à Dieu et j’insiste je rends grâce à Dieu de m’avoir permis de bien me porter, d’avoir des enfants, je suis deux fois grand-père et en tant que serviteur de l’Etat tout ce que le président de la République voudrait bien me confier je suis disponible à servir les Ivoiriens. L’essentiel c’est que j’apporte ma part, ma pierre à l’édification de la nouvelle nation ivoirienne qui à mon sens doit répondre au testament de Félix Houphouët Boigny. C’est-à-dire, bâtir une Côte d’Ivoire des peuples, une Côte d’Ivoire des nations, une belle et grande Côte d’Ivoire. Je me rappelle d’une des dédicaces, d’une des photos de feu le président Félix Houphouët-Boigny qui disait ceci : «A ceux qui croient en l’avenir lumineux, je dédicace cette photo». Moi, j’ai cette photo dans mon album. Je crois en cet avenir lumineux que Houphouët-Boigny a tracé pour le pays. Franchement, je rappelle, j’invite tous ceux qui sont intéressés par la chose politique à venir suivre ce chemin. J’invite les Houphouëtistes, les uns et les autres à faire du dialogue l’arme des forts, à suivre l’exemple d’humilité du président Houphouët. Le président Houphouët était un président très humble qui a toujours la considération pour tout un chacun. Des plus illustres aux plus faibles. Des plus riches aux plus pauvres. Des plus forts aux moins forts. Le président Houphouët Boigny a toujours un mot pour chacun d’entre nous. Que tous ceux qui veulent faire la politique aient l’esprit Houphouët-Boigny. Mon frère Grah Mel a fait la biographie d’Houphouët Boigny. Je lui disais tantôt qu’il manque l’autre dimension. La dimension spirituelle de Félix Houphouët-Boigny qui va être certainement le quatrième thème. Il a placé le spirituel au centre de tout ce qu’il a fait. Parce que le temporel, il passe. Mais le spirituel demeure. Le spirituel demeure dans les valeurs telles que l’amour. Et l’amour, les Ivoiriens doivent se faire remplir du vrai amour. Apprendre à s’aimer un peu, un peu !
En tant qu’ex-Premier ministre, quelle appréciation faites-vous de la composition de la nouvelle équipe gouvernementale ?
Dans la nouvelle équipe gouvernementale, il y a de nouvelles entrées. Il y a des anciens qui sont là depuis longtemps. Depuis plus de 10 ans qui sont là et qui continuent le travail. Maintenant, en ce qui concerne l’opposition -vous voulez parler du Fpi et des autres partis – je pense qu’il appartient au président de la République d’en juger. Les Ivoiriens doivent comprendre que la politique ne se fait pas avec les armes, mais avec les arguments. On ne fait pas la politique pour qu’on ait peur. Le leader de la politique doit savoir se faire aimer et désirer. Un leader dont on a peur n’est pas un leader, c’est un dictateur. Houphouët-Boigny, les Ivoiriens l’ont adoré, ils l’ont applaudi. Ceux qui pensent que c’est en faisant peur aux Ivoiriens avec les armes qu’ils deviendront des leaders, je dirai que c’est en vain. Ils ne seront jamais de bons politiciens.
Les municipales et les régionales pointent à l’horizon. Êtes-vous partant?
Je voudrais vous dire ceci. Au niveau des compétitions, je prône toujours la cohésion au sein du Rhdp. Parce que j’ai été malheureux quand le Pdci, le Rdr, l’Udpci et le Mfa ne sont pas allés aux législatives en Rhdp. Parce que certains candidats se faisaient l’illusion de pouvoir gagner. On ne gagne jamais seul. Cela quelle que soit ta puissance, quel que soit l’argent qu’on a. Vous savez, le roi le plus puissant a toujours besoin peut être du mendiant. Il faut respecter tout le monde. Il faut considérer l’homme en premier. Pour dire qu’il faut qu’on aille ensemble dans le Rhdp. Il faut que tous les partis politiques puissent faire des listes communes. Donner des gens avec qui on peut travailler ensemble pour le développement. Parce que le développement n’a pas de couleur politique.
Que nos frères du Fpi viennent sur des listes avec le Rdr, le Pdci etc. Nous avons une nation à bâtir. Une nation à construire. Quant à moi, j’appartiens à mon parti, le Pdci-Rda. Si au grand rassemblement des Houphouëtistes, la direction de mon parti ou le directoire du Rhdp estime qu’Ahoussou doit être candidat à Ferké, je m’en vais. Je suis un serviteur. Sinon personnellement, je n’ai pas d’ambition personnelle. J’ai toujours fait de la politique en disant que ce qui m’intéresse, c’est l’Assemblée nationale. C’est là-bas que les débats se font. Vous ne pouvez pas vous imaginer que vous êtes auteur d’un amendement de texte et que cet amendement est adopté et vous voyez ce texte. Votre idée est appliquée partout. C’est un peu d’orgueil personnel, mais ça fait partir de l’homme. J’adore l’Assemblée nationale. Mais aujourd’hui si on m’appelle, je suis un serviteur. Je me mettrai à servir. Servir avec amour, servir avec dévouement. Je demande à Dieu toujours et c’est une prière que je fais, de me remplir de son amour. Qu’en toute circonstance que je sois celui qui est humilié plutôt que celui qui humilie. Que je sois celui qui est offensé plutôt que celui qui offense chaque jour c’est ce que je demande à Dieu. J’essaie de suivre les traces de la Vierge Marie. Vous voyez que c’est elle que l’Ange a visitée. C’est elle qui a porté Jésus mais la Bible parle peu d’elle. Vanité de vanité, tout est vanité !
Blaise BONSIE, Région du Bélier
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