Marcaire Dagry
Après les périodes de crises politiques en Côte d’Ivoire, le temps est désormais à la réconciliation nationale et l’instauration d’une véritable démocratie, qui garantisse la solidité de nos institutions ainsi que les libertés individuelles et collectives des populations.
Chacun a, certes, une petite part de responsabilité dans ces différentes crises politiques à des degrés divers. Certains, un peu plus que d’autres. Et qu’on le veuille ou non, les artistes en Côte d’Ivoire ont également une part de responsabilité plus ou moins importante dans ces drames. Cette responsabilité se situe à deux niveaux. Ce qui fait la particularité de l’artiste, ce sont, entre autres, sa popularité et son influence manifeste sur les populations à travers son art, qui donne une certaine force à son discours et à ses actes. C’est donc une relation affective qui s’installe entre l’artiste et son public, par le biais d’un transfert d’affects qui crée, de fait, une forme d’influence psychique. Ce mécanisme psychologique est à l’origine du sentiment amoureux ou de l’attirance physique qu’on peut avoir vis-à-vis de l’artiste ou d’une personne célèbre (sportif, politique, journaliste, animateur télé, etc.). Cette popularité crée un sentiment de puissance, d’exceptionnalité et de supériorité qui favorise, de fait, une très forte attirance qui peut donner l’impression parfois d’être amoureux. En fait, tout ceci n’est qu’un leurre que produit ce sentiment d’exceptionnalité qui engendre cette influence psychologique sur l’autre. Avant cette célébrité, généralement, ces personnes restent ordinaires pour ces mêmes publics qui se transforment en fans et sont prêts à tout sans raison objective. Cette dépendance vis-à-vis de l’artiste est parfois beaucoup plus forte et plus durable dans le temps que celle qui peut s’installer entre un acteur politique de premier plan et ses militants ou sympathisants. Cette attraction psychologique institue, de fait » le premier niveau de responsabilité de morale de l’artiste.
Dans le cas des stars, notamment de la musique en Côte d’Ivoire, qui sont de véritables icônes nationales, elles doivent avoir un rôle de neutralité et d’apaisement des tensions au sein des différentes populations. En tant que modèles et ayant une influence certaine sur le psychisme des populations, cela leur donne une très grande responsabilité dans leur prise de position publique, notamment sur des sujets aussi sensibles que la politique et la religion. Comme les religieux en Côte d’Ivoire, chacune de leurs paroles peut fortement influencer des esprits fragiles et manipulés. Sur ce premier niveau de responsabilité de l’artiste dans son engagement artistique et sur des sujets d’actualité majeurs dans la société, son positionnement doit être exemplaire. En cas de positionnement idéologique majeur, comme on peut le voir dans les démocraties confirmées, il doit être en faveur des droits humains, de la paix et des libertés des populations et non prôner la division et la haine. Le second niveau de responsabilité de ces artistes dans ces drames ivoiriens se situe donc dans leur positionnement politique délibéré en faveur de tel ou tel acteur ou idéologie politique. Ils deviennent donc des acteurs politiques. Le plus souvent, ce positionnement se fait pour de l’argent ou par affinités ethniques ou religieuses. Nous savons tous qu’il est très difficile de vivre de son art en Afrique, quand on n’est pas une star d’envergure internationale. Cela peut-il permettre de se défaire de sa première responsabilité vis-à-vis des populations avec qui l’artiste est inscrit dans une relation affective ? En espérant avoir les grâces et faveurs du pouvoir en place, l’artiste ne devient-il pas alors un homme « enchaîné » au pouvoir politique avec qui il crée, de fait, une relation de soumission très dangereuse ?
Le propre de l’artiste, partout dans le monde, est d’être une femme ou un homme libre. Libre de toute forme de dépendance politique, syndicale, religieuse ou ethnique. Ce qu’on lui demande, c’est de créer, faire rêver et permettre de s’enrichir culturellement. Qu’ils soient chorégraphes, musiciens, peintres, danseurs ou acteurs, par exemple, les artistes ivoiriens ont un rôle social déterminant à jouer pour la cohésion nationale, au même titre qu’un acteur politique ou religieux. Après la prise de conscience de leur part de responsabilité dans le drame ivoirien, ces actions menées en faveur de la réconciliation nationale suffiront-elles à les rendre à nouveau crédibles des populations traumatisées, de part et d’autre ?
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