Publication Mai 2011 Rediffusion 12 novembre 2012
Par Serge-Nicolas N’zi | Contribution éditoriale
I – Introduction
Ils sont nombreux en Afrique et dans le monde, ceux qui à la vision des images de la capture de Laurent Gbagbo et surtout le traitement qui lui a été réservé par les vainqueurs du jour se sont demandés pourquoi ne s’est-il pas suicidé, car dans la même situation le président Salvador Allende à Santiago du Chili le Mardi 11 septembre 1973, avait préféré la mort au déshonneur.
La question obsède une certaine presse occidentale au point qu’une émission de radio fut consacrée la semaine dernière aux bouleversements survenus dans ce pays. Nous fumes interpellés par plusieurs auditeurs sur le comment et le pourquoi de cette reddition humiliante de Laurent Gbagbo et de son épouse.
Bien sûr, les images de son visage tuméfié et celui de son épouse hagarde, violentée, hébétée, les cheveux arrachés, présentée comme un trophée aux télévisions du monde entier convoquées pour la circonstance. Oui ces images ont choqué même ceux des Africains qui ne sont pas originaires de la Côte d’Ivoire.
Si les français se sentaient humiliés par les simples menottes aux poignets de Dominique Strauss-kahn, ils peuvent imaginer l’effet dévastateur de la capture de Laurent Gbagbo, dans la conscience africaine. Nous nous rappelons aujourd’hui de l’image de Lumumba, les mains liées dans le dos, qui circule encore dans le Congo d’aujourd’hui.
Dans le même registre, le 1er mai 1898, Babemba Traoré le roi de Kénédougou, dans Sikasso assiégé par les français, avait fait le choix du suicide dans le palais royal et donc celui de la mort au lieu du déshonneur. Pourquoi en sachant à l’avance l’humiliation qui lui sera réservé, Laurent Gbagbo a-t-il préféré se rendre aux forces qui combattaient son régime ?
Pourquoi le suicide de Salvador Allende, est-il aujourd’hui cité en exemple chaque fois qu’un chef d’Etat est assiégé par des forces centrifuges qui n’ont que sa fin politique ou physique comme motivation ? N’étant ni refondateur, ni Gbagboïste, nous ne pouvons qu’apporter des tentatives de réponses qui n’engagent que notre modeste connaissance de l’espace politique ivoirien, de la nature des protagonistes et de l’histoire comparée.
II – Comparaison n’est pas forcement raison
Il ne faut pas se précipiter pour juger. Il faut comparer ce qui est comparable, le Chili, n’est pas la Côte d’ivoire, et Koudou Gbagbo Laurent, n’est pas Salvador Allende Gossen. On peut trouver des similitudes troublantes et même étonnantes dans les deux cas, mais force est de constater que nous sommes en face de deux réalités différentes dans deux environnements très éloignés l’un de l’autre.
Allende, fut élut constitutionnellement le 4 Septembre 1970 dans une triangulaire avec 36.6% des voix. Son adversaire direct le centriste Jorge Alessandri Rodriguez, avait un score de 35,3% tantdis que le démocrate chrétien Radomiro Tomic, obtenait 28,1% des suffrage. La constitution ne prévoyant pas un second tour, il fut proclamé vainqueur du scrutin. N’en déplaisent à nos amis socialistes. Mais ce sont plus les divisions de la droite conservatrice chilienne qui ont favorisé l’élection d’Allende.
Car il était le président élu en sachant lui-même que 64,4% du corps électoral avait voté contre lui. Il est bien de comprendre ce détail anodin qui retrouvera toute son importance dans la suite de l’histoire. Car on ne mène pas une révolution dans un pays en sachant que les deux tiers de l’électorat vont s’opposer frontalement aux transformations que vous préconisez.
Dans le même registre les élections du 22 octobre 2000, ont fait de Laurent Gbagbo, le président de la Côte d’Ivoire avec 56,36% des voix. Contre 32,70% au général putschiste Robert Gueï. N’oubliez pas que le taux de participation était estimé à près de 40% des votant cela veut dire que plus de la moitié des électeurs ne sont pas allés aux urnes et souligner le fait notable que les candidats du PDCI-RDA et du RDR, furent écartés de la course par la Junte militaire au pouvoir.
Salvador Allende, était un chrétien catholique et franc-maçon, Laurent Gbagbo, étant un chrétien évangélique pantecotiste. Le programme politique de l’unité populaire autour d’Allende est semblable à celui de la refondation frontiste et Gbagboïste du FPI : à savoir la santé pour tous, la gratuité de l’école, une Réforme agraire pour relancer la production agricole la nationalisation des mines de cuivre, matière première dont le Chili est l’un des plus gros producteurs de l’Amérique du Sud et surtout la nationalisation des banques et de certaines industries et l’affirmation de l’indépendance ainsi que la souveraineté non négociable du Chili.
Bizarrement on retrouve, les mêmes motivations chez Laurent Gbagbo et ses partisans. La santé pour tous par la création d’une assurance maladie universelle. La gratuité de l’école, la démocratisation du livre scolaire, la réforme de la filière café cacao deux matières premières dont la Côte d’Ivoire est l’un des plus gros producteurs au monde. La promotion de l’agriculture vivrière. La diversification des partenaires commerciaux et le refus de la vassalisation de la Côte d’Ivoire par l’affirmation patriotique de l’indépendance nationale.
Nous sommes donc dans deux cas de figure différents certes mais avec des similitudes troublantes. Dans le cas du Chili les adversaires de Salvador Allende étaient : les Etats Unies d’Amérique avec ses multinationales, la droite conservatrice chilienne ainsi que ses milieux d’affaires, l’église catholique et finalement l’armée chilienne.
En Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo, était hier face à la France qui voyait d’un mauvais oeil les réformes frontistes par crainte d’un l’effet de contamination dans cette Afrique francophone sous tutelle.
Les multinationales françaises, qui redoutent la concurrence commerciale avec les entreprises des pays émergeants, la droite conservatrice ivoirienne qui perdait de fait ses prébendes ainsi que ses commissions juteuses et finalement la force militaire française de l’opération Licorne, ainsi qu’une rébellion soutenue par presque tous les voisins de la Côte d’Ivoire.
III – Les deux erreurs fondamentales
La première grande erreur du président Allende fut de minimiser les mesures de ressortions nord américaine ainsi que la capacité de nuisance de l’administration Nixon, de ses alliés locaux et des multinationales nord américaines avec à leur tête le géant ITT. La seconde erreur fut de croire que l’armée chilienne allait défendre l’indépendance nationale et les libertés publiques.
À ce niveau de responsabilité ne pas avoir une lecture claire de ses propres limites dans un bras de fer quand vous savez à l’avance que ceux d’en face veulent vous nuire. C’est non seulement de la naïveté, de l’irresponsabilité et surtout aller au devant d’un suicide collectif.
Gbagbo, avait aussi minimisé les mesures de ressortions françaises, telles que le blocage des avoirs de l’Etat ivoiriens, la fermeture des banques, l’interdiction d’importer des médicaments, le boycot des ports ivoiriens par les navires européens et américains ainsi que l’isolement diplomatique total de son régime. Dans le cas chilien, Allende parlait d’un Vietnam silencieux, il n’était pas loin de la vérité.
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, les ivoiriens ont-ils voté en octobre 2000, pour chasser les putschistes du pouvoir ou pour un programme de refondation, économique, politique et institutionnel de la Côte d’Ivoire ? Il semble que chercher une réponse à cette question c’est aller à la recherche de la clef d’un malentendu qui a conduit les ivoiriens à l’affrontement à la guerre au sang et à la ruine de leur pays.
Dans le cas chilien on peut aussi se demander si le vote du tiers des électeurs chiliens était suffisant et nécessaire pour l’application d’un programme de réforme aussi ambitieux ? Un tel programme n’exige t-il pas un large consensus national ? Comme vous le constatez, la vie humaine nous oblige à nous approprier de tels questionnements.
Toute la raison et le bon sens dont nous sommes dotés, nous obligent de facto, à poser frontalement ces questions dans l’espace public, afin d’éviter que l’immense tiers monde dont nous sommes les fils, répète demain les mêmes erreurs d’appréciations qui ont conduit des peuples entier dans le désastre, la ruine, le sang et des larmes inutiles.
Gbagbo Laurent, qui est historien, connaissait la main mise de la France sur son pays. La refondation dont-il était le porteur ne pouvait-il pas faire l’objet de négociation dans le cadre de la coopération franco-ivoirienne ? Au vu de l’état de la Côte d’Ivoire aujourd’hui, n’était-il pas mieux d’accepter une défaite électorale que provoquer un bain de sang inutile qui se solde par une cuisante défaite militaire, politique et morale?
Salvador Allende, est mort dans le palais présidentiel de la Moneda le mardi 11 septembre 1973, vers 12h15 selon les constations médicolégales. Laurent Gbagbo, lui fut capturé par les forces française de l’opération Licorne et remis aux troupes pro Ouattara le lundi 11 avril 2011 à 14h47. Curieux chiffre 11 pour ceux qui aiment les symboles.
Allende dans son dernier message avait dit qu’il défendait le Palais présidentiel, il réaffirmait sa fidélité au peuple malgré toutes les félonies. D’autres hommes surmonteront les temps obscures et amers durant lesquels la trahison prétendra s’imposer. Ce sont ses propres mots. Laurent Gbagbo, lui n’a pas eu cette chance, capturé par ses ennemis mortels, il est livré à la honte et au déshonneur devant les télévisions du monde entier.
IV – Pourquoi une reddition aussi minable ?
Nous avons pris la précaution de dire au début de cette réflexion d’histoire comparée que les deux cas ne sont pas semblables malgré les similitudes qu’on peut relever ici et là. En mourant dans le palais présidentiel de la Moneda, Allende est aujourd’hui perçu comme un martyr dans la mémoire collective des peuples du tiers monde dans leur lutte pour la construction d’une nation libre et démocratique.
Son corps vient d’être exhumé tout récemment pour une analyse de sa boite crânienne afin de déterminer s’il avait été assassiné ou s’il s’était suicidé. Voilà jusqu’où on peut aller dans la recherche de la vérité quand un peuple veut se regarder en face.
Cette observation nous amène à nous demander pourquoi Laurent Gbagbo a-t-il préféré cette reddition pitoyable au lieu du suicide courageux ? Sans prétendre répondre à sa place et ce n’est nullement pas notre but ici. Nous ne pouvons à la vue des circonstances que donner quelques explications.
Explications plausibles de notre lecture des évènements, en tenant compte de la nature des hommes et de nos limites en tant qu’être humain.
En début avril 2011, Laurent Gbagbo et le dernier carré de ses fidèles sont dans la résidence présidentielle de Cocody, dans le quartier des Ambassades. Il y a son épouse Simone Ehivet Gbagbo, sa mère Marguerite Gado, une femme âgée de 90 ans, son fils Michel Gbagbo, l’épouse de ce dernier et leurs enfant.
Il y a aussi les filles de Laurent et Simone Gbagbo, leurs neveux nièces et cousins. Mais aussi et surtout ses amis et collaborateurs ainsi que le personnel du domicile présidentiel, qui constituent avec les pasteurs évangéliques le dernier carré de ses fidèles, soit environ 120 personnes.
La première réponse est que le sous sol du domicile présidentiel de Cocody Ambassade était un espace réduit dans lequel la promiscuité, la présence de tout ce petit monde laissait peu d’intimité au couple présidentiel encore moins à une tentative de suicide non loin d’une mère, de sa femme et surtout de ses petits enfants.
Le second élément à prendre en compte est que Gbagbo Laurent, croyant et ancien séminariste sait que toutes les religions condamnent le suicide comme fin de vie. Ce n’était pas le cas du président Allende dans le vaste palaciò de la Moneda. Un espace de plus de 15 000m2 avec à sa façade nord la place de la citoyenneté et au sud la cour des orangers. Celui qui écrit ces lignes a pu visiter les lieux ouverts aux publics, c’était en avril 2000, à Santiago du Chili dans le cadre d’un colloque universitaire.
Le suicide, il faut y revenir car ce n’est quand même pas un gâteau caramélisé, surmonté de cerises et du miel. C’est un acte de Désespoir et de désespérance dans la vie ici bas. C’est un acte délibéré de mettre fin à sa propre vie. C’est facile de rester dans son salon en dégustant une bière fraîche, une grillade de poisson ou de pintade avec des frittes en disant pourquoi telle personne ne s’est-elle pas suicidé.
Le 11, septembre 1973, le Dr Allende avait pris les précautions d’usage, il avait demandé à ses collaborateurs qui le souhaitaient de quitter les lieux avant l’assaut sur le palais présidentiel. Beaucoup ont préféré partir. Il n’y avait en définitive avec lui qu’environ une quarantaine de personnes. Le suicide était beaucoup plus facile dans ces conditions.
Tant disque dans le décore burlesque et kafkaïen du sous sol du domicile présidentiel de Cocody-Ambassade. Laurent Gbagbo, avait sa maman juste à Côté de lui et prenait de temps à autre ses petits enfants qui étaient apeurés et pleuraient dans ses bras après les secousses et les bombardements des forces françaises de l’opération de paix Licorne et les supplétifs de l’ONUCI.
Il était plus facile pour Hitler sa femme Eva Braun et leurs enfants de se suicider avec une capsule de cyanure dans le führer bunker de Berlin le 30 avril 1945. Il était plus facile à Slobodan Milosevic de se suicider le 11 mars 2006 à Scheveningen aux Pays-Bas dans la prison du tribunal pénal international de l’ex Yougoslavie à la Hayes, devant lequel il était accusé de génocide et de crime contre l’humanité.
L’autre hypothèse à prendre très au sérieux, et cela a été le plus déterminant, c’est que si Gbagbo avait été retrouvé mort dans les sous sol du Domicile présidentiel, aucuns des autres membres de sa famille ne seraient vivants aujourd’hui.
Ne pas l’avoir eu vivant rendrait les soldats de la coalition politico rebelle d’Allassane Ouattara, ivre de colère et les aurait poussé à une exécution sommaire de tous les survivants de la résidence présidentielle de Cocody-Ambassade. Y compris la mère et les petits enfants du président sortant. Cette explication est plus que plausible, à la lumière des pillages des vols, des viols et des égorgements dont sont victimes aujourd’hui encore les proches et autres sympathisants du FPI depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo.
C’est l’ensemble de tous ces paramètres qui ont poussé Laurent Gbagbo, à se rendre. Il savait pertinemment le sort qui allait lui être réservé. Mais cela était préférable à la mort de plusieurs générations de GBAGBO. C’est justement l’explication que nous pouvons donner de loin à la minable reddition de Gbagbo Laurent et sa famille aux forces de la coalition politico rebelle du Dr Allassane Ouattra.
Mai 2011 Rediffusion 12.11.2012
V – Pourquoi ce choix douloureux
Nous pensons que d’autres personnes dans cette posture se seraient donné la mort, mais pas Laurent Gbagbo. Il est bété, c’est un groupe ethnique qui n’est pas fataliste, ils sont très accrochés à la vie et qui a une longue tradition d’instinct de survie et de révolte contre l’oppression. De Victor Biaka Boda, à Dignan Bally de Gris Camille, à Victor Capri Djédjé en passant par Christophe Kragbé Gnangbé, il y a chez eux un instinct de résistance qui les pousse à rejeter l’humiliation par-dessus bord pour affronter la vie.
Survivre en de pareilles circonstances est le but à atteindre chez eux. Le deuxième élément d’appréciation est plus que fondamental. Gbagbo Laurent est historien et sait que dans l’Afrique moderne, aucun chef d’Etat n’a eu recours à la solution désespérante du suicide. Il ne voulait donc pas être le premier à le faire à côté de sa mère de sa femme et de ses enfants. Il sait aussi mieux que nous tous, qu’en politique, celui qui te met en prison a plus de problèmes que toi.
Il est obligé de veiller à ta santé, à ton bien être. Il doit respecter toutes les conventions internationales vis-à-vis du prisonnier que tu es. Si tu fais une grève de la faim en prison, il est moralement dans obligation de négocier avec toi. Plus ta détention dure plus tu es un casse-tête et un problème insoluble pour lui.
Ahmed Ben Bella en Algérie, Hamani Diori au Niger, David Dako au Centre Afrique, Sehu Shagari et Mohamed Bouari au Nigeria, Mamadou Dia au Sénégal, Nelson Mandela en Afrique du Sud. Amadou Tanga, au Niger etc. Ils sont nombreux ceux qui ont survécu à l’humiliation, à l’arrestation et à la prison pour survivre et resurgir de nouveau dans le champ politique de leur propre pays.
La vie politique Africaine nous enseigne aussi que Houari Boumediene, l’auteur du coup d’Etat qui renversa le président Ahmed Ben Bella le 19 juin 1965, est mort le 27 décembre 1978 alors que l’ancien président renversé est libre et vivant aujourd’hui encore.
Dans le même registre, le président Seiny Kountché du Niger, est mort le 10 novembre 1987 à l’hôpital de la Pitié Salpetrière, à Paris, alors que son prédécesseur le président Diori était encore vivant.
L’ensemble de tous ces éléments nous fait dire ici que la fuite à l’étranger, à Tombouctou à Koudougou ou Nouadhibou, en abandonnant femme et enfants n’était pas concevable pour Laurent Gbagbo. L’opinion publique africaine étant versatile, il sait qu’il vaut mieux être la victime aujourd’hui et laisser Allassane Ouattara gérer le quotidien des ivoirien avec tous les risques liés à la fonction présidentielle.
Dans ces conditions le suicide n’était pas concevable pour lui. Tel est l’état d’esprit de Gbagbo Laurent, le lundi 11 avril 20011, à 14h47 au moment précis ou il faisait le choix politique de se rendre aux forces de la coalition politico rebelle et affairiste que dirige Allassane Dramane Ouatara.
VI – Postulat de conclusion générale
Il y a dans la vie des victoires amères et des défaites surmontables. La vie est ainsi faite. Il y a dans cette même vie des vainqueurs magnanimes, dont la grandeur d’âme a traversé le temps pour nous indiquer le chemin de la compassion et de l’humilité devant la souffrance des vaincus. Dans un monde où tout est éphémère, Dieu seul est grand. Disait le prophète de l’Islam.
Il n’est donc pas trop tard pour recommencer. Il n’y a rien d’humiliant de reconnaître qu’on s’est lamentablement trompé. Le plus grave serait de persister dans l’erreur et la stupidité, en suivant une voie dont on sait à l’avance qu’elle est sans issue.
Depuis l’Angleterre au XVIIIème siècle jusqu’à la Roumanie post Ceausescu, à la fin du second millénaire, les révoltes ont toujours plongé leurs racines dans l’indignation devant un statut quo intolérable, comme dans l’attrait exercé par un projet de société future.
Mais aussi longtemps que l’offense permanente causée par la misère, l’injustice, l’exclusion et l’oppression conduira les hommes à la rébellion, à la révolte et peut-être à des révolutions en vu de reconstruire le vivre ensemble sur des fondations moralement acceptable par tous afin de mieux affronter les défis de la modernité. C’est cette quête qui pousse les peuples dans les rues aujourd’hui un peu partout en Afrique.
Le rapport de la société ivoirienne avec l’argent, le passage désordonné d’une société de responsabilité collective à celle de la responsabilité individuelle mal assumée, la nouvelle idée que nous nous faisons de l’avenir collectif, la rigueur budgétaire etc.. : voilà des pistes qui mériteraient l’attention des élites, des partis politiques et des institutions dignes de ce nom dans la recomposition de la Côte d’Ivoire.
Ce qui doit compter le plus dans l’étape nouvelle que nous appelons de tous nos voeux, c’est que les ivoiriens eux-mêmes se pénètrent de la nécessité de rompre avec la logique du déclin, de l’affrontement du sectarisme, du tribalisme, de la combine mafieuse, du népotisme et de la marginalisation. Pour cela, leur destin est entre leurs mains et pas ailleurs.
Il faut en définitif rechercher des solutions sur place dans un dialogue national utile pour aller vers l’invention d’une société ivoirienne libre, digne et responsable de son propre destin. Cela est parfaitement réalisable en Côte d’Ivoire. Les intelligences dont le pays dispose sur place prouvent que nous ne sommes pas dans un rêve.
Le Dr Allassane Ouattara, a parlé de réconciliation nationale, faut-il y croire ? Il faut sans doute surmonter cette réconciliation d’un moratoire de cessation des hostilités au plan politique et militaire pour donner une chance à la paix. Mais aussi pour permettre à ce pays malade qu’est la Côte d’ivoire de penser ses plaies et de réapprendre à marcher.
Nous observons encore une fois que l’Avènement de l’indépendance ivoirienne depuis 1960, nous amène à nous rendre compte que cette création de nous-mêmes que la réalité exige de nous n’est pas différente de celle qu’une réalité identique réclame des autres peuples en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Nous vivons une conjoncture décisive et mortelle, en orphelin du passé, et avec un avenir à inventer.
L’histoire humaine est une tâche commune et notre chantier celui de tous les hommes. Dans un certains sens, on peut affirmer que l’indépendance a recréé l’homme ivoirien en le connectant au monde. Pourtant en dépit de sa fécondité extraordinaire, elle n’a pas été capable de créer un ordre vivant qui fût, en même temps vision du monde et fondement d’une société réellement juste et libre.
La refondation frontiste et gbagboïste, se proposa de corriger cette dérive en proposant une communauté, une espérance de communauté : un monde dans lequel les ivoiriens se reconnaissent dans les autres ivoiriens et les autres hommes. Une Côte d’ivoire où le principe d’autorité, c’est à dire la force, quelles que soient sont origine et justification – cède le pas à la liberté responsable. Ce fût le contraire qui se produisit laissant notre pays en ruine et notre peuple sans horizon.
Que faire alors de ce pays bizarre ? Vaste question, bizarrement et c’est le propre même des pays bizarres, la Côte d’Ivoire continue de séduire ses destructeurs, bien que leurs victoires se soient régulièrement transformées en pièges. Peut-être séduira-t-elle ceux qui veulent maintenant se racheter vis-à-vis d’elle ?
Hâtons nous ici de dire que rien dans la guerre, et rien dans la perspective de paix, ne changera notre conviction profonde : ce sont les Ivoiriens que la Côte d’Ivoire se doit de nouveau de séduire. Un moratoire de cessation des hostilités, un moratoire pour enterrer la hache de guerre, un moratoire nous le répétons qu’il soit politique ou militaire crée l’espace d’une réflexion. Ce n’est pas par les autres que les Ivoiriens feront chacun sa Côte d’Ivoire.
C’est ensemble que tous les ivoiriens feront leur paix, leur liberté et leur unité qui consolideront leur indépendance. Ceux d’entre eux qui n’ont que leurs seules ambitions présidentielles comme buts de vie, se sont aperçus très vite que les cataclysmes de ce genre ne se terminent qu’avec leurs cortèges de pillages, de famines, de violes, de folies, de morts et d’annihilations, quand il n’y a plus rien à conquérir, plus rien à réformer, plus rien à unifier et plus rien qui mérite encore d’être détruit.
Telles sont les réflexions que nous inspirent l’arrestation de Laurent Gbagbo, de son honneur et de sa dignité perdus dans un pays bizarre, qui sort péniblement d’une crise poste électorale. Voilà sous nos yeux la déchirure de la nation ivoirienne par la faillite de ses élites et le ridicule de la République de Côte d’Ivoire sur la scène internationale.
C’est aussi cela la guerre et ceux qui la voulait, ont été servis et bien servis, puissent qu’ils fussent aux premières loges pour voir le désastre de leurs propres yeux. Les voilà et les revoilà dans un pays déchiré et en lambeau. Le plus grave est que si c’était à refaire, ils n’hésiteront pas à le refaire puisqu’ils sont sans scrupules.
C’est pourquoi les Ivoiriens et leur pays sont des exemples à ne pas suivre. C’est le miroir brisé de la marche de l’homme ivoirien dans le cheminement tragique de sa propre histoire, à un moment où toutes les voix divisent les ivoiriens dans un immense marécage où la Côte d’ivoire a complètement perdu son âme.
Merci de votre aimable attention.
Dr Serge-Nicolas NZI
Chercheur en communication
Lugano ( Suisse)
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