Justice à géométrie variable pour les anciens chefs d’État ?

Aussi réconfortant qu’il peut être de l’exercer, il se trouve que le pouvoir a aussi ce qu’il est convenu d’appeler le revers de la médaille. Cette période au cours de laquelle, on peut presque regretter d’avoir un jour eu à commander. Ce genre de sentiment, on ne l’éprouve généralement que quand on n’est plus aux commandes. Cette situation est exactement celle qui prévaut en ce moment au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Deux pays dans lesquels, il s’est opéré dernièrement un passage de témoins âprement disputé. D’ailleurs, il n’est pas exclu que la rudesse du combat puisse en partie justifier la détermination avec laquelle les nouveaux maîtres s’en prennent à leurs prédécesseurs. Il faut néanmoins préciser que si dans les deux cas les objectifs sont les mêmes, les champs de bataille, quant à eux, sont différents. Au Sénégal, il est économique tandis que chez Alassane Ouattara, il éminemment politique. Autre point de convergence, les cibles n’entendent point se laisser faire. Ce qui, dans les deux cas, augure d’un combat de titans, après celui dans les urnes.

Un peu moins de deux ans séparent leurs arrivées respectives au pouvoir. N’empêche, Macky Sall et Alassane Ouattara ont en ce moment des objectifs identiques : réduire à néant leurs prédécesseurs ainsi que leurs proches.

Aidé par l’entêtement de Laurent Gbagbo et par le soutien de la communauté internationale, le président ivoirien semble avoir largement atteint cet objectif. Avec la capture de l’ancien président et son transfèrement à la CPI, ADO a incontestablement réussi à couper la tête du grand serpent qui aurait pu encore nuire.

Mais les observateurs mettent en garde contre une quelconque naïveté de la part du pouvoir ivoirien. Parce que, avertissent-ils, l’absence du « boulanger ivoirien » n’annihile pas toute la résistance. Au contraire, la détention du leader historique du FPI peut justifier l’intensification et l’exacerbation de cette résistance. Une mise en garde à prendre d’autant plus au sérieux que récemment un rapport d’experts a mis en exergue de grosses ambitions de la part des refugiés résidents au Ghana voisin.

Macky Sall lui a opté pour une approche plus subtile mais qui peut s’avérer tout aussi redoutable. Au Sénégal, on ne parle pas encore d’anciens dirigeants détenus ou empêchés de revenir au pays. Mais au rythme où vont les choses, on n’en est plus loin. Se présentant comme le chantre du combat en faveur de la bonne gouvernance et assimilant l’ancien président Abdoulaye Wade et ses proches à des sangsues qui auraient abusivement et impunément sucé le sang économique du pays de la Téranga, Macky Sall voudrait lui aussi  »tuer » toute adversité.

Il est d’une évidence qui crève l’œil que le  »Gorgui » n’a pas été qu’un saint. Mais il est quasiment certain que le nouveau pouvoir au Sénégal en rajoute et cherche à mettre l’occasion à profit pour abattre des adversaires. Sans être, dans ce cas, sans reproche…

Ceci étant, certaines récentes sorties médiatiques d’Abdoulaye Wade sont de nature à faciliter la tâche à Macky et à ses collaborateurs. En effet, en appelant presque le leader de la confrérie des Mourides au secours, et en tenant par la même occasion un langage empreint d’un certain chantage, l’ancien président donne des gages d’une fébrilité qui trahit une certaine culpabilité.

S’il n’avait rien à se reprocher, il n’a qu’à rester tranquille et à faire confiance à la justice de son pays. N’est-pas d’ailleurs le même discours qu’il tenait en direction de ses adversaires quand il était omnibulé par l’idée de se porter candidat ?

Par ailleurs, en affichant une attitude paternaliste à l’égard de son fils Karim qu’il appelle « mon enfant », il donne de ce dernier, l’image d’un bébé encore incapable de se défendre seul. Ce qui est aux antipodes de la responsabilité qu’il avait voulu pourtant lui confier.

Quoiqu’il en soit, ces deux pays et leurs chefs d’Etats actuels devraient tout faire pour ne point tomber dans le spectre maléfique de la justice à géométrie variable ou celle de la justice du « deux poids, deux mesures ».

Boubacar Sanso Barry pour GuineeConakry.info

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