L’ex-ministre Henriette Lagou: « Mon deal avec le pouvoir »

Henriette Lagou, ancienne ministre du gouvernement Gbagbo

Entretien réalisé par Hamadou ZIAO L’Inter

Elle a décidé de rompre le silence et de dire sa part de vérité, notamment sur la crise postélectorale, son exil ghanéen, ses rapports avec le nouveau régime et son nouveau parti politique. Dans l’interview exclusive qui suit, l’ex-ministre sous le régime Gbagbo, Henriette Lagou, dit tout.

Question directe et franche, qu’est-ce que le pouvoir vous a remis ou promis pour vous convaincre de revenir au pays ?

L’ancienne ministre du gouvernement Gbagbo est désormais présidente d’un parti politique

Rien du tout. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on n’est mieux que chez soi, et j’aime beaucoup ma patrie. De toutes les façons, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’on reste indéfiniment en exil. Un jour ou l’autre, on devait rentrer, et on est rentré, cela sans contrepartie aucune.

N’y a-t-il pas eu de deal avec le pouvoir pour votre retour au pays ? Et savez-vous que sur la question, vous aurez du mal à convaincre les Ivoiriens du contraire ?
Si deal il y a eu avec le pouvoir, comme vous le dites, je dirai que c’est pour venir participer à la réconciliation pour une paix durable, ainsi qu’à la reconstruction et au développement de notre beau pays. C’est cela mon deal avec le pouvoir. C’est vrai que dans cette situation difficile que nous connaissons, où la méfiance s’est installée dans tous les rangs, où la politique et les relations entre les personnes n’ont été basées que sur la recherche du gain facile et de relations privilégiées, sans tenir compte des compétences réelles des acteurs, c’est tout à fait normal que dans un tel contexte, certains soient amenés à penser à un deal, quand on pose des actions dans le sens d’un meilleur devenir des filles et fils de ce pays. De grâce, que les gens sachent une bonne fois pour toute que moi, je pose des actions pour le futur et non pour l’immédiat.

Pourquoi alors vous, et pas les autres pro-Gbagbo qui ont été en exil comme vous ?

Parce que moi j’ai choisi de revenir. Et comme je vous l’ai dit tantôt, je ne pouvais pas rester indéfiniment en exil.

Vous revenez au pays plus d’un an après la crise postélectorale. Quelles sont vos impressions ?

Je suis déjà heureuse de revenir dans mon pays. Depuis le mois d’avril, date de mon arrivée, le constat que je fais, malheureusement, est qu’il y a d’abord une insécurité grandissante, ensuite une grande méfiance entre les acteurs politiques. C’est d’ailleurs pour cette dernière impression que la LMP (Ligue des Mouvements pour le Progrès), la plate-forme politique à laquelle mon parti a adhéré, a décidé de faire le tour des partis politiques pour briser le mur de méfiance. En outre, la pauvreté s’est accrue ; ce qui est tout à fait normal, après une telle crise. C’est le lieu d’inviter tous mes compatriotes à nous mettre sérieusement et honnêtement au travail afin que les souffrances des populations soient allégées.

Aujourd’hui, après votre retour, comment doit-on présenter Henriette Lagou : pro-Gbagbo ou pro-Ouattara ?

(Rire) Je suis pro-Côte d’Ivoire. Cette schématisation de la vie politico-sociale est confligène. Ce qui prime avant toute considération partisane, c’est la Côte d’Ivoire, notre chère patrie. Nous n’en n’avons pas deux.

Que reste-t-il du mouvement «2 millions de filles pour Gbagbo», avec lequel vous souteniez l’ancien régime ?

Erreur d’analyse, je dirai plutôt nous soutenions le Président Laurent Gbagbo, d’où son nom. Le mouvement « 2 millions de filles pour Gbagbo » existe légalement, parce que constitué normalement comme toute association sérieuse. Cependant, compte tenu des priorités de l’heure, à savoir la réconciliation de tous, ce mouvement de soutien, à l’instar de tous les autres mouvements, est appelé à œuvrer pour la réconciliation, la reconstruction et le développement du pays, chacun à sa façon. Nous exhortons donc ces jeunes femmes à œuvrer, chacune à son niveau, à la non-violence sous toutes ses formes, au pardon et à la paix.

Avez-vous des regrets après tout ce qui s’est passé ; si oui, lesquels ?

Oui, des regrets bien sûr, en tant que femme politique honnête, sincère et de conviction, sur les conséquences et la tournure dramatique des événements. Car cette crise a engendré, de par les incompréhensions des uns et des autres, des milliers de morts dont je m’incline respectueusement et religieusement devant la mémoire. Je pense sincèrement que nous aurions dû faire l’économie d’une telle violence qui est en opposition frontale avec les valeurs d’une vraie démocratie.

Vous revenez avec un parti politique, le Renouveau pour la Paix et la Concorde (RPC). D’où est venue l’idée de créer ce parti politique, et pour quoi faire ?

C’est une idée que je nourrissais depuis longtemps. En exil, le désir de revenir au pays et de participer à la vie politique nationale m’a donné beaucoup plus de temps et le courage pour finaliser mon projet. J’ai eu le temps de lire et de réfléchir à la conception de ce parti. Aussi, il faut dire que dans le paysage politique en Afrique et même ailleurs, l’impression générale est qu’il s’agit d’un domaine réservé a priori aux hommes. Ce qui n’est pas juste, parce que ce sont les femmes qui mettent les hommes au pouvoir. Nous avons donc décidé de prendre notre responsabilité. Je suis convaincue que nous pouvons réussir avec le temps. Nous accèderons au pouvoir d’Etat de façon démocratique et dans un climat apaisé. Ce qui explique mon engagement aujourd’hui à œuvrer pour la réconciliation et la paix.

Ne pensez-vous pas qu’avec le vôtre, cela fait trop de partis politiques sur la scène ivoirienne ?

Je ne m’inscris pas dans une teIle analyse, mieux, je dirai que cela démontre la vitalité idéologique des femmes et des hommes de ce pays. Il y a plus de 150 partis politiques en Côte d’Ivoire, force est donc de constater que les Ivoiriens sont passionnés par la politique. C’est une bonne chose pour la consolidation de la démocratie.

Qu’allez-vous apporter de nouveau avec le RPC ?

Le Renouveau pour la Paix et la Concorde (RPC) est un parti centriste, qui veut aujourd’hui rapprocher et réconcilier les Ivoiriens, réunifier le pays, pour une reconstruction et un développement harmonieux de la Côte d’Ivoire toute entière.
Arrestations, emprisonnements, parfois exécutions extrajudiciaires des pro-Gbagbo sous le régime Ouattara. Quels commentaires en faites-vous ?
Lorsqu’on fait l’économie du dialogue et de la concertation vraie, cela ouvre la voie aux dérives incontrôlées. Je pense que tout cela engendre une citadelle de méfiance, qui ne participe pas à la réconciliation et au retour à la paix. A mon humble avis, les plaies sont encore béantes et tout ce qui peut concourir au dialogue et à l’apaisement doit être privilégié et encouragé. Il faut éviter tout traumatisme des populations, afin de retrouver une Côte d’Ivoire réconciliée avec elle-même et définitivement en paix après cette crise post électorale.

Quels sont vos rapports aujourd’hui avec le Front Populaire Ivoirien (FPI) ?

J’ai longtemps travaillé avec le Front populaire ivoirien (FPI). Ses dirigeants sont pratiquement tous des amis. Le parti politique que j’ai créé et qui a adhéré à la Ligue des Mouvements pour le Progrès (LMP), échange avec le FPI dans le cadre des groupements de l’opposition, sur des questions majeures de la vie politique ivoirienne. Nos rapports ne souffrent d’aucun a priori et d’aucune méfiance. En clair, nous avons des rapports cordiaux.

N’envisagez vous pas un front commun de l’opposition, face au pouvoir ?

Il existe déjà le cadre de dialogue permanent (CDP), qui est constitué, d’un côté, de groupement de partis politiques de l’opposition et de l’autre, du pôle politique du gouvernement. Dans ce cadre, oui il y a l’opposition et le pouvoir qui ont entamé des discussions franches, sans faux-fuyants. On pourrait donc appeler cela un face-à-face positif entre le pouvoir et l’opposition. Aussi sommes-nous en train d’envisager une grande concertation de tous les partis politiques. C’est peut-être ambitieux, mais non impossible. Cela va permettre de décrisper l’atmosphère socio-politique afin que l’opposition joue son rôle réel et que le pouvoir gouverne.

Quels souvenirs gardez-vous de Laurent Gbagbo ?

C’est un homme politique très engagé, résistant, qui croit toujours en ce qu’il fait.

Pensez-vous qu’il a eu tort de ne pas céder le pouvoir quand cela lui était demandé, et qu’il mérite ce qui lui arrive ?

Vous savez, ces questions relèvent du passé. Il faut savoir tourner la page et amorcer véritablement une dynamique de réconciliation pour la reconstruction de la Côte d’Ivoire, après cette douloureuse crise.

Un parti politique, c’est lourd. Avez-vous les moyens de l’entretenir, ou alors, sur quoi comptez-vous ?

Oui, le fonctionnement d’un parti politique exige beaucoup de moyens. Mais là n’est pas l’essentiel, car le plus important reste à mon sens la conviction qui guide nos actions. Et moi, je compte en premier lieu sur ma foi en Dieu, ma volonté de réussir à asseoir et diriger ce parti politique, sur le courage et la conviction de tous ceux qui m’entourent et qui ont accepté d’adhérer à ce parti. J’ai surtout confiance aux Ivoiriens, qui démontrent chaque jour qu’ils ont besoin d’un changement réel. Se mettre au centre, c’est s’éloigner des extrêmes, c’est-à-dire accepter tout le monde sans aucune distinction, afin de construire ensemble.
Comment percevez-vous la Ligue des Mouvements pour le Progrès (LMP) à laquelle votre parti appartient ?

C’est une plate-forme qui vient à point nommé pour regrouper tous les partis politiques qui ont décidé d’œuvrer de façon pacifique à la réconciliation, au retour à la paix et à la reconstruction de la Côte d’Ivoire.

Que répondez-vous à ceux qui disent que c’est une réplique au CNRD ?

Le Congrès National de la Résistance pour la Démocratie (CNRD) est un congrès qui regroupe des partis politiques, des syndicats et des mouvements de la société civile. La LMP est une plate-forme politique qui ne regroupe que des partis politiques qui aujourd’hui sont dans l’opposition et œuvrent pour accéder au pouvoir de façon démocratique. La nuance est de taille.
Mme Lagou, est-ce qu’il fait bon vivre au Ghana ?

Le Ghana est un pays très hospitalier dont le mode de vie est similaire au nôtre. Mais on ne se sent mieux que chez soi, en dépit de tout ce qu’on peut avoir à l’extérieur. Et chez moi, c’est la Côte d’Ivoire.

Il se raconte que vous rouliez carrosse à Accra?

Si c’est ce qui se raconte, je dirai qu’il vaut mieux faire envie que pitié.

Comment êtes-vous sortie du pays ?

Je suis sortie du pays comme tous ceux qui sont partis pendant cette période très difficile. Je vous épargnerai les détails de ce voyage forcé, que je garde pour moi comme de douloureux souvenirs. Sachez seulement que c’est du passé et que je suis sortie du pays dans des conditions pénibles et difficiles, au péril de ma vie.

Comment avez-vous vécu l’exil ?

J’ai vécu l’exil avec, tous les matins au réveil, l’envie de revenir en Côte d’Ivoire. Nous y avons eu des amis, nous avons appris beaucoup de choses, nous avons partagé le quotidien de nos frères ghanéens, et je dois avouer que je suis revenu d’exil avec une somme d’expériences que je veux d’ailleurs partager avec les Ivoiriens.

Quelle est l’actualité au RPC ?

Beaucoup d’activités sont prévues. C’est un parti naissant et tout début de chantier est difficile. Nous avons prévu plusieurs tournées d’implantation de notre parti à travers le pays. C’est un parti centriste pour lequel les Ivoiriens manifestent déjà beaucoup d’intérêt. Dans les mois à venir, il y aura la rentrée politique et le premier congrès est en train de se dessiner.

Sériez-vous candidat aux prochaines élections locales ?

Ce sont des élections qui sont prévues pour l’année prochaine. Laissons donc le temps au temps. La politique est une seine appréciation des réalités
Si un poste de ministre vous était proposé par le président Ouattara, quelle sera votre réaction ?
Les postes ministériels sont l’émanation de l’exécutif pour appliquer son programme de gouvernement. Dans nos pays, les situations nous obligent à faire des gouvernements d’union, afin d’apaiser les tensions sociales. Après la crise postélectorale que nous avons connue, si cela doit être fait, et que les gouvernants actuels estiment que notre participation peut contribuer au retour à une paix définitive, on pourrait y participer au nom des populations et pour les populations.

Qu’attendez-vous du président Ouattara et de son gouvernement ?

Nous attendons qu’il applique son programme de gouvernement qu’il nous a présenté pour le bonheur des Ivoiriens, et qu’il œuvre davantage pour le rétablissement de la sécurité. Parce que depuis notre arrivée, nous constatons que les populations souffrent. Qu’il œuvre également à la réussite de la réconciliation, car c’est un impératif pour le développement du pays. Un dialogue inclusif avec toute l’opposition permettra de briser le mur de méfiance entre les acteurs politiques. Enfin, nous exhortons à la clémence, pour ne pas donner l’impression d’une justice des vainqueurs. Nous sommes tous les enfants de cette belle Côte d’Ivoire, havre de paix et de concorde.

Entretien réalisé par Hamadou ZIAO

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