Côte d’Ivoire: ’appel des victimes charentaises [+vidéo]
Le 6 novembre 2004, l’attaque du camp de Bouaké a fait 9 morts et 42 blessés. Parmi ces blessés, des militaires du 515e régiment du train de La Braconne et du RICM de Poitiers. Ils veulent un procès.
Huit ans après, ils ont encore les images et le fracas des explosions en tête. Et l’odeur. «Parce que la mort, cela a une odeur», témoigne le caporal-chef Céline Larrère-Tournier, militaire au RICM de Poitiers. Le 6 novembre 2004, elle était au camp de Bouaké, en Côte d’Ivoire, sous mandat de l’ONU afin de faire respecter une zone de confiance au centre du pays entre rebelles du nord et pro-Gbagbo du sud. Avec 90 autres militaires français, tous issus d’unités du 515e régiment du train (RT) de La Braconne, du RICM de Poitiers et du 2e RIMa du Mans. Ce jour-là, deux avions Sukoï les ont attaqués. «Ils ont vidé leurs valises de roquettes», décrit l’adjudant Thierry Jardry, ancien du RIMa d’Angoulême et du RICM, aujourd’hui installé à Fléac.
L’attaque est éclair: un civil américain et 9 militaires meurent. Parmi eux, le brigadier-chef Franck Duval, du 515e RT. Quarante-deux autres militaires français sont sérieusement blessés, dont 7 du bataillon charentais.
Des agresseurs décorés
Certains sont amputés. Tous sont traumatisés. «J’y pense chaque jour. Chaque jour je prends mon cachet. Sans lui, je ne pourrais plus servir», avoue le caporal-chef Céline Larrère-Tournier. Depuis 1983 et l’attentat du camp du Drakkar, au Liban, c’est la première fois que l’armée française était ainsi attaquée.
Huit ans après, la bataille est judiciaire et les victimes ont la nette impression que le dossier s’enlise. C’est pour cela que l’avocat angoumoisin Lionel Béthune de Moro, qui défend les intérêts de 8 des parties civiles charentaises et poitevines, a écrit hier au magistrat instructeur en charge de l’enquête pour lui demander de boucler le dossier. «Pour que les victimes aient enfin un procès, même par contumace, qu’ils obtiennent des réponses à leurs questions. Il faut un procès pour qu’elles puissent prétendre à leur indemnisation légitime», décrit Lionel Béthune de Moro.
Une information judiciaire est ouverte depuis 2004. Elle a permis d’identifier les pilotes des Sukoï, deux mercenaires biélorusses, ainsi que les copilotes, deux officiers de l’armée de l’air ivoirienne. Ces deux derniers font l’objet d’un mandat d’arrêt international. Ils vivent tranquilles en Côte d’Ivoire. Juste après l’attaque, ils ont été décorés et promus au grade supérieur.
Les deux Biélorusses, eux, se sont évanouis dans la nature. Au cours de l’enquête, les auditions se sont multipliées en France: secrétaire général de l’ONU, hiérarchie militaire, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense à l’époque, Dominique de Villepin, Premier ministre. Côté ivoirien, silence radio.
Des auteurs identifiés, mais pas de commanditaires
Même depuis le changement de régime et le renversement de Laurent Gbagbo. Lionel Béthune de Moro avait demandé son audition ainsi que celle de Simone Gbagbo, son épouse. Pas de réponse. Rien non plus concernant le ministre de la Défense ivoirien et le chef d’état-major de l’armée de l’air de l’époque. «Un type que l’on a reçu au camp de Bouaké une semaine avant l’attaque! Il nous a dit que nous n’avions rien à craindre d’eux. On lui a fait des courbettes. Une semaine plus tard, ils nous tapaient», peste l’adjudant Thierry Jardry.
«L’instruction a permis d’identifier les auteurs, mais elle n’a pas permis de remonter aux donneurs d’ordres et commanditaires, regrette Lionel Béthune de Moro. On doute que ça évolue.»
L’enquête a tout de même permis d’établir que c’est un Français, ex-gendarme et vieux pilier de la Françafrique, qui a vendu les Sukoï à l’armée ivoirienne malgré un embargo international. Via le Togo. «C’est dommage que le parquet ait refusé d’étendre l’information judiciaire au mercenariat, ce qui aurait permis d’entendre cette personne et de voir qui pouvait se payer des mercenaires, regrette Lionel Béthune de Moro. On a l’impression que, désormais, on respecte des équilibres géopolitiques.»
Pour que les intérêts privés ne soient pas piétinés par les intérêts supérieurs, Lionel Béthune de Moro a donc décidé de demander la clôture de l’instruction. En espérant qu’elle sera acceptée par le parquet de Paris. «On ne veut pas que les victimes se découragent ni que le dossier tombe dans l’oubli, argumente l’avocat qui réclame un procès. Pour poser des questions, avoir des réponses.» Et comprendre pourquoi les deux jours précédents l’attaque les militaires français ont dû observer les bombardements des forces loyalistes sans intervenir. Avant de se faire bombarder, à 13h15, un funeste 6 novembre 2004.
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