Ali Ouattara “La CPI risque de ne plus être crédible au sujet de la Côte d’Ivoire”

Ali Ouattara est l’ancien président d’Amnesty International-Côte d’Ivoire et le président de la Côte d’Ivoire Coalition pour la Cour pénale internationale (CI-CPI).

Les victimes de la crise ivoirienne attendent beaucoup de l’enquête de la Cour pénale internationale.

Cependant l’impression de poursuites partiales risque d’ébranler la crédibilité de la cour.

La Côte d’Ivoire sort à peine d’une crise profondément violente qui a atteint son paroxysme lors des violences postélectorales de novembre 2010, qui ont causé une grande souffrance à tous les groupes politiques, régionaux et religieux.

En octobre 2011, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) —suite à une acceptation spéciale de la juridiction de la cour— ont approuvé la requête du procureur de la CPI d’ouvrir une enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis durant cette période.

L’ancien président Laurent Gbagbo étant actuellement en détention à La Haye —suspecté d’avoir commis des crimes contre l’humanité est dans l’attente d’une audience de confirmation des charges— les victimes espèrent que justice sera rendue et que les inédites dispositions sur les réparations de la cour les aideront à reconstruire leur vie.

Les craintes d’un parti pris

L’opinion publique est très divisée sur la CPI, en fonction des affiliations politiques.

D’un côté, les partisans de Gbagbo qui y sont défavorables, et de l’autre ceux du président Alassane Ouattara, qui la soutiennent. D’autres enfin s’opposent à la cour, parce qu’ils perçoivent un parti pris contre l’Afrique.

Ces sentiments sont exacerbés par un certain nombre de médias partisans et influents.

Les retards dans l’affaire Gbagbo —premier ancien chef d’Etat à comparaître devant la cour— ont été présentés comme des preuves de son innocence par ses partisans, tandis que de nombreuses victimes craignent que le processus de la CPI ne soit indéfiniment retardé.

La nécessité de garantir l’équité du procès, à l’origine des retards, doit être clairement communiquée.

Les organisations de la société civile ivoirienne ont également exhorté le procureur de la CPI à retenir des charges contre des individus des deux camps politiques s’ils sont suspectés d’avoir commis des crimes, et d’étendre le champ de l’enquête aux faits remontant à 2002 —ce que les juges de la CPI ont autorisé— pour garantir que la justice soit rendue à toutes les victimes du conflit.

Un échec à ce niveau alimenterait l’argumentaire de ceux qui cherchent à dépeindre la cour de La Haye comme partiale.

L’enquête de la CPI n’a encore rien changé

Bien que les victimes aient tendance à soutenir la CPI, indépendamment de leur affiliation politique, l’enquête menée n’a pas vraiment changé leur situation et la frustration monte.

La majorité ne reçoit pas le soutien et les informations nécessaires à l’exercice de leur droit à prendre part aux diverses procédures. Le fait que seulement 139 victimes aient été autorisées à participer au procès Gbagbo souligne que le travail de la cour auprès de la population n’a jusqu’alors pas été suffisant.

Une approche collective arécemment été instituée pour les demandes de participation des victimes —introduit comme mesure d’efficacité— qui demeure largement incomprise, même parmi les représentants légaux, ce qui pourrait entraîner a posteriori des retards dans la salle d’audience.

Les victimes n’ont toujours pas confiance dans le système judiciaire national. L’administration Gbagbo avait tenté de mettre en place un processus d’indentification de victimes, mais n’était parvenue à reconnaître que les victimes ayant soutenu l’ancien président et les réparations promises n’avaient pas été versées.

On ne sait toujours pas combien de victimes ont été identifiées par l’initiative similaire lancée par l’actuel gouvernement du président Alassane Ouattara, d’autant plus que beaucoup de partisans de Gbagbo sont désormais réticents à se manifester.

C’est pourquoi les victimes de toutes les catégories de crimes commis entre 2002 et 2011, indépendamment de leur affiliation politique, doivent être abordées par la CPI et autorisées à participer aux procédures.

Etant donné que le gouvernement, les organisations non gouvernementales et la CPI ont chacun des critères d’identification des victimes différents, il est nécessaire de renforcer la coordination pour améliorer l’efficacité et parvenir à de meilleurs résultats.

Il est également capital d’accorder une attention toute particulière aux victimes de viol et de violences sexuelles, qui ont beaucoup souffert durant le conflit et sont par la suite marginalisées.

D’autres encore pourraient avoir besoin d’une prise en charge psychologique et/ou médicale. Parallèlement, les victimes qui se manifestent doivent être protégées, étant donné que beaucoup sont réticentes à le faire, par ce qu’elles craignent pour leur sécurité. La société civile fait de son mieux, mais ne peut pas tout prendre au regard de ses ressources limitées.

La nécessaire réforme de la justice ivoirienne

Les étapes franchies ces dernières semaines commencent seulement à harmoniser la législation nationale avec les normes juridiques internationales énoncées dans le Statut de Rome, (adopté en 1998, et qui définit les règles de fonctionneement de la CPI)

Dans le même temps, et afin de surmonter ces nombreux défis, la Cour pénale internationale doit adopter une attitude plus proactive pour engager la population, en intensifiant ses activités de communication et de sensibilisation —notamment avec l’ouverture immédiate du bureau local qui est prévu en Abidjan, et en intensifiant sa présence sur le terrain.

Bien évidemment de telles activités nécessitent des ressources. Toutefois, si certains des Etats qui financent la CPI s’obstinent aveuglément à réaliser des coupes budgétaires cette année, les conséquences se feront sentir longtemps dans le futur.

Au final, la crédibilité de la CPI et celle de l’Etat de droit en Côte d’Ivoire dépendront de la capacité de la cour à répondre et à gérer les attentes des victimes en matière de justice. Par conséquent, investir dans la justice aujourd’hui signifie faire des économies demain, au niveau financier mais également en termes de vies humaines.

Ali Ouattara est l’ancien président d’Amnesty International-Côte d’Ivoire et le président de la Côte d’Ivoire Coalition pour la Cour pénale internationale (CI-CPI).

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