Soro sur la-croix « On est dans l’apprentissage de la démocratie »

La Côte d’Ivoire retrouve des couleurs

Par Rédaction La-Croix.com

« On est dans l’apprentissage de la démocratie »

Mardi 30 octobre, à la Maison des Arts et métiers

» Il y a deux semaines, une mission du Fonds monétaire international était à Abidjan. Elle a remonté sa prévision de croissance économique pour cette année en Côte d’Ivoire de 8,1% à 8, 6%. Et elle prévoit 9 % pour l’an prochain. Tout le monde afflue dans notre pays. Cela ne se ferait pas si les investisseurs n’avaient pas confiance« .

Guillaume Soro est un homme prudent. Président de l’Assemblée nationale ivoirienne depuis mars dernier, il veille à ne pas paraitre partie prenante d’un pouvoir exécutif dont il connait toutefois bien les rouages. Pendant trois ans, cet ancien chef de la rébellion nordiste fut le premier ministre de l’ancien président Laurent Gbagbo dans le cadre d’un processus de transition qui aboutit à l’élection présidentielle de novembre 2010.

Soutien du vainqueur, Alassane Ouattara, Guillaume Soro a vécu de près la transition violente provoquée par le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite. Attaques et représailles firent au moins 3000 morts et conduisirent Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale de La Haye où il est en attente d’un procès.

« Barroso nous a assurés d’un soutien sans faille »

« José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, était à Abidjan la semaine dernière« , a souligné Guillaume Soro mardi 30 octobre devant les journalistes de l’Association de la presse diplomatique française réunis lors d’un déjeuner à la Maison des Arts et métiers. « Il nous assurés d’un soutien sans faille à la réconciliation et au développement social et économique du pays ». Symbole de cet engagement, José Manuel Barroso a signé une convention d’appui budgétaire de l’Union européenne à la Côte d’Ivoire tout en appelant lors d’un discours à l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan, à « un large et franc dialogue ouvrant la voie à une réelle réconciliation nationale ».

« La Côte d’Ivoire doit être un pôle de stabilité »

« Notre balance commerciale est excédentaire, les investissements ont doublé« , poursuit Guillaume Soro. « Bien sûr, il y a encore des escarmouches ça et là. On gagnerait à augmenter la sécurité. La Côte d’Ivoire doit être un pôle de stabilité dans la région alors que la situation est très difficile au Mali, au nord du Nigeria et en Guinée Equatoriale« .

« Nous sommes loin des niveaux de violence passés »

Des attaques ont été perpétrées fin juillet et début août en Côte d’Ivoire par des assaillants venus du Liberia et du Ghana. Une autre a détruit à la mi-octobre l’une des deux turbines de la centrale thermique d’Azito, entraînant pendant une semaine une réduction de moitié de la capacité de production d’électricité du site. Le président de l’Assemblée ivoirienne se veut rassurant. « Nous sommes loin des niveaux de violence atteint au moment de la rébellion en 2002 ou fin 2010-début 2011. Il y a une dimension psychologique dans le sentiment d’insécurité« .

« Il faut donner un travail aux jeunes qui avaient pris les armes »

« Un des enjeux, c’est le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), » souligne-t-il. « Cette question doit être traitée en parallèle à celle de l’emploi. Il faut donner aux jeunes qui avaient pris des armes un travail, une alternative. Houphouët-Boigny avait donné comme orientation au pays l’agriculture. Il faut développer ce secteur qui ne demande pas d’être diplômé pour être actif… même si c’est bien d’être diplômé« !

La violence vient parfois des forces loyales au nouveau régime. Dans l’ouest du pays, le climat d’insécurité est entretenu par des « dozos », des supplétifs venus du nord pendant la dernière crise et qui effectuent encore des missions de sécurité. Amnesty international a par ailleurs affirmé le 26 octobre que « plus de 200 personnes, dont des membres du Front populaire ivoirien (FPI)« , le parti de Laurent Gbagbo, « ont été arbitrairement détenues et torturées et beaucoup croupissent toujours derrière les barreaux« .

« J’ai été un prisonnier d’opinion défendu par Amnesty »

Dans un rapport, l’organisation de défense des droits de l’homme souligne aussi la lenteur des instructions judiciaires visant des personnalités du régime déchu. Le 30 octobre, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a dénoncé à son tour l’existence de lieux de détention illégaux et des cas de disparitions forcées et de torture. « Dans le passé, j’ai été un prisonnier d’opinion défendu par Amnesty« , rappelle Guillaume Soro. « Je ne vais donc pas faire de commentaires spécieux sur son rapport. Il faut que le gouvernement prenne toutes les dispositions pour que les droits de l’homme soient au cœur de son action« .

« Après que la justice aura fait son travail, l’initiative reviendra au président »

« Il faut effectivement accélérer les procédures et les procès« , ajoute-t-il. « Nous voulons rendre la justice indépendante, autonome. Il faut laisser la justice faire son travail. Puis, l’initiative reviendra au président. Il pourra utiliser, le cas échéant son droit de grâce ou décréter une amnistie. »

Est notamment concerné Michel Gbagbo, fils aîné de Laurent Gbagbo et de sa première femme. Ce franco-ivoirien a été arrêté le 11 avril 2011 en même temps que son père et reste incarcéré. « J’étais ministre de la défense quand des soldats l’ont arrêté« , explique Guillaume Soro. « La justice l’a formellement inculpé. Il faut accélérer pour qu’il puisse y avoir un recours, pour que le président de la république puisse exercer son action« .

« La justice a donné des signes de transparence »

« D’ores et déjà, la justice a donné des signes de transparence », plaide Guillaume Soro. « Le général Dogbo Blé (ancien commandant de la garde républicaine, reconnu coupable le 11 octobre de séquestration et de complicité de meurtre lors de l’assassinat en mars 2011 d’un officier à la retraite) a été condamné à 15 ans de prison alors que tout le monde pensait qu’il serait condamné à perpétuité. Des militants du FPI, des journalistes ont été libérés« .

« Aujourd’hui, le combat est mené dans la presse »

La société est certes encore très polarisée et les polémiques enflammés, notamment dans les journaux. « Aujourd’hui, le combat politique est mené dans la presse. Ce sont les partis qui détiennent les journaux », explique Guillaume Soro, qui a été ministre de la communication en 2004-2005. « Le Patriote est pro-Ouattara; Le Nouveau réveil est pro-Bédié; Notre voix est pro-Gbagbo… »

Il y a en tout 22 quotidiens pour un tirage total de 150 000 à 200 000 exemplaires. Leur équilibre économique est délicat« , poursuit-il. « Un journaliste en Côte d’Ivoire est souvent un militant qui sait écrire un pamphlet. Les conditions économiques de la profession sont précaires« .

« Gbagbo a dit que j’avais été le meilleur premier ministre avec qui il avait travaillé »

À l’égard de Laurent Gbagbo, écroué à La Haye depuis un an et soupçonné par la Cour pénale internationale de crimes contre l’humanité, Guillaume Soro se garde de toute provocation. « « Quand j’étais étudiant, je l’ai bien connu, » raconte-t-il. « J’ai milité avec lui. J’ai été avec lui au village. J’ai collaboré avec lui pendant trois ans comme premier ministre. Il a dit que j’étais le meilleur avec qui il avait travaillé. Je ne renie pas cela« .

« Le 30 novembre 2011, j’ai décidé d’aller voir Gbagbo »

« Le 30 novembre 2010, deux jours après le second tour de l’élection présidentielle, j’avais tous les éléments du scrutin en main« , poursuit-il. « À 21 heures, j’ai décidé d’aller voir Gbagbo pour le convaincre d’accepter la publication des résultats. On voulait m’en empêcher. J’étais dans le collimateur de ses gens. J’ai pris avec moi toute ma sécurité« .

« Je suis venu vous dire : laissez le pouvoir »

« Je lui ai dit : je suis venu vous voir en tant que frère, en tant que fils, pour vous dire : laissez le pouvoir. Il m’a dit : il y a eu des fraudes au Nord. Il a eu tort de vouloir confisquer le pouvoir« .

« Le 11 avril 2011, quand il a été arrêté dans son bunker, je l’ai logé dans ma chambre à l’hôtel du Golf. Je lui ai dit : l’humiliation dans laquelle vous vous trouvez, c’est désolant pour toute la Côte d’Ivoire« . Guillaume Soro ne cherche pas à couper les ponts. Âgé de 40 ans seulement, il ne veut pas injurier l’avenir.

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