Côte d’Ivoire – Et si Laurent Gbagbo était libéré ?

Un texte proposé par PRAO Yao Séraphin –

« Faites connaître vos décisions, jamais vos raisons. Vos décisions peuvent être bonnes, vos raisons sont certainement mauvaises », de Murray.

L’histoire, aux dires des penseurs, s’écrit pour les temps et non pour le temps. Et celle écrite par les politiciens ivoiriens, doit nécessairement être transmise, en des occasions aussi historiques que celles-ci, à nos chercheurs, sociologues et historiens, quitte à eux de la transcrire dans leurs manuels et recueils d’histoire, pour les générations futures. Ces occasions sont les séquences du procès de l’ex-président Laurent Gbagbo. En effet, le procès de l’ex-président Laurent Gbagbo mérite l’attention des penseurs ivoiriens. Rappelons que l’ex-président Laurent Gbagbo est accusé comme co-auteur indirect de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. En effet, suite aux élections présidentielles ivoiriennes de la fin 2010, l’ex-président Laurent Gbagbo avait refusé de reconnaître la victoire de son rival Alassane Ouattara. Après l’arrestation de l’ex-président Laurent Gbagbo, à la demande du nouveau président Ouattara, le leader vaincu fut transféré à La Haye. Cette vague de violences entre les partisans des deux politiciens a fait au moins 3.000 morts. Aujourd’hui la Côte d’Ivoire est bloquée et le jugement de l’ex-président semble être un carrefour pour la réconciliation dans un pays divisé socialement et sociologiquement. Cette présente réflexion, témoignage d’un condensé des informations recueillies auprès d’une catégorie d’ivoiriens, est une interrogation sur les ressorts de la libération de l’ex-président Laurent Gbagbo .

Pour diverses raisons, peut-être peu excusables, ce qui suit ne peut être qu’un essai ou un début de réflexion sur une question qui reste, je le crains, encore actuelle. Parce qu’il ne manque pas de se poser un certain nombre de questions relatives à la détention de l’ex-président Laurent Gbagbo, nous tentons dans les lignes qui suivent, de répondre à certaines devenues très génériques. La première concerne l’arbitraire dans la détention de l’ex-président Laurent Gbagbo. La deuxième concerne son procès hautement politique. La troisième lie sa libération à la réconciliation en Côte d’Ivoire.

La détention de Laurent GBAGBO n’est-elle pas arbitraire ?

A propos de la Cour Pénale internationale (CPI), elle peut exercer sa compétence à l’égard des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Ces crimes sont définis en détail dans le Statut de Rome. Un autre texte, les Éléments des crimes, décompose également chaque crime en ses différents éléments.
La Cour a compétence à l’égard des personnes accusées de ces crimes. Il peut s’agir des personnes qui ont elles-mêmes, directement, commis ces crimes, mais aussi d’autres qui peuvent porter une responsabilité dans la perpétration de ces actes, par exemple parce qu’elles ont aidé ou encouragé leurs auteurs ou parce qu’elles y ont contribué autrement. Cette deuxième catégorie comprend également les chefs militaires ou d’autres supérieurs hiérarchiques dont la responsabilité est définie dans le Statut.
La compétence de la Cour n’est pas universelle. La Cour ne peut l’exercer que si :

• L’accusé est un ressortissant d’un État partie ou d’un État qui a autrement accepté la compétence de la Cour ;
• Le crime a été commis sur le territoire d’un État partie ou d’un État qui a autrement accepté la compétence de la Cour ; ou
• Le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies a déféré la situation au Procureur, quels que soient la nationalité de l’accusé ou le lieu où le crime a été commis.

Même lorsqu’elle est compétente, la Cour n’agira pas nécessairement. Le principe de complémentarité prévoit que certaines affaires ne seront pas recevables même si la Cour est compétente. En général, une affaire sera irrecevable si elle a fait ou fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un État ayant compétence. Toutefois, elle peut être recevable si cet État n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité de mener véritablement à bien cette enquête ou ces poursuites. Par exemple, une affaire serait recevable si des procédures nationales étaient engagées pour soustraire une personne à sa responsabilité pénale.

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Prétextant que le système judiciaire ivoirien ne serait pas outillé pour juger l’Ex-président, le Président Alassane OUATTARA a fait transférer l’ex-président Laurent Gbagbo à la Haye. Cependant, sollicité par la CPI pour accueillir d’autres pensionnaires, ceux de son camp, à Scheveningen, le Président Alassane OUATTARA se rétracte subitement.

En effet, selon Human Rights Watch, les combattants fidèles au Président OUATTARA, plus particulièrement dans la phase finale de leur offensive contre les troupes de l’ex-président Laurent Gbagbo , s’étaient eux aussi rendu coupables d’exécutions sommaires et de viols. Dans tous les cas, plusieurs mois après cette bataille, les troupes du Président OUATTARA se rendraient encore coupables de meurtres et de tortures, comme le signale Human Rights Watch. D’ailleurs, depuis un moment Human Rights Watch et Amnesty international mettent en garde contre cette justice « des vainqueurs »

Dans sa parution du mardi 9 au jeudi 11 octobre 2012, « l’Eléphant déchainé N° 096 » titrait à sa Une, « 8 mandats d’arrêt remis à OUATTARA ». Selon le journal, coté FRCI, trois mandats d’arrêt auraient été émis contre Fofié KOUAKOU, SORO Guillaume (co-auteur indirect au même titre que Laurent GBAGBO), Soumaïla BAKAYOKO (actuel chef d’Etat-major des FRCI). Une citation à comparaître pour Shérif OUSMANE (actuel chef adjoint de la sécurité présidentielle). Toujours selon le journal, du côté Ex-FDS, qutre mandats d’arrêt auraient été émis contre Philippe MANGOU (ancien chef d’Etat-major des FDS et aujourd’hui ambassadeur de Côte d’Ivoire au Gabon), le général KASSARATE (ex-commandant supérieur de la Gendarmerie nationale et actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire au Sénégal), le général DOGBO Blé Bruno (ex-commandant de la garde républicaine) et Séka Séka (ancien chef de la sécurité de Simone GBAGBO).

L’ex-président Laurent Gbagbo est à la Haye et SORO Guillaume n’y est pas. On peut se demander comment juger séparément des personnes poursuivies pour les mêmes crimes ? La CPI ne juge pas une affaire personne mais elle a été saisie pour juger les crimes commis pendant la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Or, il y a beaucoup d’acteurs dans cette affaire et ces acteurs doivent être jugés par le même tribunal. L’ex-président Laurent Gbagbo ne peut pas être jugé à la CPI et les autres en Côte d’Ivoire. Si tel est le cas, la détention de l’ex-président Laurent Gbagbo est simplement arbitraire.

Un procès hautement politique

Pour le Front Populaire Ivoirien (FPI), « la comparution de Laurent Gbagbo à la CPI est avant tout un acte politique posé par le pouvoir ivoirien et ses alliés externes ». Le procès de l’ex président ivoirien, Laurent Gbagbo, devant la Cour pénale internationale (CPI) à la Haye pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité », est un « procès politique », estime le FPI.

Les propos du procureur de la CPI indiquent que le procès est politique lorsqu’il dit que « nul doute que le président Gbagbo a de nombreux supporters et que l’ex-président Laurent Gbagbo ferait de la politique une fois libéré ».

Finalement, l’on peut penser que le procès de l’ex-président Laurent Gbagbo à La Haye était une affaire personnelle pour certaines personnes. L’objectif étant de l’éloigner de la scène politique ivoirienne.

Et pourtant le désir de l’ex-président Laurent Gbagbo , en tout cas, exprimé, à l’audience du 5 décembre 2011 est «d’aller jusqu’au bout». D’ailleurs aux dernières nouvelles, l’ex-président Laurent Gbagbo dit qu’il sera le dernier à sortir de prison quand tous les prisonniers politiques en Côte d’Ivoire seront libérés. Il aurait dit qu’il sortirait une fois que les réfugiés et exilés politiques seraient libres de rentrer en sécurité en Côte d’Ivoire. Selon lui, sa libération n’est pas urgente ni important alors que des milliers de ses collaborateurs sont en prison, persécutes, sa famille en prison et poursuivi, ses sympathisants en prison. Pour lui, la procédure doit aller à sa fin car il ne peut pas faire près deux années sans que personne lui notifie les charges et vouloir le libérer sans dire la vérité. Cette position de l’ex-président Laurent Gbagbo rejoint celle de l’ex Vice-président du FPI, aujourd’hui leader de LIDER, lorsqu’il disait que « la libération de Laurent GBAGBO n’était pas la priorité mais la finalité ».

Une libération utile à la réconciliation

Et si Laurent GBAGBO était libéré ? A une telle interrogation, plusieurs réponse sont possibles. Mais la principale assurément réside dans l’apaisement que cela engendrerait en Côte d’Ivoire car « la détention de Gbagbo nourrit l’instabilité en Côte-d’Ivoire », selon la presse Néerlandaise. Disons-le tout net : la libération de l’ex-président Laurent Gbagbo serait utile à la réconciliation. Et pourtant, le vendredi 26 octobre , les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont décidé que l’ex-président Laurent Gbagbo devra rester en détention préventive à La Haye. La chambre d’appel de la CPI a en effet rejeté sa demande de liberté sous conditions, car les juges craignent qu’il prenne la fuite. Mais le fait que l’ex-président Laurent Gbagbo tout seul soit emprisonné à La Haye sans aucune autre personne parmi ses opposants, n’est pas juste. Si la réconciliation reste difficile en Côte d’Ivoire, c’est parce que les haines sont vives entre les deux personnalités que sont Alassane OUATTARA et Laurent GBAGBO et ceux qui reprennent en écho cette haine sont le FPI et le RDR.

La détention de l’ex-président Laurent Gbagbo ne va point arranger les choses en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, la CPI doit tenir compte de cette situation : l’éternel dilemme de la paix versus la justice. Il est vrai que le Président OUATTARA a mis en place une commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) mais le processus de paix en Côte-d’Ivoire reste à la traîne. Une des raisons de cet échec programmé est le fait que les premiers procès après la vague de violences postélectorales ne concernent que les coupables du camp Gbagbo et jamais le camp du Président Alassane OUATTARA . Du coup, les ivoiriens ont l’impression d’être face à une justice sélective. Ceux qui ont voté pour Gbagbo (45,9% du nombre total de suffrages exprimés), ont le sentiment que seul l’ex-président Laurent Gbagbo est sanctionné. Même s’ils ne souhaitent pas obligatoirement voir le Président OUATTARA incarcéré à La Haye, mais ils verraient tout de même d’un bon œil les incarcérations des chefs des troupes ayant combattu au nom de ce dernier, aussi bien que l’incarcération de l’ancien ministre de la défense, l’ancien premier ministre et actuel Président de l’Assemblée Nationale.

Si les autorités ivoiriennes veulent vraiment la réconciliation en Côte d’Ivoire, elles doivent livrer ces personnes fortement soupçonnées ou œuvrer à la libération de l’ex-président Laurent Gbagbo et des autres.

Les actions de paix ne manquent pas dans ce pays. A titre d’exemple, c’est grâce à l’ex-président Laurent Gbagbo que le Président actuel est rentré en Côte d’Ivoire alors qu’il était pourchassé en 1995 par le Président Bédié avec un mandat d’arrêt international. C’est grâce à l’ex-président Laurent Gbagbo que l’actuel Président a été candidat, par le biais d’une ordonnance adossée à l’article 48 de la Constitution, pour le déclarer candidat exceptionnel en 2010. Le procès ayant des allures politiques, le Président Alassane OUATTARA doit libérer l’ex-président Laurent Gbagbo et tous les autres prisonniers politiques et permettre le retour de tous les exilés pour une Côte d’Ivoire rassemblée. Le souhait le plus vif des ivoiriens est qu’une entente décisive intervienne un jour prochain entre les frères ennemis.

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