Par Christophe Boisbouvier RFI
L’homme d’affaires béninois Patrice Talon est accusé d’avoir voulu faire empoisonner le président Boni Yayi, avec l’aide de la nièce et du médecin personnel de ce dernier. Patrice Talon est en fuite. Le mardi 23 octobre dernier, la justice béninoise a délivré contre lui un mandat d’arrêt international. Pour la première fois, ce 29 octobre, l’homme d’affaires s’exprime, et c’est sur Radio France Internationale (RFI). Patrice Talon se confie au micro de Christophe Boisbouvier. Pour l’homme d’affaires, toute cette histoire s’apparente à un « canular ».
RFI : Vous êtes au centre d’un scandale, au Bénin. Vous êtes accusé d’avoir voulu empoisonner le chef de l’Etat, quelle est votre première réaction ?
Patrice Talon : Canular. C’est un canular qui n’est pas le premier et qui n’est peut-être pas le dernier. Vous savez, le ridicule ne tue pas au Bénin. Je suis l’ennemi n°1 du président et au lieu de construire les choses les plus grotesques pour mettre un Monsieur Talon sous cloche, Dieu fasse que le président retrouve ses esprits et qu’il sache qu’après le pouvoir la vie continue, et qu’il retrouve le calme.
Revenons à cette énorme affaire de tentative d’empoisonnement. Mais disons avant tout que le président Boni Yayi et vous-même êtes brouillés depuis un peu plus d’un an, et qu’avant cette brouille, vous étiez très proches. Avez-vous sponsorisé les campagnes électorales du candidat Boni Yayi en 2006 et 2011 ?
Je ne vais pas le cacher, c’est réel. J’ai été un sponsor du président Yayi Boni. Comme tant d’autres, je l’ai conseillé et introduit là où j’ai pu pour sa conquête du pouvoir, en 2006 puis en 2011.
Après la victoire de Boni Yayi, vous avez décroché de gros marchés, comme la gestion du PVI, le programme de vérification des importations au port de Cotonou. Il y a quelques mois, vous avez perdu ce marché, pourquoi ?
Pour moi, c’est peut-être une punition …
Est-ce pour la même raison que vous avez perdu le monopole sur les importations d’intrants, les engrais, les insecticides, dans le secteur du coton ?
Je peux dire que oui. Toujours à titre de punition, il a été décidé brutalement d’arrêter l’intervention du privé dans ce secteur qui relève des activités privées au Bénin depuis bientôt deux décennies. Tout a donc été arrêté du jour au lendemain. Mais ce n’est pas la première fois. J’ai déjà été dans le passé suspendu comme cela, arbitrairement, pendant deux ans. J’ai attendu. Vous savez, quand on sait qu’on est bon on attend le retour de la vérité. Je suis habitué. Il faut accepter aussi de connaître ce genre de déconvenue et être patient. Ça je sais faire.
C’est l’histoire du surintendant Fouquet sous Louis XIV ! Vous êtes devenu trop riche, trop puissant ?
C’est à croire, mais je pense que mon malheur c’est d’être des fois trop indépendant, de ne pas mettre ma personne totalement au service de choses auxquelles je ne crois pas.
Trop indépendant, dites-vous. Est-ce que, ces derniers mois, le chef de l’Etat vous a demandé des services que vous avez refusé de lui rendre ?
Vous savez, c’est un secret de polichinelle ! Je vais vous le dire et tout le monde le sait : dès que le président Yayi Boni a été réélu en 2011, sa principale préoccupation était de réviser la Constitution.
Pour pouvoir se représenter en 2016 ?
Oui. Pour pouvoir rester au pouvoir, se représenter. Donc, le président m’a sollicité pour que j’accompagne son nouveau projet politique en utilisant mes relations, mes moyens pour obtenir auprès de l’Assemblée le nombre de députés qu’il faut pour voter ce genre de modifications qui nécessitent une majorité qualifiée. Mais j’ai résisté. Comme nous sommes des amis, j’ai pu quand même lui faire comprendre que ce n’était pas indiqué, que ce n’était pas faisable, que ce n’était pas bien. Et même si j’avais voulu, ça n’aurait pas marché. Le peuple béninois est attaché à sa démocratie, donc j’ai refusé.
Mais le président ne vous soupçonne pas de soutenir un de ses rivaux potentiels ?
Il me l’a dit, il me l’a dit en face ! Vous savez, je suis à un point où je peux vous dire certaines choses. Le président m’a dit un jour, dans les dernières discussions que nous avons pu avoir yeux dans les yeux : « Patrice tu sais, tu cours un risque en me résistant. Parce que je suis après tout le président du Bénin. Le président a beau être ton père, ton frère, ou même ton fils, il faut savoir qu’un chef d’Etat peut être dangereux pour toi. Révise ta position ». Je suis encore là.
C’était quand cette dernière conversation ?
C’était en novembre-décembre 2011.
Revenons à l’affaire judiciaire du moment. Ce qui est frappant dans les déclarations du procureur de Cotonou, c’est le luxe de détails. Il vous accuse d’avoir soudoyé la nièce et le médecin personnel du chef de l’Etat pour que ceux-ci administrent au président des médicaments toxiques, qu’est-ce que vous répondez ?
Vous savez qu’au Bénin, je n’en suis pas à ma première accusation. C’est la énième accusation de tentative de déstabilisation, de coup d’Etat, de l’élimination de Yayi Boni par son pire ennemi qui est Monsieur Talon. Vous savez, on a déjà déclaré sur les antennes que Monsieur Talon a détourné 12 milliards de subvention. Puis on a dit : « Il est allé braquer les caisses. Monsieur Talon en personne est allé braquer la douane ! Il a pris deux milliards dans une fourgonnette, il est parti » … Ça a été dit par le gouvernement ! Puis, après, ce canular est passé. On a dit ensuite : « tentative de coup d’Etat, de déstabilisation ». Cela a été dit par le président lui-même le 1er août dernier. Puis on finit par dire çà et là : « Ça y est, il veut tuer le président et il a organisé ça avec son médecin, sa nièce et telle et telle personne. Il faut lui mettre la main dessus ». Je suis parti de Cotonou il y a un mois par la brousse. J’ai fui parce que le Haut-commandement a été instruit par le président pour m’arrêter. Il y a un mois, heureusement qu’on m’a appelé, qu’on m’a dit : « Partez du pays tout de suite parce que dans une heure au plus tard, on viendra vous chercher ». Donc, ce qui est surprenant, ce n’est pas le fait qu’on m’accuse d’une énième tentative de coup d’Etat contre Yayi Boni ; ce qui est surprenant, c’est le caractère ultra-grotesque de ce scénario.
Mais cela dit, on imagine que comme vous étiez très proche du chef de l’Etat, vous avez croisé très souvent sa nièce et son médecin personnel ?
Je connais bien tout ce monde-là, très bien. Et tout le monde le sait.
Est-ce que vous avez rencontré la nièce du chef de l’Etat le 17 octobre dernier dans un hôtel de Bruxelles?
Nombre de personnes, de membres de sa délégation me fréquentent. Lors de la visite du candidat Yayi Boni à Bruxelles, le nombre de personnes qui sont venues me voir est bien au-delà de celui qu’on cite. Et ils le savent très bien ! Ce n’est pas la première fois ! Vous savez, une telle relation entraîne des tentatives de conciliation et de réconciliation : « dites-lui telle chose, faite ceci pour échapper à cela ». C’est quotidien. Dites-vous aussi que je suis parfois demandeur. Parce que ce n’est pas facile de ne pas être bien dans son pays, avec le chef. On essaye par tous les moyens que les choses n’en restent pas là.
Ce qui est sûr en tout cas, c’est que depuis une semaine, trois proches du président, dont sa nièce, sont inculpés pour tentative d’assassinat et sont en prison. Vous pensez qu’ils ont réellement tenté d’empoisonner le chef de l’Etat ?
Mais non ! Maintenant, quel est le scénario des manipulations ? de qui ? de quoi ? J’ai mon idée là-dessus. Ce n’est pas dans nos habitudes, au Bénin, de faire ce genre de choses.
Mais alors s’ils n’ont pas comploté contre le chef de l’Etat, sont-ils les complices du pouvoir dans une machination contre vous-même ?
Vous savez, tous ceux qui connaissent le président savent qu’il peut utiliser n’importe quoi et n’importe qui pour arriver à ses fins. C’est triste. Je ne vais pas dire plus. Ce n’est pas la première fois que je suis victime de manipulation.
Un mandat d’arrêt international est lancé contre vous, est-ce que vous craignez d’être arrêté dans un pays de refuge et d’être livré aux autorités béninoises ?
Je compte bien sûr, dans tous les cas, répondre aux accusations. Ceux qui me connaissent me jugent parfois téméraire, mais je ne suis pas casse-cou. Je prendrai donc des précautions juridiques à ma portée pour répondre aux accusations. Mais sans mettre ma vie en danger.
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