Procès Gbagbo: la CPI fait du surplace

A la Cour Pénale Internationale, l’audience de confirmation des charges contre l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo n’a toujours pas eu lieu. Que se passe-t-il à La Haye?

Philippe Duval – slateafrique.com

Bientôt onze mois, et une procédure toujours au point mort. L’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo, l’ex-président ivoirien, transféré nuitamment le 30 novembre 2011 de sa prison ivoirienne de Korhogo à celle de La Haye, n’a toujours pas eu lieu. Et la CPI n’a pas encore répondu à cette question:

«Existe-il des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que l’ex-président ivoirien a commis chacun des crimes qui lui sont imputés dans le document de notification des charges présenté par le procureur?»

Dans un acte d’accusation produit le 16 mai dernier, l’ex-procureur de la CPI, l’argentin Luis Moreno-Ocampo, remplacé le 15 juin par la Gambienne Fatou Bensouda, avait accusé Gbagbo d’être «le coauteur indirect de meurtre, de viol et d’acte inhumain constituant un crime contre l’humanité».

Et depuis, plus rien.

Ou plutôt deux reports de la fameuse audience le 18 juin puis le 3 août, sans qu’il soit fixé une autre date. Et ensuite, une autre séance les 24 et 25 septembre, cette fois pour examiner à huis clos l’état de santé de l’accusé et le rapport de trois experts qui l’avait ausculté sous toutes les coutures.

Et, quatre semaines plus tard, on ne sait toujours pas si Laurent Gbabgo est assez costaud pour affronter un procès de dix jours, en admettant que les accusations de Moreno-Ocampo aient été confirmées par la Cour. A un journaliste du quotidien ivoirien Nord-Sud qui s’impatiente, les services du Procureur répliquent que «les juges n’ont pas encore rendu leur décision et le feront en temps voulu. Il n’y a pas de délai limite dans les textes pour que la Chambre décide de cette question et donc pas de certitude quant au délai.»

Pour clore cette longue séance de surplace, voilà maintenant une autre audience le 30 octobre. Les statuts de la Cour prévoient que tous les prévenus doivent comparaître au moins une fois par an (la première et dernière comparution de Laurent Gbagbo date du 5 décembre 2011) et que leur demande de remise en liberté provisoire doit être réexaminée tous les cent vingt jours (une requête en ce sens a fait l’objet d’un rejet le 5 juillet 2012).

Les crimes ont été commis par les deux camps

Donc, deux raisons pour l’argentine Silvia Fernandez de Gurmendi, la juge unique de la Chambre préliminaire, d’examiner à nouveau le cas Gbagbo. Une séance prévue avec un timing très précis, trente minutes pour les observations du procureur, vingt minutes pour le représentant des victimes et trente minutes pour la défense, représentée par l’avocat français Emmanuel Altit.

Soit quatre-vingt minutes au total avec à la clé la question du maintien en détention ou de la libération de l’ex-président ivoirien. Qui sera, elle aussi, mise en délibéré pendant au moins une semaine. Ensuite, sauf coup de théâtre, on repartira pour un nouveau cycle de cent vingt jours, pour encore et toujours, gagner de temps dans un dossier fortement «encalminé» par des interférences politiques… Pour deux raisons :

1. Même les partisans de Ouattara le reconnaissent, en Côte d’Ivoire, les crimes ont été commis par les deux camps. Or, le nouveau président ivoirien refuse de livrer à la CPI ceux de ses soutiens, accusés, eux aussi, de crimes contre l’humanité. La juridiction internationale de La Haye ne peut donc juger le seul Gbagbo sans encourir une accusation de partialité.

2. La CPI est une juridiction autonome mais son indépendance s’arrête aux portes du conseil de sécurité de l’ONU dont elle est, selon ses détracteurs, le bras armé. C’est une évidence dans le cas syrien où des crimes à grande échelle sont commis en toute impunité sans que la juridiction de La Haye puisse s’interposer. Les tentatives de certains pays comme la France visant à associer la CPI au règlement de la crise syrienne sont «dépourvues de tout fondement juridique», vient de déclarer le ministère russe des Affaires étrangères.

Pour la Russie, qui possède comme la France un droit de veto au Conseil de sécurité, le tribunal de La Haye «ne doit ni devancer les actions du Conseil de sécurité, ni adopter de décisions allant à l’encontre de ces actions. Cela signifie que la prérogative du Conseil de sécurité en matière de droit international ne doit pas être remise en cause». On ne saurait être plus clair.

Dilemne de l’ONU face au cas ivoirien

Dans le cas ivoirien, la France de Nicolas Sarkozy a joué, avec son ambassadeur à l’ONU, Gérard Araud, un rôle moteur dans le dénouement du conflit post-électoral dont l’envoi de Gbagbo à La Haye est l’un des actes. Sans que la Russie et la Chine ne se mettent en travers de son chemin.

Dix-huit mois après l’arrivée de Ouattara au pouvoir, le Conseil de sécurité de l’ONU s’interroge. S’il décerne un satisfecit à Ouattara en constatant que «l’économie de la Côte d’Ivoire est en train de se redresser», il constate que «ce tableau positif ne doit pas occulter le fait que le pays continue de faire face à des difficultés et à des menaces importantes qui entravent ses efforts de transition vers la consolidation de la paix».

Le diagnostic date de juillet mais, depuis, la situation sécuritaire s’est encore aggravée avec, ces derniers jours, l’attaque d’une centrale thermique perpétrée par des éléments des Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), la nouvelle armée mise sur pied par Ouattara. Des affrontements armés se sont aussi produits à Abobo, dans la banlieue d’Abidjan, entre FRCI et Dioulas (commerçants ambulants d’Afrique occidentale) menacés de déguerpissement.

Deux leaders du FPI (Front populaire ivoirien), le parti de l’ex-président, ont été récemment emprisonnés tandis que de nombreux de ses proches (dont son épouse Simone et son fils Michel) croupissent sans jugement dans des prisons du nord du pays depuis dix-huit mois.

Un rapport fourre-tout et confus

Les prix flambent et la pauvreté s’accroît. Le processus de réconciliation est en panne, les pro-Gbagbo refusant d’y participer tant que leur leader reste emprisonné à La Haye. Dans un rapport de 44 pages destiné au président du Conseil de Sécurité de l’ONU, un groupe d’experts indépendants dresse un constat alarmant de la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire. Avec quelques approximations et non-dits.

Ces enquêteurs notent que les exilés pro-Gbagbo se réunissent régulièrement, disposent de comptes en banque, se structurent et s’entraînent pour mener des actions sur le territoire ivoirien. Sans apporter la moindre preuve qu’ils soient les auteurs de la vingtaine d’attaques meurtrières menées depuis avril.

Les experts font aussi état de contacts entre Ansar Dine, l’organisation islamiste qui sème la terreur dans le nord Mali, et partisans de l’ex-président. A l’appui de leurs accusations, ils affirment qu’un responsable d’Ansar Dine aurait rencontré un membre du réseau politique et militaire mis en place pour déstabiliser le régime Ouattara. En hésitant sur l’identité de ce pro-Gbagbo qui aurait ensuite échangé des «messages courts» avec les fous de Dieu.

Le rapport fourre-tout et confus, qui mélange des faits antérieurs et postérieurs à la crise post-électorale, s’attarde assez longuement sur les violations de l’embargo sur les achats d’armes qui auraient été commises par le régime Ouattara. Souvent par le biais du Burkina-Faso de Blaise Compaoré.

Il dénonce aussi les trafics d’or, de diamant, la contrebande de cacao et de noix de cajou, les exactions menées par des éléments FRCI incontrôlés, notamment dans le nord du pays. Bref, il accrédite l’idée que Ouattara n’y arrive pas et que, sans un vrai processus de réconciliation incluant les pro-Gbagbo, la Côte d’Ivoire risque de rechuter.

Une évidence qui ne saurait échapper très longtemps aux membres du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Philippe Duval

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