Décryptage RFI, la presse française et la technique du vrai-faux rapport officieux

Décryptage d’une manipulation sournoise – RFI, la presse française et la technique du vrai-faux rapport officieux

Par La rédaction Le Nouveau Courrier

Ce n’est pas la première fois que la presse parisienne mène des opérations de guerre psychologique en s’appuyant sur des rapports onusiens pas encore validés, auxquels on a ajouté des éléments fournis par des services secrets… ou complètement imaginaires. Il est également constant que son sens des «révélations» s’affadit quand des experts onusiens mettent en cause les alliés du camp Ouattara et de l’ex-rébellion… ou la France elle-même. Un grand émoi s’est emparé d’une grande partie de l’opinion publique ivoirienne après la diffusion, par RFI, d’un «scoop» selon lequel un rapport d’experts onusiens, en plus de prétendre qu’un certain nombre de personnalités proches du président Laurent Gbagbo, nommément citées, comploteraient pour renverser Alassane Ouattara, affirmerait sans rire que les leaders de l’opposition ivoirienne en exil auraient noué une «alliance» avec les islamistes maliens d’Ançar Dine, proches d’Al Qaeda, qui occupent le Nord Mali, et le capitaine Amadou Sanogo, le tombeur d’Amadou Toumani Touré. Bien entendu, la force des accusations et le caractère quasi-romanesque de l’article de la «radio mondiale» frappent les esprits et alimentent l’indignation. Mais lorsque l’on prend le nécessaire recul historique, l’on se rend compte que ce que ce que nous appellerons la technique du vrai-faux rapport officieux est une constante dans la communication de la nébuleuse internationale – surtout française – qui soutient Alassane Ouattara et tente de criminaliser, donc de disqualifier politiquement, depuis une dizaine d’années, toute une mouvance : celle incarnée par Laurent Gbagbo et les souverainistes ivoiriens. Retour sur un certain nombre d’opérations psychologiques du même type que celle qui vient d’être «mise en œuvre».
Le vrai-faux rapport de l’ONU sur les escadrons de la mort

En février 2003, les accords de Linas-Marcoussis et les résolutions de la conférence de Kléber, qui donnent une prime à la rébellion ivoirienne, sont chahutés sur le terrain abidjanais. Un rapport express de l’ONU évoquant de manière très vague l’existence d’«escadrons de la mort» en Côte d’Ivoire fait l’objet de fuites bien organisées dans les quotidiens Le Monde et La Croix. C’est une aubaine pour Jacques Chirac, qui peut menacer le couple Gbagbo des foudres de la Cour pénale internationale – imitant en cela Blaise Compaoré, parrain des rébellions libérienne, sierra-léonaise et ivoirienne. Le Monde, dans une belle coordination, va plus loin que ce que l’ONU peut se permettre et multiplie les articles sur les fameux «escadrons», accuse nommément des membres de la garde rapprochée du président Gbagbo et de son épouse de les diriger, sous la haute autorité, bien entendu, de leurs patrons. C’en est trop pour le numéro un ivoirien qui organise une conférence de presse, et annonce qu’il portera plainte, notamment contre Le Monde. Il le fait dès le 18 avril 2003.
Lors du premier procès qui a lieu le 26 mai 2004, la journaliste genevoise Catherine Fiankan-Bokonga, spécialiste des questions relevant de l’économie et des droits de l’homme, montre une interview du regretté Vieira De Mello, ancien Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, qui affirmait que le rapport de l’ONU ne comportait aucun nom de prétendus membres d’escadrons de la mort, et que son institution n’avait publié aucune liste, contrairement aux affirmations du Monde. Lors du procès en appel, Le Monde produit un prétendu document de l’ONU présenté comme la liste des neuf membres des «escadrons de la mort». C’est en réalité une note blanche des services de renseignements français, sans en-tête, ni signature. La presse française, en convergence avec les services secrets français, a en réalité fait dire ce qu’il n’avait pas dit à un rapport de l’ONU ayant opportunément «fuité», et qui était déjà destiné à faire pression sur le pouvoir ivoirien.

Le rapport de l’ONU sur la marche avortée du G7, éventé par RFI

En mars 2004, le G7, coalition des partis politiques d’opposition «houphouétistes» et des mouvements rebelles coalisés (MPCI, MPIGO et MJP) annonce qu’elle organisera des «marches éclatées» dans un contexte explosif. Les autorités d’alors, se fondant sur des rapports alarmistes des structures sécuritaires du pays, interdisent la marche. Le mot d’ordre est maintenu, et la manifestation est étouffée dans l’œuf. Le bilan des affrontements entre forces de l’ordre et activistes, civils et armés, fait l’objet d’une polémique. L’ONU décide, très rapidement, d’enquêter sur la question. L’enquête doit être présentée au gouvernement ivoirien, qui doit faire ses observations et ses réfutations, avant publication. Ce qui est susceptible de rendre moins unilatéralement accusatoires les conclusions du rapport. Qu’à cela ne tienne ! Le 3 mai, RFI publie, sur son site web, ce que l’ONU présentera, assez hypocritement, comme «une copie non officielle» du rapport de la Commission d’enquête sur les événements du 25 mars 2004. L’ONU reconnaît qu’il n’avait pas été présenté au gouvernement ivoirien, encore moins distribué aux agences de l’ONU se trouvant en Côte d’Ivoire. Le représentant permanent de la Côte d’Ivoire à New York accuse la Commission d’avoir intentionnellement permis la «fuite» spectaculaire d’un document forcément non soumis au moindre débat contradictoire, «afin de ruiner le processus de réconciliation nationale». Dans une lettre à Kofi Annan, le président Gbagbo soutient que le rapport a été «clairement influencé». Pour faire baisser la pression, l’ONU s’engage à mettre en place la Commission d’enquête réclamée par les accords de Linas-Marcoussis qui doit se pencher sur tous les crimes et exactions commis depuis le 19 septembre 2002.

Le rapport de l’ONU qui n’est jamais sorti sur les exactions de tous les camps…

Mise en place le 22 juin 2004, la Commission d’enquête indépendante sur les graves violations des droits de l’Homme enregistrées en Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002, rend ses conclusions au secrétaire général de l’ONU et au Commissaire aux droits de l’Homme, comme l’indique un communiqué daté du 19 octobre 2004. Cette fois-ci, la procédure est respectée. Le gouvernement ivoirien reçoit un draft du rapport et appose ses remarques et observations. Mais ce rapport, qui évoque aussi de manière assez exhaustive les exactions des rebelles, les complicités du Burkina Faso et du Mali, ainsi que – assez timidement – celles de la France, ancienne puissance coloniale, ne sortira jamais. Alors que l’on est en face d’une véritable opération de camouflage de la vérité, la presse française n’est pas intéressée par l’organisation de fuites opportunes. Il faut attendre le 24 décembre 2004, en pleine fête de Noël donc, pour que le quotidien Libération publie de courts extraits de ce rapport – sans bien entendu mentionner les extraits qui mettent en cause Paris. RFI ne publie pas le rapport dans son intégralité sur son site web, comme elle l’a fait pour le rapport relatif aux événements de mars 2004. Outré par le refus de la Maison de Verre de publier un rapport qu’elle a pourtant chèrement financé, le gouvernement ivoirien remet le document à la presse ivoirienne. L’Intelligent d’Abidjan le publie en intégralité. Le Courrier d’Abidjan en fait même un ouvrage intitulé «Tout sur le rapport de l’ONU qui dérange». L’affaire rebondit fin juin 2011. Interrogée par des journalistes, Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU soutient qu’il «est tout à fait pertinent que le Rapport de 2004 soit rendu public.» Elle ajoute – argument curieux ! – qu’elle s’employait «à trouver qui est autorisé à la publication de ce rapport que ce soit le Conseil des droits de l’Homme ou le Secrétaire Général de l’ONU». Elle martèle qu’elle «ne renoncera pas à cette action». Près d’un an et demi après cette pétition de principe, rien n’a bougé. Le rapport n’a pas été officiellement publié, donc officiellement endossé, par l’ONU.

Le faux rapport de l’ONU sur le massacre de Petit-Duékoué et Guitrozon

Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2005, un commando de personnes que des survivants désignent comme des Dozos, associés aux Forces nouvelles hier et supplétifs des FRCI aujourd’hui, attaque les villages Guéré de Petit-Duékoué et Guitrozon, faisant plusieurs dizaines de morts. C’est un vrai crime contre l’humanité. L’émoi est grand et des regards désapprobateurs se tournent vers les rebelles que Paris s’obstine à ennoblir. Soudain, RFI sort un «scoop». Une «note confidentielle» de l’ONUCI qui affirmerait qu’en réalité, ce sont les «miliciens pro-Gbagbo» qui sont responsables de cette tuerie. Très vite, l’ONU dément l’information et affirme que ce «rapport» n’est pas d’elle, par la bouche d’Hamadoun Touré et de Pierre Schori, représentant spécial de Kofi Annan à Abidjan. Mais le venin de la désinformation a déjà fait son effet.

Le rapport du Comité des experts 2010, étouffé parce qu’il gênait le grand «storytelling»

Si la presse française sait trouver des rapports «accablants» contre le camp Gbagbo, y compris en mélangeant le vrai et le virtuel, elle sait aussi ne pas trouver les rapports que l’ONU elle-même s’évertue à cacher. A propos du Comité des experts chargés de surveiller l’embargo justement. Le rapport de 2010 sur les violations de l’embargo a été bloqué par le Conseil de sécurité. Et pour cause : il évoque le réarmement des parties en présence, et l’action néfaste du Burkina Faso, qui alimentait les Forces nouvelles en fusils d’assaut notamment, là où la communication officielle onusienne plaidait pour une élection sans désarmement. Entériner ce rapport aurait signifié admettre que les conditions n’étaient pas réunies pour un scrutin pacifié, alors qu’il était question de broder autour de Gbagbo qui retarde les élections depuis cinq ans parce qu’il a peur de perdre. Le rapport est étouffé en dépit de la lettre envoyée le 17 septembre 2010. Finalement, le rapport, qui comportait des vérités pas bonnes à savoir, sera publié le 20 avril 2011, neuf jours après la chute de «l’ennemi» Gbagbo. Bien entendu, la presse française dans sa grande majorité s’en désintéressera.

Pourquoi le «rapport» évoqué samedi par RFI ne pouvait pas être publié en l’état

Dans sa mise au point relative au «rapport» dont RFI a dévoilé le «contenu», la porte-parole de l’ONUCI a affirmé deux choses : premièrement, le rapport du Comité des experts de l’ONU sur l’embargo est produit par des équipes extérieures, et peut être endossé ou non par l’institution ; deuxièmement, l’ONUCI n’a pas encore reçu le dernier rapport du Comité. En clair, non seulement elle ne peut pas confirmer que ce que dit RFI se trouve vraiment dans le rapport, mais de plus même si cela était le cas, rien ne dit que de telles conclusions seront endossées par l’ONU. En réalité, il est fort peu probable que les accusations fantaisistes évoquées par RFI soient publiées un jour par le Comité des experts. Notamment parce que sa méthodologie est très contraignante. Les experts doivent, pour publier une information, se fonder sur des sources documentaires éprouvées ou au moins deux sources indépendantes. Ils doivent aussi, autant que faire se peut, contacter les mis en cause et recueillir leur version des faits. Ce qui n’a pas encore été fait, selon les nombreuses personnalités interrogées par Le Nouveau Courrier. Par exemple, sur un sujet comme la prétendue réunion de Takoradi, Marcel Gossio, par exemple peut aisément prouver qu’il n’était pas au Ghana à la date citée.
Par ailleurs, selon RFI, le rapport ( ?) évoque des SMS interceptés et qui seraient des preuves contre les pro-Gbagbo. Or, le Comité des experts ne comporte en son sein aucun expert en écoutes téléphoniques, et l’ONUCI non plus. La réalité doit être la suivante, au-delà de cette opération de propagande bien huilée. Il est fort probable que, tout simplement, les sécurocrates du régime Ouattara aient livré de prétendues «preuves» aux experts, qui ont dû les consulter, se les partager ou les archiver. Et la «magie» de la «com» a pour effet de transformer les accusations des pro-Ouattara – Guillaume Soro ne comparait-il pas le FPI au MUJAO il n’y a pas longtemps ? – en conclusions d’experts indépendants. Là où RFI et ses sources ont su se couvrir, c’est que l’article évoque un rapport «intermédiaire». Ce qui signifie, sans doute, qu’il n’a aucune vocation à être publié. Cela tombe bien. Puisque s’il n’est pas publié, RFI pourra se couvrir et… rebondir.

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