Assane Niada L’Inter
L’Etat de Côte d’Ivoire a annoncé mercredi 26 septembre dernier, son intention de ratifier le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale (Cpi). Cette ratification devra passer par la révision de la Constitution, après que le projet de texte aura été soumis à l’Assemblée nationale. Ce sera le premier dossier que le parlement sera appelé à examiner après celui sur le budget. Pourquoi la Côte d’Ivoire, qui n’avait pas ratifié le traité de Rome depuis son entrée en vigueur, se décide-t-elle à le faire ? Et pourquoi maintenant ? Pourquoi l’Assemblée nationale devra-t-elle débuter ses activités parlementaires par ce dossier qui n’a aucun impact sur le vécu quotidien des populations ivoiriennes ? Autant de questions que se posent bien des observateurs, et auxquels certains écrits ont tenté, tant bien que mal, d’apporter des éléments des réponse. Pour l’avocat Blessy Chrisostome, il s’agit pour les autorités ivoiriennes de régulariser une situation en allant au-delà de la convention signée entre la Cpi et l’Etat de Côte d’Ivoire, dès la fin de la crise post-électorale. Selon lui, il s’agit de mettre davantage à l’aise la Cpi en lui donnant cet argument juridique de poids pour justifier son intervention dans les affaires ivoiriennes relevant de ses compétences. C’est également l’avis du président de la Coalition ivoirienne pour la Cpi, Ali Ouattara. Interrogé par Rfi, il a estimé que cette ratification permettra à la Cpi d’engager des poursuites contre d’autres auteurs de crimes en Côte d’Ivoire, et cela quel que soit leur bord politique. Ces habitués du droit touchent là du doigt, l’une des motivations secrètes ayant guidé ce projet de ratification tombé comme un cheveu sur la soupe. En effet, il paraît pour le moins surprenant que les autorités ivoiriennes décident maintenant de poser l’acte juridique qui permet à la Cpi d’agir en toute légalité en Côte d’Ivoire. D’autant qu’elles avaient donné le sentiment, un moment donné, de vouloir contourner (à défaut de l’arrêter) la procédure engagée devant cette juridiction internationale. De sources bien informées, la Cpi a émis des mandats d’arrêt contre d’autres acteurs de la crise post-électorale, dont Simone Gbagbo et certains ex-chefs de guerre. Le mandat d’arrêt contre l’épouse de Laurent Gbagbo avait même été confirmé par le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, dans l’une de ses interventions sur les chaînes étrangères. Celle-ci devait être transférée à la demande de la Cpi, fin mars, lors d’une audience qui devait se tenir à brûle-pourpoint à Odienné où elle est détenue. Alors que l’annonce avait été faite, tout a été stoppé sine die, les gouvernants s’étant ravisés, a-t-on appris. Il semble qu’ils ont tout arrêté pour éviter d’ouvrir la boîte de pandore: livrer Simone et ouvrir la voie au transfèrement des pro-Ouattara qui seraient dans le viseur de la Cpi. Dans la foulée, des membres du gouvernement s’étaient mis à démontrer que les juridictions nationales étaient désormais outillées pour juger tous ceux qui sont accusés de crimes pendant les violences post-électorales. Cela, on le saura plus tard, participait d’une stratégie pour court-circuiter la Cpi en la dessaisissant des développements du dossier ivoirien qui a échu entre ses mains avec le transfèrement à La Haye de l’ancien président Laurent Gbagbo. On en était là quand Abidjan a annoncé mercredi dernier que le traité de Rome sera ratifié très bientôt. D’où vient-il que les autorités ivoiriennes, qui semblaient désormais vouloir éloigner la Cpi de nos «querelles de ménage», en viennent subitement à demander la ratification du traité de Rome ? Curieux, intrigant ! Au fond, Abidjan se plie aux règles de convenance qui veulent que la Côte d’Ivoire se mette juridiquement en règle en ratifiant ce traité, elle qui a un dossier pendant devant cette juridiction internationale. Les autorités ivoiriennes se sont laissé convaincre que ça ne fait pas beau que leur dossier soit à l’étude à La Haye alors qu’elles n’ont pas jusque-là posé l’acte fondamental par lequel la Cpi est fondée à intervenir dans leurs affaires. D’autant que durant les mois à venir, la procédure concernant le cas Gbagbo pourrait rythmer l’actualité internationale. Par ailleurs, en ratifiant le traité de Rome, Ouattara se donne les moyens juridiques de justifier un éventuel transfèrement des personnes de son camp que la Cpi continuerait de réclamer. Au cas où il serait amené à abdiquer sous la pression internationale, il pourrait invoquer cette contingence juridique pour justifier le fait de livrer ces personnes. Peut-être est-ce là aussi le prix à payer pour éviter que certaines personnalités soient dispensées de poursuites devant la Cpi ? Et cela, dans une sorte de deal.
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