Libre Opinion – Contribution éditoriale, texte proposé par Dr PRAO Yao Séraphin, délégué national au système monétaire et financier à LIDER
1. La Côte d’ivoire est un puissant pays agricole
La Côte d’Ivoire est un pays à caractère essentiellement agricole. La superficie totale cultivée (9.500.000 ha) représente 40 % des terres cultivables (24.000.000 ha), elles-mêmes estimées à 75% du territoire national (32.250.000 ha). Le secteur agricole ivoirien qui comprend les productions végétales et animales et les industries agroalimentaires contribue grandement au PIB, à l’emploi et aux recettes d’exportation. L’économie de la Côte-d’Ivoire repose sur l’agriculture qui représente près de la moitié du PIB. L’agriculture ivoirienne est basée sur les cultures vivrières et les cultures d’exportation (cacao, bois, café et fruits tropicaux). La Côte-d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao. L’agriculture en Côte d’Ivoire occupe près de 66 pour cent de la population active et contribue à hauteur de 70 pour cent aux recettes d’exportation. Les cultures de rente, dominées par le cacao et le café, participent à près de 50 pour cent de la valeur ajoutée agricole. Produits traditionnels d’exportation, le café et le cacao occupent toujours la première place des cultures de rente en Côte d’Ivoire placée au 1er rang mondial pour le cacao. En dehors de ces principaux produits, les cultures de palmier à huile, cocotier, hévéa, banane, ananas, coton et anacarde occupent une place non négligeable dans l’agriculture ivoirienne.
L’agriculture vivrière a elle aussi une place importante en Côte d’Ivoire car elle permet d’atteindre l’autosuffisance dans les domaines de l’igname, du manioc, de la banane plantain, et des cultures fruitières de manière générale. Le pays connaît toutefois des difficultés au niveau du riz pourtant largement consommé par les Ivoiriens. En Côte d’Ivoire, le riz est devenu l’aliment principal de la population avec une consommation estimée à 1 300 000 tonnes de riz blanchi par an, soit environ, 58 kg par an et par habitant. Le riz est cultivé sur les plateaux et dans les bas-fonds dans toutes les régions du pays (les zones forestières, les zones de savanes, les zones montagneuses de l’ouest du pays). La production nationale a été de 683 671 tonnes de riz paddy en 2008. La Côte d’Ivoire importe entre 300.000 à 400.000 tonnes par an.
L’agriculture ivoirienne est dominée par des exploitations familiales peu équipées avec une forte concentration des ménages (89%) dans la tranche des exploitations de moins de 10 ha. La superficie moyenne exploitée par ménage est de 3,89 ha. Les exploitations de plus de 5 ha sont détenues par 24% de ménages agricoles qui exploitent environ 74% des superficies cultivées. La grande majorité des exploitants pratique la culture manuelle. A côté de cette agriculture traditionnelle familiale, il existe de grandes exploitations traditionnelles (3744 exploitations identifiées au recensement de la population de 1998) et des exploitations modernes (1076 exploitations identifiées). Enfin, certaines filières de production (palmier à huile, hévéa, canne à sucre) ont été lancées sous forme de complexes agro-industriels associés à des plantations villageoises, réalisés par des sociétés de développement publiques qui ont été privatisées à la fin des années 1990. La coexistence d’agro-industries, d’exploitations modernes et d’exploitations traditionnelles est assez typique de la Côte d’Ivoire.
Concernant l’élevage, il se pratique sur l’ensemble du territoire national avec une forte prédominance des ruminants au Nord et au Centre, et les élevages à cycle court au Sud. Le secteur de l’élevage comprend principalement quatre (4) filières constituées chacune d’élevages traditionnels largement répandus et d’élevages modernes plus restrictifs mais organisés et où les efforts d’investissements directs sont porteurs de valeurs ajoutées. Le pays compte 11 millions d’hectares de parcours, l’activité d’élevage est pratiquée par environ 786 000 exploitants.
La forêt reste un support prépondérant dans le développement socio-économique de la Côte d’Ivoire grâce à l’agriculture et à l’exploitation forestière.
2. Les paysans ivoiriens sont toujours grugés
L’économie de la Côte d’Ivoire repose sur l’agriculture pourtant les paysans, eux, sont très pauvres. Non seulement, ils ne tirent rien de la vente de leurs récoltes mais ils sont aujourd’hui expropriés de leurs terres.
Abordons le premier point de la mévente de leurs productions. Commençons par la noix de cajou. Comme annoncée, la campagne 2012 de commercialisation de la noix de cajou a débuté en mars avec l’annonce du prix d’achat indicatif bord champ et la publication de la liste des opérateurs agréés à l’exportation des noix de cajou. Un prix bord champ indicatif de 310 FCFA/Kg a été fixé en début de campagne (21 février 2012), après concertation avec les trois groupes d’acteurs (producteurs, exportateurs et transformateurs). Mais en réalité, le prix bord champ pratiqué effectivement sur le terrain en début de campagne (de mars à mai) a varié de 150 à 200 FCFA/kg. Ce prix va remonter progressivement pour atteindre son plus haut niveau aux mois de mai et juin entre 315 FCFA et 350 FCFA/kg, avant de redescendre à moins de 150 F CFA à la fin du mois de juin. Le faible niveau actuel de ces prix a entrainé un ralentissement des achats bord champ et les productions d’accumulent dans les entrepôts des paysans. Les cotonculteurs ivoiriens sont donc très mécontents. Ils l’ont fait savoir par la voix du secrétaire général de l’Anaprocajou, le lundi 16 juillet 2012, en ces termes :
« Plus de 200 000 tonnes sont encore entre les mains des producteurs. C’est un scandale ! Les producteurs n’ont pas la sacherie pour bien conserver ces produits. La situation est très grave et en même temps inquiétante. Les pays de l’Afrique de l’Est vont commencer leur campagne à partir du mois d’août, alors je me demande ce que vont devenir les noix de Côte d’Ivoire ».
Le secrétaire général ,Koné Métan, a également pointé du doigt le manque d’activisme de l’Etat pour abréger la souffrance des producteurs : « Il n’y aucune disposition de suivi et d’encadrement du prix fixé par les acteurs. Les exportateurs sont au bord champ, piétinant les textes de loi et livrant une concurrence déloyale aux coopératives. Les noix de cajou sortent frauduleusement de la Côte d’Ivoire par la frontière ghanéenne, causant une perte de 65 milliards de FCFA à la Côte d’Ivoire… ».
Au niveau du cacao, la misère est également partagée. Les paysans qui ont salué l’arrivée au pouvoir du président Alassane OUATTARA sont désabusés. L’annonce de la fixation à 1000 Fcfa du prix du kg de cacao contrairement à 1100 Fcfa, la campagne précédente, a été unanimement applaudie par les producteurs. Mais, le nouveau prix annoncé visait essentiellement à opposer les paysans et les acheteurs puisque le cacao n’a jamais été acheté à 1000 Fcfa bord champ. Mieux, au début de la campagne, ce prix variait d’une zone de production à l’autre. A certains endroits, les prix étaient négociés entre 600 et 750 Fcfa alors que dans d’autres, le producteur était obligé de conserver ou brûler sa récolte dans le cas où il refusait de la brader à 500 Fcfa. L’Etat a tout simplement tourné le dos à ceux qui cravachent pour faire de la Côte d’ivoire ce qu’elle est aujourd’hui.
En plus de la mévente de leurs productions, les paysans ivoiriens sont expropriés de leurs terres par des étrangers. Selon plusieurs sources, depuis plusieurs mois, les citoyens ivoiriens impuissants assistent à des arrivages journaliers de bus qui déversent par centaines des clandestins Burkinabés dans l’Ouest du pays, lancés à la conquête des plantations de café -cacao et se livrant à l’abattage sauvage de milliers d’hectares de forêt domaniale classée pour en augmenter la surface, et cela sans tenir compte des lois du pays. En Août 2012, le PDCI « s’inquiétait vivement des informations persistantes tendant à accréditer le convoyage d’immigrants clandestins armés pour l’occupation intempestive de nos forêts et plantations au mépris du droit des propriétaires terriens et des exploitants qu’ils expulsent et assassinent », par la voix de son secrétaire général, le professeur Alphonse Djedje MADY. Ouédraogo Rémi alias Amadé Ouérémi, s’est introduit dans le parc du mont Péko, qui est à cheval entre les départements de Bangolo et de Duékoué. Le parc du mont Péko a été abandonné par les agents des Eaux et Forêts qui assuraient la surveillance des lieux avant la crise. Les paysans Wê, riverains du parc, ont fui plantations et villages. Les autochtones Wê sont interdits de se rendre dans leurs campements. Les miliciens d’Amadé y sont établis. Selon Dr Gui Tiéhi Jean Claude, président du Conseil général de Guiglo, par ailleurs, Secrétaire général du Comité de sauvegarde de patrimoine foncier Wê, «30.000 clandestins exploitent la forêt classée de Goindébé. Ils sont 25.000 dans la forêt du Cavally et 25.000 dans la réserve de Scio ».
En d’autres termes, depuis Taï jusqu’à Toulépleu; de Toulépleu à Sémien, en passant par Guiglo, Duékoué, Bangolo et Kouibly, les Wê sont dépossédés de leurs terres ainsi que de leurs exploitations de cacao par des Dozos et des Burkinabé puissamment armés. Ces hommes étranges chassent les autochtones et se lancent dans l’agriculture et la déforestation, sans aucune règle de conduite, sans aucun respect de la propriété. Le professeur Francis AKINDES dit que l’Ouest du pays est le carrefour de la haine, justement à cause des conflits fonciers.
3. La Côte d’Ivoire au pied de la montagne foncière
On ne le dira jamais assez, la terre constitue un objet d’une importance aussi précieuse que vitale. Au sein de la paysannerie, de la possession d’une terre, petite ou grande, fertile ou improductive, dépend un sentiment de fierté sociale et de sécurité économique et existentielle.
Récemment une chaine de télévision française révélait que les forêts et les terres à l´Ouest de la Côte d´Ivoire sont non seulement inexploitées mais mieux elles n´appartiennent à personne. Et pourtant, la terre comme tout bien doit avoir un propriétaire ou un locataire. C’est régulièrement que les ivoiriens se battent pour la terre, à l’Ouest comme au Sud du pays. Une réforme foncière est nécessaire en Côte d’Ivoire car elle permettra de résoudre plusieurs problèmes.
Premièrement, l’octroi des titres fonciers aux ayants droit atténuera les tensions sociales en Côte d’Ivoire. Mieux, la réconciliation passe également par le règlement de la question du foncier rural.
Deuxièmement, la réforme foncière sera nécessaire à la modernisation de l’agriculture. Dans les pays agricoles comme la Côte d’Ivoire, l’industrialisation passe par une promotion d’une politique d’extraversion améliorée : l’industrie de substitution d’exportation. Il s’agit de remplacer progressivement les exportations traditionnelles par des exportations de biens semi-manufacturés ou des produits industriels. Les nouveaux pays industrialisés (NPI) ont adopté cette stratégie de développement. Mais la réussite de cette politique suppose des réformes préliminaires décisives.
D’abord la réforme agraire. Dès 1948 en Corée du Sud et 1949 à Taïwan, les nouveaux régimes en place décidèrent de procéder à une réforme de la propriété foncière dans les campagnes. Cette propriété fût limitée dans deux cas à moins de 3 hectares par exploitant agricole , les terres en surplus étant confisquées et indemnisées, et revendues à des conditions de crédit avantageuses, aux exploitants non propriétaires. Les régimes en place mettaient ainsi fin à la sous-exploitation propre aux latifundia. Sur le plan macroéconomique, les effets de la réforme agraire permettaient les économies de devises et la constitution des marchés. La réforme a permis une amélioration sensible du revenu agricole, et des effets bénéfiques en termes de main-d’œuvre. En effet, les petites exploitations ayant peu recours à des ouvriers agricoles, ceux-ci furent dès lors incités à aller s’employer dans l’industrie.
Ensuite une législation en faveur de l’investissement. l’Etat n’a jamais été envahissant dans le secteur industriel. Mais l’Etat a investi dans les secteurs trop capitalistes pour être accessible aux PME, mais susceptibles de jouer un rôle d’entraînement sur ces dernières. Le système fiscal et social doit être favorable aux entreprises. Chez tous les « Dragons », l’intervention de l’Etat se retrouve dans les politiques d’incitation aux exportations, par le biais de la mise en place de zones franches.
Troisièmement, la réforme foncière pourra renflouer les caisses de l’Etat et être une source de prospérité pour les ivoiriens. Dans sa lettre aux ivoiriens à l’occasion de la fête de l’indépendance, le 7 août 2012, le Président de LIDER a longuement expliqué les retombées de la réforme foncière : «… Si l’on tient compte des cours d’eau, des terres non arables, des villes, villages et autres lieux habités, des routes et autres servitudes et remembrements et qu’on ne retient, par exemple, que 200 000 km² de terres pouvant faire l’objet d’attribution de titres fonciers ruraux sur les 322 000 km² de terres de Côte d’Ivoire, et sachant qu’un kilomètre carré (km²) représente 100 hectares soit 1 million de mètres carrés, si l’Etat ne prenait que 1 fcfa par m², on aurait 200 milliards de francs de recettes fiscales par année au titre de l’impôt foncier rural. Si la taxe foncière rurale était fixée à 5 fcfa par m², l’Etat pourrait encaisser annuellement 1.000 milliards de fcfa. Et si l’Etat se contentait de faire payer aux propriétaires des terres 10 fcfa par m², il encaisserait 2.000 milliards de fcfa de plus par an pour le budget. Vous conviendrez avec moi, chers Ivoiriens, qu’avec de telle sommes, il y a de quoi financer des infrastructures routières en zones rurales et rembourser la dette intérieure de l’Etat sans pour autant se surendetter auprès de bailleurs de fonds internationaux. Cette stratégie est non seulement réaliste, mais elle créerait en plus de nombreux emplois pendant toute sa phase de réalisation, mettrait fin aux risques de conflits fonciers et sécuriserait l’investissement dans l’agriculture. La propriété privée de la terre entraine l’envol, autant pour les individus que pour notre nation. C’est cet envol vers la liberté et la prospérité que je vous souhaite en cette occasion de célébration ».
4. Les erreurs à éviter dans toute réforme foncière en Afrique
Si la terre est un bien alors, elle doit faire l’objet d’échange comme les autres biens. La terre peut donc entrer dans de nombreuses transactions rendues tantôt obligatoires, tantôt inévitables par bien de circonstances (soins de santé, scolarisation des enfants, frais de justice,…) qui dépassent les moyens limités, facilement accessibles et entrant sans grand protocole dans le commerce ou les échanges. Le paysan ivoirien doit donc pouvoir vendre une partie de ses terres pour la satisfaction de certains besoins. Mais voilà : l’économie ivoirienne est basée sur l’agriculture à tel point que l’Etat caporalise parfois la question du foncier rural. Tantôt, il reconnaît les droits coutumiers (décret du 20 mai 1955, décret de 1971) comme le souhaitent les populations face aux migrants d’origine ivoirienne ou non ; tantôt, il a essayé de « déposséder » les détenteurs de droits fonciers coutumiers en s’arrogeant le droit de s’approprier et de gérer toutes les terres (loi de 1962, loi de 1964 et enfin le discours de Félix Houphouët Boigny du 30 octobre 1970). La question foncière divise les populations et traumatise les décideurs.
En résumé, la loi de 1998 dit ceci : en revenant sur le droit du premier occupant du sol, la loi du 23 décembre 1998 à son article 1 impose une immatriculation de la propriété dans une première phase :
« Article 1 : Le Domaine Foncier Rural est constitué par l’ensemble des terres mises en valeur ou non et quelle que soit la nature de mise en valeur. Il constitue un patrimoine national auquel toute personne physique ou morale peut accéder. Toutefois, seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à en être propriétaires. »
Dans la seconde, elle impose un certificat foncier qui est lié à la notion de la nationalité. C’est dire qu’à partir de cette loi, aucun non ivoirien ne peut être propriétaire terrien. Tous ceux qui, par des arrangements coutumiers ont acquis une parcelle de terre dans le passé, se verront dépouiller de leur bien au bénéfice de l’État, s’ils n’apportent pas la preuve de leur nationalité :
Article 6 :« Les terres qui n’ont pas de maître appartiennent à l’État et sont gérées suivant les dispositions de l’article 21 ci-après. Ces terres sont immatriculées, aux frais du locataire ou de l’acheteur ».
Finalement à ces étrangers, leur droit de propriété se transformera en un contrat emphytéotique conformément à l’article 26.
La loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural telle que modifiée par la loi n° 2004-412 du 14 août 2004, n’a jamais été appliquée et aujourd’hui encore les paysans ne sont pas propriétaires de leurs terres.
Le samedi 2 juin 2012, à la Maison du parti de Cocody, faisant le point de leur «alliance avec le RDR de Alassane OUATTARA», le PDCI a recommandé qu’une politique d’immigration soit mise sur pied par le pouvoir OUATTARA. Ce parti a également demandé en plus l’application intégrale de la loi de 1998 sur le foncier rural.
Cette loi est incomplète ou mauvaise selon d’autres formations politiques. Elle est mauvaise parce qu’elle n’a pas pu distribuer les titres fonciers aux paysans, elle est incomplète parce qu’elle interdit aux étrangers d’acheter des terres.
C’est justement sur ces points de désaccords que nous voulons verser au débat notre point de vue. La terre, base de la vie rurale et outil de production, est une ressource stratégique. Les multinationales se ruent sur les terres africaines et c’est aux africains d’être très vigilants. L’exemple de l’Ethiopie est parlant : 3,6 millions d’hectares, la superficie des Pays-Bas, ont été cédés à des investisseurs étrangers, entre 2008 et début 2011. Les États hôtes voient le plus souvent des opérations financières pour améliorer leurs finances publiques. Les autorités éthiopiennes ont annoncé en début d’année vouloir céder 3,4 millions d’hectares supplémentaires.
Dans les pages «Confidentiel» de l’hebdomadaire parisien spécialisé sur l’Afrique , Jeune Afrique, on apprend que plusieurs grands groupes agro-industriels étrangers négocient actuellement avec l’Office national de la riziculture en Côte d’Ivoire. Parmi eux, le français Mimran, qui projette de produire 1 million de tonnes de riz blanc le long du fleuve Bandama, entre Tiassalé et Grand-Lahou (Sud), mais aussi le franco-américain Louis Dreyfus, la Compagnie d’investissements céréaliers Suisse, ainsi que les singapouriens Olam, Export Trading Corporation et Singapore Agritech. Plusieurs centaines de milliers d’hectares sont concernés. Ce sont ces multinationales qui seront les grands gagnants si la loi foncière leurs reconnaissait la possibilité d’acheter des terres.
Les pays africains désireux d’engager des réformes foncières très ouvertes doivent donner aux concessionnaires un cahier de charge. Des dispositions fortes sont nécessaires pour au moins deux raisons.
Premièrement pour que le pays sorte gagnant . Selon Alternatives internationales (Hors-série de Juillet 2012), les contrats passés entre les compagnies et les États se révèlent largement défavorables pour ces derniers. L’accord signé en 2009 entre l’americain Herakles Farms et l’État camerounais, portant sur 73000 hectares, ne va ainsi quasiment rien rapporter au pays : un dollar par hectare seulement.
En 2011, en Sierra Leone, une centaine de personnes se sont insurgées contre l’octroi de terres à la société Socfin, basée au Luxembourg. En janvier 2012, au Liberia, c’était le tour de centaines de villageois, que l’État avait spoliés au profit de l’indonésien Sime Darby, de manifester.
Deuxièmement, il faut éviter que le développement des agrocarburants compromette la sécurité alimentaire. Les firmes multinationales dans leur politique de développement des agrocarburants, cherchent des espaces pour cultiver le maïs et d’autres cultures. Mais le revers de la médaille c’est que leur développement participe à la flambée des prix agricoles et à leur volatilité. L’autre grand problème est l’expansion des terres dédiées à leur culture (agrocarburant). Le plus souvent, en Afrique subsaharienne, les créations de grands domaines agricoles se font fréquemment aux dépens des populations locales dont les droits fonciers sont peu ou pas protégés par les gouvernements. Aujourd’hui la maïs nourrit les hommes, les bêtes et les autos. Il faut donc se garder d’une trop grande ouverture qui pourra compromettre la sécurité alimentaire et l’autosuffisance alimentaire. En 2012, avec 33 millions de tonnes échangées annuellement, le marché du riz est le plus petit des marchés céréaliers (134 millions pour le blé et 94 millions pour le maïs). Il ne représente que 7% de la production mondiale, contre 20% pour le blé et 12% pour le maïs. L’Afrique subsaharienne est le premier pôle d’importation. On peut citer le Liberia et le Sénégal. La Thaïlande, premier fournisseur mondial, écoule 60% de ces excédents en Afrique subsaharienne et australe.
Au Mali, par exemple, rapporte l’Oakland Institute, plus de 40% des baux fonciers visent la production d’agrocarburants. Les 60% restants concernent certes des productions alimentaires, mais que les investisseurs ont le droit d’exporter intégralement. Parfois aussi les terres acquises ne sont pas mises en culture, ou ne le sont que partiellement et les emplois promis par ces compagnies ne sont pas au rendez-vous.
Le Mozambique a décrété un moratoire sur les acquisitions foncières. Madagascar, indique Perrine Burnod, chercheuse au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et détachée auprès de l’Observation du foncier de la Grande-ile, affiche la volonté d’être plus exigeante vis-à-vis des investisseurs en leur imposant notamment un passage devant un comité interministériel de sélection. Des outils de régulation sont également en création au niveau international : des « principes pour des investissements agricoles responsables » ont été définis en 2009 par la Banque mondiale, la Cnuced (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) et la FAO. En mars 2012, un consensus a été trouvé sur les « Directives volontaires pour améliorer la gouvernance des régimes fonciers applicables aux terres, pêches et forêts », texte élaboré sous l’égide de la FAO avec la participation des différentes parties prenantes : Etats, secteur privé, ONG, organisations onusiennes…
Dès 1992, Edward Luttwak professait l’avènement d’une ère dite « géoéconomique ». celle-ci est marquée par la constance des affrontements entre nations pour la conquête des marchés en forte croissance et la maîtrise des technologies critiques. Aujourd’hui se développe une sorte d’agriculture financière avec des acteurs économiques hautement capitalistiques présents sur les marchés des matières premières. Face à cette réalité mondiale, l’Afrique, à notre avis doit hisser le drapeau du patriotisme alimentaire en externalisant la mission de sécurité des approvisionnements alimentaires. Le développement d’une agriculture de firme régalienne peut se faire et reposer sur des accords avec des partenaires. En 2008, le Qatar a signé avec le Cambodge un protocole pour disposer de terres lui permettant de s’assurer une production de riz destinée à ses propres marchés. Il ne faut pas que l’Afrique oublie de nourrir ses enfants en cherchant à remplir les caisses des États. De plus, quand on observe les deux pays africains les plus touchés par l’accaparement des terres arables en Afrique noire, on constate que les deux premiers qui sont le Liberia (67% des terres cultivables aux mains de groupes étrangers) et la Sierra Leone (15%) sont importateurs de riz.
Les pays africains doivent s’inspirer de cette phrase tirée du manifeste de l’ANC, « aucune démocratie politique ne peut survivre et prospérer si la majorité de notre population demeure pauvre, privée de terres et dépourvue de raisons concrètes d’espérer en un avenir meilleur ».
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