La réconciliation, combat ambigu des Ivoiriens (Libération)

Reportage La résurgence des violences, en août et la semaine dernière, rappelle que la paix n’est pas assurée en Côte-d’Ivoire, un an et demi après la fin de la guerre civile.

Par MARIA MALAGARDIS Envoyée spéciale à Abidjan

Liberation.fr

Ibrahima Diaroussoumba et Marien Tode Koula ont le même âge, 35 ans, et le même désir farouche de tourner la page des années de violences qu’ils viennent de vivre les armes à la main. Pourtant, jusqu’à une époque très récente, ils appartenaient à deux camps opposés.

Ibrahima faisait partie des Forces nouvelles, une rébellion armée apparue il y a tout juste dix ans, en septembre 2002, et qui aidera Alassane Ouattara à conquérir le pouvoir par la force, quand Laurent Gbagbo refusera, fin 2010, de reconnaître la victoire électorale de son challenger. Sur une photo montrant Laurent Gbagbo en train de sortir de son bunker, juste après sa reddition le 11 avril 2011, on aperçoit d’ailleurs le jeune caporal derrière l’ancien président vaincu. Ce jour-là, il avait participé à l’assaut final contre la résidence présidentielle à Abidjan.

A la même époque, Marien Tode Koula était milicien dans les forces pro-Gbagbo. Originaire de l’ouest, il a pris les armes en 2004, pour combattre les sympathisants d’Alassane Ouattara. «On m’avait expliqué qu’il n’était pas ivoirien mais burkinabé, et voulait rétablir le pouvoir colonial de la France en Côte-d’Ivoire», explique le jeune homme au corps musclé et au crâne rasé.

«Représailles». Aujourd’hui l’ex-président ivoirien comparaît devant la Cour pénale internationale de La Haye (lire ci-contre). Mais ces audiences lointaines ne semblent guère concerner les deux anciens combattants, assis dans un petit bureau au mobilier très sommaire. «Les hommes politiques ont manipulé la jeunesse ivoirienne pour la forcer à se battre», souligne Marien avec un air dégoûté. «Je ne veux plus jamais revivre les horreurs de cette période», confie de son côté Ibrahima. Le local où ils se trouvent occupe le rez-de-chaussée d’un pavillon, au sein de l’immense camp Gallieni, l’état-major des forces armées, vaste enclave au cœur d’Abidjan. Ce bureau modeste est le siège de leur Assocation des démobilisés de Côte-d’Ivoire, qui tente avec des moyens dérisoires d’offrir des possibilités de réinsertion aux innombrables soldats perdus du conflit ivoirien. Pour Ibrahima et Marien, c’est la seule façon de garantir la paix et la réconciliation en Côte-d’Ivoire. «La justice est également nécessaire, concède Ibrahima, et si l’on ne juge pas Gbagbo et sa femme Simone, s’ils sont libérés, alors il y aura de nouveaux conflits.» Marien, lui, aurait préféré que Gbagbo – qu’il continue malgré tout à soutenir – soit jugé «ici, en Côte-d’Ivoire». «Parmi ceux qui ont soutenu Laurent Gbagbo, il faut faire la différence entre ceux qui étaient des combattants et ceux qui ont commis des crimes en pillant ou en violant, et qui doivent être jugés», plaide-t-il tout en pianotant sur son téléphone portable. Il montre un numéro d’appel au Liberia : «Je suis en contact avec des pro-Gbagbo en exil, ils m’appellent pour savoir comment ça se passe ici et s’ils peuvent renter au pays.»

Les plus irréductibles partisans de l’ex-président, ceux qui sont aussi les plus compromis dans les tueries, sont désormais en exil. «Mais certains sont partis par peur de représailles aveugles, ils rentreront si l’on arrête les intoxications, les rumeurs, et qu’une vraie réconciliation se met en place», croit savoir Marien.

Vraie réconciliation ? Derrière ce terme, bien des ambiguïtés demeurent. Après avoir refusé de participer à un gouvernement présidé par Alassane Ouattara, les partisans de Laurent Gbagbo ont donné leurs conditions pour enterrer la hache de guerre. Mais, affaibli depuis l’incarcération de son chef à La Haye, le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de l’ex-président, se voit sans cesse contraint de revoir ses exigences à la baisse. En assistant à l’investiture officielle de Ouattara, le FPI estime ainsi avoir reconnu de facto la légitimité du nouveau pouvoir. Et accepte, à demi-mot désormais, la présence du chef à la CPI, se contentant de réclamer la libération de la vingtaine de ses proches, qui sont toujours détenus dans le nord du pays. Peu de chances que leur demande aboutisse : après Simone Gbagbo en février, sept autres anciens fidèles de l’ex-président ont été inculpés de «crimes contre les populations civiles et génocide» en juillet. Et les autorités restent de marbre face aux accusations des partisans de Gbagbo qui reprochent aux trois juges chargés de la crise post-électorale de n’avoir inculpé que des proches de l’ancien chef de l’Etat. Dans le camp du président Ouattara, on préfère négocier au coup par coup, avec des groupes ciblés, comme certains anciens Jeunes Patriotes – les miliciens pro-Gbagbo, reçus récemment à la présidence -, ou les journalistes exilés au Ghana, dont le retour est actuellement négocié. Mais, surtout, le pouvoir en place semble se méfier encore des intentions réelles du FPI. Et le climat s’est durci depuis un mois.

«Cibles». Pour la première fois depuis la fin de la crise post-électorale, la Côte-d’Ivoire a été le théâtre d’une série d’attaques surprises qui ont visé des casernes, des commissariats ou des postes frontières. La première série a eu lieu en août, la seconde le 20 septembre. Peut-on se réconcilier, dans un pays qui, sans être en guerre, n’est visiblement pas tout à fait en paix ? Certains semblent en douter. Peu après la première vague d’attaques, deux leaders du FPI ont été arrêtés, dont Laurent Akoun, son secrétaire général, condamné en septembre à six mois d’emprisonnement «pour trouble public». Au sein du pouvoir, certains reconnaissent à demi-mot que la formulation de l’accusation «était maladroite», tout en suggérant que d’autres charges pourraient apparaître rapidement contre cet opposant incarcéré. «Le pouvoir se trompe de cibles. Ceux qui parlent le plus fort ne sont pas dangereux, considère Augustin Koyo, rédacteur en chef du quotidien pro-Gbagbo, Notre Voix. La réconciliation pose surtout problème au niveau des dirigeants, constate le journaliste. Chez les gens ordinaires, c’est plus simple. Bien sûr, les considérations ethniques vont continuer à peser, mais les vrais débordements sont toujours inspirés par les politiques.» Dans une période tendue, où la sécurité prend soudain le pas sur la réconciliation, personne ne semble en tout cas se soucier de l’avis de la fameuse commission Réconciliation, Dialogue et Vérité, mise en place il y a un an et qui, en dehors de quelques séminaires, «prières de purification» et «séances d’imprégnation», semble pour l’instant totalement inexistante sur le terrain. Son président, Charles Konan Banny, ancien Premier ministre et ex-banquier, qu’on soupçonne de vouloir succéder un jour à Alassane Ouattara, multiplie, il est vrai, les consultations. Et demande à chacun des idées sur la meilleure façon de se réconcilier.

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