Blé Goudé « J’ai peur…il faut aider Banny. La paix en CI passe par Gbagbo »

Interview exclusive depuis l’exil, Charles Blé Goudé: « La paix en Côte d’Ivoire passe par Gbagbo » « J’ai peur…il faut aider Banny»

Hamadou Ziao Source  »inter

Il a bien voulu se confier à L’inter, votre quotidien. Depuis son lieu d’exil, via les nouvelles technologies de l’information et de la communication, Charles Blé Goudé, l’ancien ministre de la Jeunesse et de la promotion de l’emploi dans le dernier gouvernement de Laurent Gbagbo, a bien voulu répondre à nos questions. Il interpelle le pouvoir, dit ses craintes mais également ses espoirs en une Côte d’Ivoire dont les fils et filles se mettront ensemble un jour pour la bâtir. Interview

Charles Blé Goudé, êtes-vous en deal avec les nouvelles autorités pour revenir au pays ?

Un deal est un accord, un marché que l’on conclut avec une partie. En général, c’est un accord gagnant-gagnant. Que pensez-vous que je gagne en ce moment avec ce régime, si ce ne sont les enlèvements, les arrestations et emprisonnements de mes collaborateurs, les membres de ma famille, et tout dernièrement de Docteur Konan Patrice dont le seul crime est d’être parmi ces nombreux médecins qui de manière bénévole, m’ont apporté une assistance médicale, quand j’étais encore au pays ? C’est ça le deal ? Et un deal pour quoi faire ? Je ne suis en deal ni en négociation avec personne. J’ai lancé un appel officiel à la réconciliation, j’attends en retour une réponse officielle.

Le ministre Hamed Bakayoko dit pourtant que vous êtes en contact. Qu’est- ce que vous vous dites exactement ?

Je dis exactement qu’il faut faire face aux vrais problèmes des Ivoiriens, au lieu de susciter de faux débats. En ce qui me concerne, je n’ai jamais fait de mystère autour de ma volonté que la crise ivoirienne se règle par un dialogue franc, sincère et inclusif avec les différents acteurs politiques! J’avais déjà montré la voie en lançant un appel à la cessation des violences entre populations, lors d’une concertation avec les jeunesses du RHDP, en juin 2007, en initiant la caravane de la paix, en faisant recevoir Guillaume Soro à Gagnoa, en recevant les jeunes des Forces nouvelles dans mon village, en rendant visite à Wattao à Bouaké, en faisant de lui un ami et homme fréquentable. Pour finir, en recevant Konaté Sidiki et Souleymane Kamaraté au stade Jesse Jackson de Yopougon. Toutes ces actions ne m’ont pas forcément valu des amitiés, mais je les ai faites parce que je voulais la paix. Pour dire que cela n’a jamais été un problème pour moi de parler avec un adversaire politique, d’autant que je me sens capable d’exprimer mes positions et convictions politiques face à n’importe qui. Tous ceux qui pensent m’attirer dans un dialogue pour me piéger, se trompent. Nous avons certes perdu le pouvoir, mais pas notre intelligence. Je sais à quoi m’en tenir à partir du traitement que le pouvoir inflige à mes collaborateurs, à mes proches et maintenant à mon médecin. Quand on frappe le margouillat, le lézard s’apprête.

Mais monsieur Blé, vous parlez au moins avec votre ancien compagnon de lutte, Guillaume Soro, devenu aujourd’hui président de l’Assemblée nationale ?

Là encore, je vais vous décevoir. Non. Bogota est occupé à autre chose pour l’instant.

Avant la crise post électorale, vous vous parliez, pendant la crise aussi, selon nos informations, alors pourquoi le contact a-t-il été rompu ?

Mon père m’a dit que quand vous donnez un verre d’eau à quelqu’un qui n’a pas soif, il n’en voit pas la valeur. Quand le temps aura fait son effet et que tout le monde aura compris la nécessité de parler, cela s’imposera à nous tous. Pour l’instant, vous constatez comme moi que les nouveaux tenants du pouvoir ont fait de la traque des pro-Gbagbo, un véritable programme de gouvernement. Laissons-leur le temps de se rendre compte des limites de ce programme. Le reste viendra

Une alliance Blé /Soro est-elle envisageable dans la politique ivoirienne, comme au temps de la FESCI ?

Toute réalité politique étant une denrée périssable, cela dépendra de ce que nous aurons en commun comme valeurs ou pas. Qui vivra, verra.

Que faut-il pour que Blé Goude retourne en Côte d’Ivoire ?

Quand le pouvoir aura compris que faire la paix n’est pas une option, mais plutôt un impératif. Quand le pouvoir aura compris qu’il n’y aura jamais de Côte d’Ivoire où ne vivent que des pro-Ouattara, et que c’est le regard du voisin qui vous montre la tâche qui se trouve sur votre chemise. Quand le pouvoir aura accepté de gouverner et non de régner. Quand le pouvoir aura compris que la déportation de ses adversaires politiques dans le Nord est à inscrire au chapitre des pratiques dépassées. Quand les signes d’actes d’apaisement, passant par la libération des prisonniers et la cessation de la traque des pro-Gbagbo se feront apercevoir, personne n’aura besoin de me dire de rentrer chez moi. Tous les opportunistes qui font le tour des capitales pour utiliser et monnayer le retour des pro-Gbagbo, perdent leur temps.

Vous êtes souvent cité dans des attaques contre le régime Ouattara, on dit aussi qu’il n’y a jamais de fumée sans feu. Qu’en dites-vous?

Il arrive souvent que des personnes prennent de simples nuages pour de la fumée et voient le feu là où il y a des rivières qui s’évaporent. Est-il encore besoin de vous rappeler que le comportement d’un adversaire politique, aussi mauvais soit- il, ne parviendra pas à me changer au point de me pousser à renier mon passé de celui qui, à la tête de milliers d’Ivoiriens, était descendu dans la rue pour s’opposer à l’usage des armes comme moyens de conquête du pouvoir. Je demande à ceux qui se croient obligés de me citer dans leurs rapports d’enquête, qu’ils peuvent justifier leurs primes et prébendes autrement. Je ne suis pas un abonné aux coups de force.

Croyez-vous qu’un coup d’Etat est possible en Côte d’Ivoire, et que cela soit la solution aux problèmes des pro-Gbagbo?

Je suis maître de mes agissements ; je puis donc vous dire que les idées et principes qui fondent mon entrée en politique sont contraires aux coups de force. Il semble que les coups de force sont le fait d’individus désespérés, or je ne suis pas un désespéré. J’ai une foi inébranlable en l’avenir, donc je ne me sens pas concerné. Je puis simplement conseiller au pouvoir d’éviter de créer le désespoir au sein de la population, cela éviterait aux Ivoiriens des traumatismes de trop, qui sont le fait de désespérés. Je ne crois pas que les pro-Gbagbo soient en attente d’un coup de force, ils veulent un dialogue franc et sincère ; ils demandent que les conditions et l’environnement soient créés.

Vous aviez en son temps souhaité une amnistie générale comme condition de votre retour au pays ; pensez-vous que c’est la solution pour la paix ?

Ce serait prétentieux de réduire le retour de la paix en Côte d’Ivoire à ma personne. La complexité du dossier ivoirien est à la mesure de la crise. Encore faut-il que le régime prenne la mesure de sa responsabilité à mettre fin à la crise, même si la guerre est finie. Les enlèvements, arrestations et emprisonnements ne font jamais bonne recette, c’est pourquoi il faut explorer la voie du dialogue. Nelson Mandela n’a mis aucun de ses adversaires politiques en prison, et pourtant l’Afrique du Sud a retrouvé la paix. Dans toute équipe, il y a des extrémistes qui souhaitent toujours l’éradication de l’autre, qu’ils considèrent comme la cause de leurs malheurs. Mais c’est ici qu’intervient la force du leadership du chef de l’équipe pour faire prévaloir sa vision, s’il en a une. Je pense qu’une amnistie générale peut favoriser le retour de la paix dans notre pays et peut aider les Ivoiriens se parler à nouveau.

Vous avez aussi souhaité rencontrer le président de la Commission réconciliation ; où en êtes-vous avec cette rencontre?

Je ne réduis pas ces rencontres à ma personne. L’essentiel, c’est que les acteurs se parlent, que l’on aide le président Banny à jouer son rôle. Je constate que ces derniers temps, il est à la tâche à travers des consultations avec les différents acteurs politiques. Je voudrais ici le féliciter et l’encourager à continuer dans la réalisation de cette tâche complexe. Au-delà de nos singularités, cherchons toujours ce que nous pouvons partager comme valeurs. En ce qui me concerne, je puis vous rassurer que mon appel n’est pas tombé dans oreilles de sourd. C’est un processus.

Avez-vous des nouvelles de l’ancien président, Laurent Gbagbo?

Pas plus que vous, malheureusement.

Pensez-vous qu’il sortira un jour de prison?

Pour moi, la libération de Gbagbo peut participer au retour de la paix dans notre pays. Les tenants de la thèse contraire devraient aujourd’hui humblement reconnaître et admettre les limites de leur voie. À la lecture de la presse gouvernementale et celle de l’opposition, de la presse internationale qui s’intéresse au dossier ivoirien, on doit tous admettre que tout ce fait en fonction de Gbagbo, même en prison.

Comment envisagez-vous l’avenir de la Côte d’Ivoire dans les cinq prochaines années?

Pour dire vrai, j’ai peur pour mon pays. La fracture entre les autres ethnies et le Nord me semble trop profonde aujourd’hui. D’Houphouët-Boigny à Gbagbo, en passant par Bédié et feu Guei Robert, c’est la première fois, dans l’histoire de notre pays, que la suprématie d’une seule ethnie sur les autres est célébrée, et sans gêne. Si Ouattara et ses hommes regardent bien dans le rétroviseur, sans passion et sans émotion, ils se rendront compte qu’ils ont fait en moins de deux ans de pouvoir, pire que ce qu’ils prétendent avoir combattu. La question identitaire est plus que jamais visible, car les concepts de « rattrapage » et de « nordisation » dans tous les secteurs de l’administration, de l’armée et au sommet de l’Etat, sont des concepts tout aussi dangereux que le concept de l’ivoirité qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. J’ai peur que le régime actuel lègue aux générations futures, une Côte d’Ivoire beaucoup plus difficile à réconcilier.

Quelle est votre actualité en ce moment? Comment passez-vous vos journées?

Vous le saurez plus tard, mais sachez que je ne m’ennuie pas du tout, vu que je considère cette parenthèse de ma jeune carrière comme un moment de formation et de transformation. Je m’adonne volontiers à toute activité pouvant aider à me forger et à me former à la vie. Soyez un peu patient.

Avez-vous des nouvelles de votre ami Wattao?

Laissez Wattao tranquille, c’est un militaire. En Côte d’Ivoire, la vie humaine tient aujourd’hui à un fil.

L’exil, c’est très difficile, comment arrivez-vous à survivre ? Qui vous finance ?

Je rends grâce à Dieu! J’ai l’avantage d’avoir été élevé dans la disette, dans une famille très pauvre où on n’a besoin que de peu pour vivre. Pour transformer la vie, il faut avoir la vie. Or j’ai eu la chance d’avoir pour le moment la vie, en plus j’ai Dieu. Donc je ne crains rien. Dieu pourvoit pour moi.

Et vos amis? Il semble même qu’il y en a qui vous ont abandonné ?

J’assume entièrement ce que je vis et je n’en veux à personne. J’ai foi en mon avenir. J’ai eu l’habitude d’être reconnaissant envers tous ceux qui m’ont dit non un jour, car grâce à eux, je me suis mis à la tâche avec mes propres efforts pour réaliser ce que je voulais. Je suis un self made man. Je regarde l’avenir avec sérénité. Même quand l’adversaire pense m’avoir mis dans une position de faiblesse en me m’étant à genoux, je lui dis merci, car il m’a mis dans la meilleure position pour prier Dieu.

Interview réalisée par Hamadou ZIAO

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