Un après midi de fin de saison de pluie aux abords de la lagune Ebrié du Plateau, assis sur un banc peint à l’effigie d’une grande marque de boisson hégémonique américaine, je surveille mes enfants entrain de jouer à la balançoire sous un soleil de plomb. Je les observe se battre pour des places sur cette balançoire à 3 sièges, alors qu’ils sont 5 : mes quatre enfants et mon neveu. Les 3 plus âgés s’y installent confortablement et durablement au grand dam des deux plus petits. La nounou tente d’intervenir en vain. Mes interpellations n’y feront rien non plus. Ma fille, mon neveu et mon fils ainé rient aux éclats tellement ils ont du plaisir, les plus petits n’ont que leurs yeux pour pleurer. Les grands jouent entre eux.
Par Demba Diop
Ramené à l’économie, « le recul » de la balançoire pourrait s’apparenter à une revue de tous les indicateurs clés de performances, une remise en cause du système afin d’avoir le plus d’élan possible. Ainsi, la machine économique se relance grâce à son poids puis, avec « l’aide des pieds » c’est-à-dire la mise en place d’un schéma directeur cohérent et dynamique, la machine de production étatique se propulse plus loin et plus haut que l’année précédente.
Du haut de leurs 7 ans de moyenne d’âge, ils ont compris tout de suite que se relancer systématiquement avec les jambes à chaque oscillation de la balançoire, est le secret pour aller plus haut, toujours plus haut. Le plaisir entre ceux qui ont la chance de participer au jeu est bien entendu dans l’émulation, l’esprit de compétition né de la volonté de voir celui qui parviendra à aller le plus haut possible.
Ce qui m’intriguera plus tard et me marquera au point de vous raconter cette histoire, c’est qu’un autre jour alors que nous y étions venus seulement à 3 (deux des plus grands et un petit) pour faire de la balançoire, les plus grands, par une sorte de solidarité « incompréhensible », ont refusé de faire la balançoire avec le plus petit, prétextant que la dernière place était celle de leur cousin (absent). Les « grands » protègent la place d’un « grand » absent comme si la leur en dépend. J’en découvre l’explication de la bouche de ma fille quelques semaines plus tard : « Comme il ne sait pas se balancer et que la nounou est obligée de le pousser dans le dos, cela rend la compétition moins intéressante». Il y avait donc deux groupes très contrastés ce jour là. L’un expérimenté, plus âgé, aguerri et autonome. L’autre novice et tributaire de l’aide extérieur. Tandis que le second groupe se débat, se tortille pour tenter de s’élancer ou encore maintenir l’élan fourni par la nounou, le premier oscille dans un mouvement gracieux, se relançant invariablement dans une sorte de chorégraphie millimétrée.
Cette différence se retrouve naturellement dans les économies de nos pays du sud. Les uns ont toujours besoin d’une aide extérieure pour relancer leurs économies et conserver une croissance éphémère et les autres ont mis en place les mécanismes nécessaires à la conservation de cette dynamique qui commence toujours par de petits mouvements avant d’atteindre les sommets. Le principe de la balançoire peut être appliqué à la politique économique en ce sens qu’on pourrait s’en servir pour anticiper l’amplitude du mouvement suivant, par exemple la croissance attendue du Pib (Produit Intérieur Brut). A priori, si le mouvement précédent n’avait pas une grosse amplitude alors le suivant ne sera que d’une modeste évolution sauf, bien entendu, en cas d’intervention extérieur. Cependant, afin que le mouvement ait le maximum d’amplitude, l’enfant concerné doit reculer le plus possible pour profiter de l’effet d’entrainement de son poids puis s’aider de ses pieds pour aller le plus en avant, donc le plus haut possible. Ramené à l’économie, « le recul » de la balançoire pourrait s’apparenter à une revue de tous les indicateurs clés de performances, une remise en cause du système afin d’avoir le plus d’élan possible. Ainsi, la machine économique se relance grâce à son poids puis, avec « l’aide des pieds » c’est-à-dire la mise en place d’un schéma directeur cohérent et dynamique, la machine de production étatique se propulse plus loin et plus haut que l’année précédente.
L’effet balançoire
Ce système est très largement décrit et utilisé dans le principe de l’évolution des taux d’intérêts. L’effet balançoire est un effet de compensation : la baisse du taux d’intérêt sur les nouvelles émissions conduit les épargnants qui veulent placer leurs liquidités, à rechercher d’anciens titres mieux rémunérés. Cette nouvelle demande entraine le relèvement du cours de ces anciens titres qui, pour un intérêt fixe en valeur absolue, conduit à la diminution du taux jusqu’à atteindre le taux du marché. Ce phénomène s’étend aussi au marché des actions. En effet, les cours boursiers ont tendance à évoluer dans le sens inverse des taux d’intérêt : la baisse des rémunérations sur le marché obligataire suscite un report sur le marché des actions dont les cours s’envolent. La baisse des taux d’intérêt engendre un effet de richesse réel positif en élevant la valeur du patrimoine des ménages, ce qui peut entrainer une augmentation de la consommation des ménages. En somme, pour lutter contre la vie chère en Côte d’Ivoire, il faut appliquer le principe de la balançoire à l’économie ivoirienne et baisser les taux directeurs de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) tout en y rajoutant des garanties d’emprunt de l’Etat. Pour cela, il faut se défaire du principe à priori « inné » démontré par mes enfants qui laisse penser qu’il existe une entente, fut-elle « tacite », pour le bonheur d’un petit nombre de « grands » au détriment de celui du plus grand nombre de « petits ».
Le développement par le commerce extérieur
Le mouvement de la balançoire met aussi en exergue le lien exigu entre le commerce intérieur et le commerce extérieur pour le développement d’une nation.
On pourrait arguer comme l’on fait quelques leaders Ivoiriens que seul le pays qui lie la faculté d’une grande production à celle d’une grande consommation peut prétendre à un vrai développement. Pendant plusieurs années après la mort du père de la Nation Ivoirienne, les leaders se sont succédés à la tête de la Côte d’Ivoire en essayant d’en résoudre les crises successives par l’amélioration du commerce intérieur. Le problème est que le vrai développement ne peut se faire que grâce au commerce extérieur et cela, Félix Houphouet Boigny n’a fait que le confirmer en reproduisant ici un modèle qui avait fait ses preuves dans un certain nombre de contrées du monde avant la création de l’Etat Ivoirien. Ainsi la Chine, malgré son excessive population et une consommation intérieure immense, est obligée de consacrer tous les ans des sommes énormes à l’amélioration continu de son commerce extérieur, allant jusqu’à la subvention de sa monnaie pour la rendre toujours plus compétitive face au dollars. Tandis que Venise qui n’a qu’une faible population, et par conséquent une production et une consommation intérieures très limitée, a été pendant près de quatorze siècles, maitresse du commerce du monde, et a acquis par là assez de force et de puissance pour faire respecter sa nationalité. On ne peut donc pas admettre comme une théorie universelle, que le développement et le commerce se résument exclusivement dans la faculté de beaucoup produire unie à la faculté de beaucoup consommer. Un exemple local est très édifiant à ce sujet. Quand on a construit de grandes infrastructures de communication avec les zones les plus reculées de notre pays qui en ont été longtemps privées, leurs flux commerciaux se sont accrus dans des proportions bien au delà de leur production et de leur consommation propre. Cela a été le cas dans les années 70 de la petite ville balnéaire de San Pédro (avec l’Autorité pour le Réaménagement du Sud Ouest, Arso), de Yamoussoukro au début des années 80 (avec la construction de l’Autoroute du Nord), et dans une moindre mesure, de Bouaké.
Des voies pour se développer
Aussi doit on encourager les populations à travailler plus et à travailler mieux. Le devoir le plus impérieux d’un gouvernement est de leur en donner les moyens. La moitié de la population ivoirienne est rural, ne se nourrit pas correctement, est mal logée et ce malgré qu’ils travaillent tous les jours avec acharnement dans leur petites plantations. Selon l’Institut Nationale de la Statistique, Ins, le taux de chômage dans le monde rural est de 8% contre 27,4% en milieu urbain. On imagine facilement l’impact d’une telle force de travail sur leur commerce extérieur si des routes convenables et des canaux facilitent les échanges. Les paysans auraient été les premiers à bénéficier de la réduction de la pauvreté. Le commerce profite des voies, il les crée même lorsqu’il le peut. Mais c’est la prérogative de l’Etat que de construire des voies. Par des routes bitumées, des voix ferrés, des moyens de télécommunications et des médias, il incombe à l’Etat de mettre en communication les régions du pays afin de facilité le commerce extérieur des régions, les seules capacité de produire et capacité de consommer étant largement insuffisantes pour le développement d’une zone. Qu’on facilite au commerce et à l’industrie le moyen de se frayer les voies les plus libres et les plus fluides ! Comme mes enfants, le commerce veut la libre concurrence. Avec ou sans nounou pour la pousser, l’économie a besoin de prendre du recul, de peser de tout son poids, et en permanence de se lancer avec ses « fondamentaux » .pour aller le plus haut possible.
Commentaires Facebook