En Côte d’Ivoire, l’année 2012 ressemble étrangement à l’année 1992
Par Théophile Kouamouo Le Nouveau Courrier
La vie est un éternel recommencement. L’Histoire de la Côte d’Ivoire aussi, et pas toujours pour le meilleur. Il est frappant de se rendre compte qu’Alassane Ouattara, depuis qu’il s’est hissé sur le fauteuil présidentiel ivoirien, ne cesse de mettre au goût du jour les vieilles ficelles utilisées avec le peu de succès que l’on sait lors de son passage tumultueux à la Primature, entre 1990 et 1993. Bien entendu, le procès de Laurent Akoun, qui s’est déroulé vendredi dernier, rappelle irrésistiblement celui d’un autre secrétaire général du FPI prénommé Laurent. Il s’agit de Gbagbo bien sûr, et ce procès s’est déroulé le 6 mars 1992 au sein du même Palais de Justice d’Abidjan. Le parallèle est d’autant plus piquant que les deux «Laurent» ont été condamnés à six mois de prison ferme, au terme d’une audience qui tenait plus du procès en sorcellerie que d’autre chose.
Au-delà de ce type d’anecdotes, le contexte politique qui prévaut aujourd’hui ressemble étrangement à celui qui régnait en 1992. Il est notamment caractérisé par une atmosphère de violence et d’impunité. La cynique attaque du camp de réfugiés de Nahibly, aujourd’hui ouvertement assumée par les faucons du régime Ouattara, peut ainsi être rapportée, dans son détestable modus operandi (et toutes proportions gardées bien sûr), à la descente punitive du 17 juin 1991 à la Cité universitaire de Yopougon durant laquelle de jeunes Ivoiriens considérés collectivement comme des opposants ont été défenestrés, humiliés, les jeunes filles étant violées sans aucune autre forme de procès. Dans les deux cas, aucune enquête judiciaire sérieuse n’a été ouverte en dépit de vagues promesses. Dans les deux cas, les forces conjuguées du régime – les «loubards» et la FIRPAC hier, les «dozos» et les FRCI aujourd’hui – n’ont pas été inquiétées.
Le rêve fou d’une Côte d’Ivoire sans démocratie
Hier comme aujourd’hui, la folie éradicatrice tient lieu de stratégie politique d’ensemble du clan au pouvoir. L’audacieux parallèle fait sur le blog de Guillaume Soro, entre AQMI, le Mujao et le FPI n’est rien d’autre que l’expression d’un désir : celui de voir le monde entier approuver bruyamment une opération d’épuration politique maquillée en déclinaison tropicale – et improbable de la «guerre mondiale contre le terrorisme». Alassane Ouattara, qui ne cesse d’implorer les Occidentaux d’utiliser la Côte d’Ivoire comme plateforme logistique dans leur combat de l’ombre contre leurs ennemis, rêve au fond d’être protégé de la démocratie comme l’ont été hier Zine El Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak… Ah ! si Gbagbo pouvait être transformé par un coup de baguette magique en Ben Laden des lagunes !…
Les méthodes de décapitation de l’opposition sont tout aussi radicales aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Le 31 août 1992, dans un rapport intitulé «Côte d’Ivoire : l’opposition réduite au silence», Amnesty International écrivait : «Au moins 77 prisonniers d’opinion, arrêtés en février et mars 1992, purgent actuellement en Côte d’Ivoire des peines de un à trois ans d’emprisonnement. Parmi eux figurent notamment Laurent Gbagbo, membre de l’Assemblée nationale et dirigeant du Front populaire ivoirien (FPI), principal parti d’opposition, René Dégni Ségui, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO), et Martial Ahipeaud, président de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte-d’Ivoire (FESCI). (…) Plus de 250 personnes ont été interpellées depuis février 1992.» Aujourd’hui, le fondateur du FPI (Laurent Gbagbo), son président (Pascal Affi N’Guessan), deux de ses trois vice-présidents (Aboudrahmane Sangaré et Simone Ehivet Gbagbo), son secrétaire général adjoint (Moïse Lida Kouassi), son secrétaire général par intérim (Laurent Akoun), son secrétaire général adjoint par intérim (Alphonse Douaty) sont au cachot, au même titre qu’une soixantaine de cadres de l’ex majorité présidentielle éparpillés dans plusieurs prisons du Septentrion.
La santé d’Alassane Ouattara en question
Hier, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié étaient unis, malgré la haine profonde qu’ils se vouaient, par leur volonté de réduire à néant la seule adversité politique qui pouvait se poser en alternative au système dont ils pensaient, chacun des deux, pouvoir être le chef à la mort de Félix Houphouët-Boigny. Aujourd’hui, Hamed Bakayoko et Guillaume Soro suivent leurs traces, dans un contexte qui pourrait bien être similaire…
Nous dit-on en effet toute la vérité sur la santé d’Alassane Ouattara, au sujet de laquelle le quotidien Nord-Sud, cher à l’actuel «dauphin constitutionnel», supputait en juin 2011, c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps ? En tout cas, les efforts que Guillaume Soro met à se construire une «légende personnelle» en investissant à fond dans le développement de sa visibilité sur Internet finissent par intriguer. Les portraits de lui se focalisant sur son «ambition» et évaluant ses chances d’y arriver dans une presse hexagonale qui ne dit pas toujours tout ce qu’elle sait sont un signe qui ne trompe que les naïfs. De plus, si l’on considère que la (mauvaise) santé du chef pourrait bien précipiter de futures batailles pour la conquête du pouvoir central, la hargne éradicatrice des lieutenants aux dents longues et la surprenante mise en retrait d’Alassane Ouattara lui-même s’éclairent d’un jour nouveau. En effet, si les objectifs communs d’Alassane Ouattara et de son clan étaient la réussite de son quinquennat et la conquête d’un second mandat démocratique, leur gouvernance serait forcément différente. L’apaisement politique, la réconciliation, la séduction d’au moins une partie de l’électorat qui lui est d’emblée hostile, le renforcement des liens avec leurs alliés du Rassemblement houphouétiste pour la démocratie et la paix (RHDP) seraient les maîtres-mots de leur action. Pourtant, on les voit exacerber les antagonismes, s’aliéner des ethnies entières, rabrouer tous ceux qui expriment leur (petite) différence au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Contrairement à ce qu’a écrit Jeune Afrique la semaine dernière, Guillaume Soro n’utilise pas les réseaux sociaux pour gagner la bataille des cœurs, mais pour renforcer les clivages. Le projet politique est donc fondamentalement réactionnaire et anti-démocratique. Reste à savoir s’il s’agit d’un projet de conservation du pouvoir ou d’un projet de succession monarchique mieux verrouillé que la guerre désordonnée des héritiers d’il y a vingt ans qui ont participé à ouvrir la voie, bien malgré eux, à l’alternance honnie.
P.S. : Pour finir avec un dernier parallèle évocateur, Michel Gbagbo était en prison en 1992 parce qu’il était venu voir son père à son lieu de détention. En 2012, il est en prison «parce qu’il était avec son père», selon l’actuel Premier ministre d’Alassane Ouattara.
Théophile Kouamouo
La Marche du 18 Février 1992 à Abidjan door lgconnect
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