Philippe Duval Source: slateafrique.com
Tout va de travers en Côte d’Ivoire. L’un des plus vieux caïmans de Yamoussoukro, surnommé «chef de cabinet», en raison de sa stature imposante, a dévoré son gardien de toujours, le pauvre Dicto Toké né vers les années trente.
A la demande de touristes qui désiraient faire une photo spectaculaire, le vieil homme était descendu sur la berge pour poser en tenant la queue d’un caïman. Il a glissé en remontant et a été aussitôt happé par le bas de son boubou et dévoré par les sauriens.
Plus de vingt ans après la mort d’Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d’ivoire, qui les avait installés là, ils sont encore des dizaines à vivre dans le lac bordant la résidence présidentielle.
La veille de cet accident, le 19 août, une statue de la vierge Marie avait versé des larmes de sang dans l’église saint Antoine de Padoue à Moossou, dans l’est d’Abidjan. Le clergé local reste sceptique devant ce phénomène, en attendant le résultat de l’analyse du liquide qui s’est écoulé de l’oeil de la Vierge.
Dix jours après ce «miracle», les pélerins défilent dans l’église où les photos de la statue sont interdites. Une paroissienne vend à l’entrée 500 francs CFA (0,75 euro) l’image pieuse de la Vierge aux larmes de sang tandis qu’on célèbre une messe aux mille chapelets (mille Je vous salue Marie).
Des témoins racontent que la statue ne s’est pas contentée de pleurer. Elle aurait aussi redressé la tête, ouvert les mains. Certains affirment même qu’elle avait les yeux d’un être humain.
Simone Gbagbo, toujours emprisonnée sans jugement
«C’est une manifestation divine, soutiennent les catholiques. Dieu veut nous signifier sa tristesse devant les maux dont souffre la Côte d’Ivoire. Et qu’il n’est pas content du traitement qui est infligé depuis plus de seize mois à l’ex-Première dame.»
Simone Gbagbo, toujours emprisonnée sans jugement dans le nord du pays comme d’autres dignitaires du régime Gbagbo, est une enfant de Moossou. C’est dans ce village enclavé au bord de la lagune qu’elle est née voilà soixante et un an. Son père était gendarme. Elle appartient à l’ethnie Abouré, très sourcilleuse sur l’accueil des étrangers.
Les Dioulas, les Sénoufos venus du nord, les Burkinabè, amenés en masse par les colons français dès les années 30, pour servir de main-d’œuvre bon marché, ont préféré s’installer de l’autre côté de la route nationale qui mène au Ghana. A Grand-Bassam, l’ex capitale coloniale.
A l’entrée de Moossou, en face de l’église Saint Antoine de Padoue, la maison du roi. Au bout de la longue rue qui serpente le long de la lagune, celle du maire Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), décédé en 2011 de noyade après que sa pirogue a chaviré dans les eaux saumâtres qui servent de poubelle à ciel ouvert. Et plus loin, au bord de la lagune, la grande maison que Simone Gbagbo s’était fait construire. Sur sept hectares de terres données par le roi à cette illustre fille du village.
En échange, elle devait en viabiliser trois. Le roi attend toujours. La maison a été pillée. A proximité, près du cimetière, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) ont établi leur camp. De l’autre côté de lagune, il ne reste presque plus rien des cultures de riz entreprises par l’ex-Première dame. Elle y avait englouti des fortunes pour des résultats souvent dérisoires.
La Vierge verserait des larmes pour Simone
Lors de sa dernière visite au roi, elle était arrivée avec un cortège de 4X4, en empruntant la route défoncée de nids-de-poule qui mène à Abidjan.
Suscitant parfois des commentaires exaspérés des villageois. Un jour, un jeune lui avait lancé: «Tu es ici dans ton village.Tu veux qu’on se couche devant toi pour t’accueillir.» Elle s’était fâchée. Elle avait convoqué une réunion chez elle. Le roi n’était pas venu.
La Vierge verserait donc des larmes pour Simone. Problème, elle n’est plus catholique mais est devenue évangéliste. Des chrétiens qui voient les larmes de la statue, non pas comme une manifestation divine, mais comme un tour démoniaque «pour distraire le peuple de Dieu».
Pour qui pleurait donc la Madone. Pour Guillaume Soro, l’actuel président de l’Assemblée nationale ivoirienne, le Sénoufo catholique, qui a fait de Moossou son village d’adoption.
C’est là qu’il venait se cacher dans les années 90 pour échapper aux policiers lancés à ses trousses par Henri-Konan Bédié (successeur de Félix Houphouët-Boigny, au pouvoir de 1993 à décembre 1999).
C’est d’ici, dit-on aussi, qu’ayant fui Abidjan déguisé en femme après le coup d’Etat manqué du 19 septembre 2002, il se serait embarqué sur une pirogue pour rejoindre le Ghana par la mer.
Les caïmans fâchés, la Vierge qui pleure, et maintenant les éléphants en colère. Un couple d’entre-eux vient de tuer un villageois dans l’ouest, près de Daloa. On les croyait complètement anéantis et seulement représentés par les footballeurs de l’équipe nationale. Mais, quelques-uns survivaient dans des réserves. Avec la guerre de 2011, ils ont dû fuir les braconniers qui les pourchassaient. Décidément, tout va de travers!
Et voilà un autre éléphant qui sort de sa réserve. Charles Konan Banny (président de la Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation en Côte d’Ivoire) avait disparu des écrans médiatiques depuis des semaines.
Mais il n’y avait pas de raison de s’inquiéter: si un pachyderme peut survivre aux braconniers dans la brousse, un animal politique comme lui peut tirer son épingle du jeu. Et en plus, il se met à parler.
Cela tombe bien, il est chargé de la réconciliation. Voilà le mot magique lâché à l’heure où des attaques se multiplient, où la répression s’intensifie, où les pro-Gbagbo dénoncent un «régime de terreur», où les barrages de «corps habillés» (militaires et policiers) fleurissent sur les routes.
C’est promis, on va donc causer de réconciliation avec Konan Banny. Cet éléphant, il faut l’attacher pour qu’il ne rentre pas à nouveau en brousse. Ou demander à la Vierge de Moossou de faire un miracle. «Et là, on réclame un vrai miracle.»
Philippe Duval
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