Benjamin Silué Le Nouveau Courrier
L’Histoire retiendra qu’Alassane Ouattara a incarné, pendant plus d’une décennie en Côte d’Ivoire, une opposition totale, faisant feu de tout bois, et que son parti a défendu des thèses radicales, extrêmes, se distinguant par une diabolisation sans nuances de l’adversaire au pouvoir, en particulier Laurent Gbagbo. Aujourd’hui aux affaires, Alassane Ouattara voit se retourner contre lui à la fois les armes et la logique qui ont été les siennes étant dans l’opposition. Ses affiches de campagne accusant Gbagbo de mettre tout sur le dos de la guerre, dénonçant le prix des denrées de première nécessité en oubliant que son parti faisait partie du gouvernement depuis août 2000, et assimilant l’échec scolaire à son adversaire sont détournées par les cyber-opposants sur les réseaux sociaux. Le RDR qui accusait Gbagbo de tout mettre sur le dos de la guerre met tout sur le dos de… Gbagbo.
Le panier de la ménagère est devenu plus rachitique que jamais, et les taux de réussite aux examens sont bas, bas, bas. Les affiches de campagne de Ouattara version 2010 sont devenues les plus grands symboles de son échec. De l’échec de sa rhétorique aussi. L’on se souvient aussi que les actuels gouvernants n’ont cessé d’accuser le président Gbagbo d’acheter des armes au lieu de travailler à développer le pays, tout en éludant la rébellion qu’ils ont portée, au nom de laquelle ils ont acheté des armes… avant le pouvoir d’alors. «C’est tout de même pratiquement un milliard d’euros que mon prédécesseur a utilisé pour acheter des armes qui ont tué des citoyens (…) C’est tout de même un gâchis considérable», claironnait ainsi Ouattara sur TV5, en mai 2011, pour justifier sa haine obsessionnelle de celui qui lui a permis de devenir candidat à la présidentielle. Aujourd’hui, ses journaux pérorent, sans égard pour un embargo onusien que le laxisme des «sanctionneurs» a rendu grotesque : «Ouattara frappe fort – Des hélicos, des avions de chasse, des drones, des blindés, commandés pour mater une rébellion en gestation». Han !
On peut préjuger qu’il ne restera rien de cet homme
Sur TV5, toujours en mai 2011, Alassane Ouattara s’indignait : «Laurent Gbagbo a laissé ce pays dans un désordre indescriptible. Les miliciens et les mercenaires avaient des armes. Les policiers et les militaires n’avaient pas d’armes.» Aujourd’hui, les experts les plus complaisants vis-à-vis de l’actuel maître d’Abidjan reconnaissent que l’armée traditionnelle du pays est désarmée au profit des milices Dozos et autres combattants «non conventionnels». L’allié français n’en finit pas d’exiger le désarmement de ces forces parallèles. Et pourtant, Gbagbo est à La Haye et Ouattara au palais.
Et si Alassane Ouattara était comme «maudit», comme condamné par une sorte de fatalité à démontrer, par l’absurde et par le (mauvais) exemple, l’injustice du procès qu’il n’a cessé d’intenter aux exécutifs précédents et qui a justifié la création d’une rébellion armée, mais aussi à pratiquer de manière paroxystique toutes les dérives attribuées à ses prédécesseurs, et singulièrement à Laurent Gbagbo ?
Au fond, on peut déjà préjuger que rien de bon ne restera de cet homme. Il n’élargira pas le spectre des libertés démocratiques, dont il est historiquement, et depuis plus de vingt ans, un fossoyeur cohérent. Malgré ses rodomontades auxquelles plus personne ne croit, il ne développera pas le pays, il ne suscitera aucune «pluie de milliards» et fera payer aux Ivoiriens le moindre kilomètre de route bitumée par ses amis hommes d’affaires d’ici et d’ailleurs, par l’abandon de toute politique sociale ainsi que par diverses ponctions et impôts plus ou moins déguisés. Et surtout, pour ce qui est de la cohésion nationale et du fameux «vivre ensemble», il fera pire – je dis bien pire – que tous ceux qui se sont assis, avant lui, sur le fauteuil présidentiel.
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