Mont Péko: AMADÉ OUÉRÉMI, ce voisin qui dérange

Doua Gouly dans Fraternité Matin

Amadé Ouérémi (1er plan) toujours retranché au Mont Péko avec plusieurs centaines de combattants. Amadé Ouérémi (1er plan) toujours retranché au Mont Péko avec plusieurs centaines de combattants. Nidrou, village de la jeune sous-préfecture de Bagohouo. Ce lundi 6 août 2012, le chef Gbohouo Déassion Lambert et les populations font les derniers réglages en vue de la fête nationale qui aura lieu le lendemain à Sibably, un autre village de la sous-préfecture. Comme d’autres agglomérations de la circonscription administrative, Nidrou se prépare pour la fête. Mais, Gbohouo Déassion et les siens ont encore une appréhension. Le cas d’Amadé Ouérémi. Un voisin gênant dont le cortège traverse toujours en trombe leur village. Le locataire et gérant actuel du parc du Mont Péko a eu pour base, dans un passé récent Bagohouo, située à moins d’un kilomètre de Nidrou.

Le chef du village de Nidrou aborde la question du Péko au départ avec beaucoup de précaution. «Je ne veux pas d’histoire avec cet homme. Ce sujet est très délicat», avoue-t-il d’entrée de jeu. Il est très vite critiqué par sa notabilité. « Cette forêt que cet homme occupe avec sa bande appartient à nos parents. Si tu hésites pour en parler, nous allons le faire et on verra », menace un notable.

A partir de cet instant, le premier responsable de Nidrou se met à parler. « Le problème du Mont Péko est loin d’être réglé », assure-t-il. Quand on lui demande quel est ce problème, M. Gbohouo déclare: «L’occupation du Mont Péko par la bande armée que dirige Amadé Ouérémi est un fait qui dérange tout le monde ici ». Selon lui, leurs parents ont été déplacés depuis l’époque coloniale de cette forêt. Mais dès 2002, le Mont Péko que les villageois avaient fini par assimiler à une forêt sacrée, est l’objet d’une exploitation sans précédent. «Ce qui nous inquiète le plus, c’est le fait que les occupants des lieux soient armés. De temps en temps, ils passent dans notre village pour rejoindre leurs campements », poursuit-il.

Les habitants de Nidrou attroupés sous le hangar du chef du village piaffent d’impatience. Certains font de grands signes de la main au chef pour lui faire comprendre qu’il n’a rien à cacher. L’un d’entre finit par lâcher : « Amadé Ouérémi est une menace réelle pour notre village ». Gbohouo Déassion Lambert s’engouffre alors dans la brèche ainsi ouverte pour révéler : «Nous vivons une entente forcée avec les hommes de ce chef de guerre. Ils sont fortement armés».

A Nidrou, les populations rejettent la responsabilité de la présence gênante d’Amadé Ouérémi sur leurs voisins de Bagohouo. Selon des témoignages recueillis sur place, le maître du Mont Péko dispose d’un magasin d’achat de produits agricoles à Bagohouo. Il collabore avec beaucoup de personnes de cette ville où il est resté des années durant avant de regagner le parc à la faveur de la rébellion en 2002. Et le chef de ce village de fustiger le désarmement de la troupe d’Amadé Ouérémi en ces termes : «Nous les avons vus défiler ici à l’une des fêtes de l’indépendance avec des armes de guerre. Au moment du désarmement, ils ont déposé des fusils de chasse de type calibre 12. Tout le monde joue avec le feu ».

Bagohouo, le chef-lieu de sous-préfecture, présente un visage pâle en cette veille de la fête nationale. Les locaux qui servent de bureau de l’administration sont envahis par de hautes herbes. Apparemment, tout se fait désormais sous le hangar du chef du village, Djihiéi Sérou Jean. Confortablement assis sur une grande chaise, ce dernier est entouré de quelques jeunes ce 6 août 2012. Leur préoccupation pour l’heure, se limite à la participation de leur village aux festivités de l’an 52 à célébrer le lendemain à Sibaly. «Nous sommes en train de régler les derniers problèmes de la fête. Notamment les danses et la nourriture», soutient DjihiéiSérou.

Bien que leur village soit devenu chef-lieu de sous-préfecture depuis quelques années, les populations de Bagohouo ne cachent pas leur amertume. Et le chef de lâcher : «On est resté toujours à l’état du village». En effet, depuis deux ans, la localité est sans électricité. Elle reçoit deux gendarmes de Duékoué par semaine pour assurer sa sécurité. Le plus difficile est l’absence du sous-préfet qui réside à Duékoué. Par conséquent, tous les actes administratifs sont établis à partir de cette ville. «Finalement, nous ne voyons pas en quoi notre village est chef-lieu d’administration. Car, nous continuons toujours d’aller à Duékoué », se lamente un notable. Et un autre d’ajouter : « Le sous-préfet vient ici ces temps-ci la fête de l’indépendance».

En outre, le logement de la sage-femme a été incendié pendant la crise post-électorale. Elle vit désormais chez un particulier. Evidemment, dans ces conditions, on ne peut parler d’ambulance dans le centre de santé. Les évacuations se font dans des camions de transport de produits agricoles la plupart du temps. Au mieux des cas, les malades sont transportés dans les rares véhicules de transport de personnes qui s’aventurent sur la route du Péko.

Ce parc est un sujet tabou à Bagohouo. Ni le chef, ni les notables encore moins la forte communauté étrangère (Cedeao) ne veulent en parler. Du moins à visage découvert. «Nous sommes réticents vis-à-vis de ce sujet par méfiance», justifie le chef Djihiéi Sérou. Qui a fait appel aux différents chefs des ressortissants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) du village. De qui se méfient les populations ? Personne pour répondre sous le hangar du chef. Pour sa part, Oungbadji Bertin du sous-groupe béninois se contente de dire : «Je n’ai rien à dire à propos de la sécurité. Tout va bien». Néanmoins, DjihiéiSérou donne une précision : «Entre 2011 et maintenant, la situation sécuritaire reste la même ici. Je vous ai dit que nous avons deux gendarmes par semaine, pour assurer la sécurité. Pour le reste, voyez avec le sous-préfet. C’est lui seul qui est habilité à parler en notre nom ».

Dans la foule qui grossit au fur et à mesure sous la tente du chef, un homme d’âge mûr paraît insatisfait des réponses vagues du chef et ses notables. Il se lève et se dirige vers la route en faisant de grands gestes des mains. Cet homme est originaire de Bagohouo. Rattrapé après l’entretien chez le chef, il se dit «écœuré » par tout ce qui se passe dans le village. «Le chef refuse de parler parce qu’il ne veut pas subir le sort de son prédécesseur. Tout chef qui veut évoquer les problèmes réels de notre village est révoqué. Il est le troisième chef en moins de trois ans », révèle-t-il. Selon lui, la population ne supporte plus la présence d’Amadé Ouérémi et ses hommes dont le nombre ne cesse de croître dans le parc du Mont Péko. «Tout le monde, dit-il, est en sursis. Ces hommes sont armés. On ne sait pas pour qui ils roulent. Nous savons seulement qu’en 2010, ils ont mis en déroute les militaires et gendarmes stationnés dans notre village. Par la suite, ils sont retournés dans le parc ». Ce villageois va plus loin : «Les populations qui ont fui les villages pour se réfugier à la mission catholique de Duékoué puis dans le camp de Nahibly sont contraintes au retour après la destruction de ce camp. Mais Amaldé Ouérémi qu’ils ont fui est toujours là. La peur est grande. Parce que nous avons tous en mémoire ce qui s’est passé au quartier Carrefour, premier refuge de nos parents».

Regard : Juste décision

Le chef d’état-major général des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, le général de corps d’armée Soumaïla Bakayoko l’avait promis au début de ce mois. Le processus de ratissage du Mont Péko se précise. Un bataillon vient d’être installé à Duékoué. L’opération ne saurait donc tarder. Certainement. Le gouvernement répond ainsi au vœu des populations de cette localité meurtries par tant d’atrocités depuis le déclenchement de la crise ivoirienne.

Du quartier Carrefour de Duékoué à Nidrou en passant par Bagohouo, les autochtones guéré ont toujours pointé du doigt la bande armée installée au Mont Péko que dirige Amadé Ouérémi, comme source principale de leur malheur. Les massacres du Carrefour pendant la crise post-électorale lui sont imputables selon plusieurs témoignages recueillis sur place.

La présence renforcée de l’armée à travers ce bataillon baptisé « Bataillon du Mont Péko » donnera certainement l’assurance de sécurité à ces populations chassées du camp de déplacés de Nahibly. Elles retournent dans les villages dont la plupart sont dans la périphérie du Mont Péko. Parce que le premier souci de ces femmes, enfants et hommes traumatisés reste la quiétude. La paix. Et la parade d’Amadé Ouérémi et ses hommes qui se considéraient jusque-là, comme des intouchables, hantait leurs esprits. Le soulagement sera grand quand le Mont Péko sera débarrassé définitivement de toutes les personnes sans foi ni loi qui l’occupent.

Les agents de l’Office ivoirien des parcs et réserves qui sont également impuissants face à cette occupation illégale se réjouiront eux aussi de pouvoir se rendre dans ce parc, la raison de leur présence à Duékoué.

L’état de droit est véritablement de retour avec la nouvelle Côte d’Ivoire.

Le plaidoyer des forestiers

Ils sont onze agents de l’Office ivoirien de la protection des parcs et réserves (Oipr) chargés de la surveillance du Mont Péko. Les difficultés de ces forestiers commencent déjà sur leur base où ils « squattent » désormais leurs propres locaux de Duékoué. Ils cohabitent avec les Frci. Chose pas facile entre des corps armés avec des degrés de formation et des missions différentes. « Nous travaillons beaucoup avec les civils et la présence de militaires sur nos bases nous fait perdre des informations clés », soutient un agent de l’Oipr. Les forestiers déclarent également subir les affrontements entre les Frci et la population. « Il y a des moments où les gens s’arrêtent sur la route pour lancer des pierres dans la cour », souligne un autre. Pour le chef du secteur du Péko, « que les Frci aient aussi un bon local parce qu’elles travaillent, comme eux, pour le même Etat de Côte d’Ivoire ».

L’autre difficulté est que les agents de l’Oipr ne semblent pas être soutenus dans leurs activités par les autorités. Un certain Bakary qui contrôle le parc du côté de Bangolo a été arrêté en 2008 dans son campement situé en plein cœur de cette réserve. Sur les 20 personnes arrêtées avec lui, toutes ont déclaré avoir été installées par Bakary. « Quand nous avons mis la main sur Bakary, le commandant de la brigade mixte de Bangolo est venu nous désarmer devant ce dernier et ses hommes. Nous sommes sortis de la forêt sans armes au moment où il nous a abandonnés. J’ai informé toutes les autorités, sans avoir de suite », regrette le capitaine Ouattara Kpolo, chef du secteur du Mont Péko. Aujourd’hui, les agents de l’Oipr craignent d’affronter Amédé Ouérémi, de peur que la même situation se reproduise. Ils ont encore à l’esprit le mitraillage dont une de leurs équipes a été l’objet dans la nuit du 24 au 25 juin 2010, à Guézon-Taouaké (40 Km de Duékoué). Surtout que pour onze agents, le secteur ne dispose que d’une arme fonctionnelle.

Doua Gouly

Envoyé spécial
Fraternité Matin

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