Ouattara sur deux fronts
Le président ivoirien doit affronter des vents contraires, tant sur le plan national avec la multiplication d’attaques armées qu’au plan régional, avec la dégradation rapide de la situation au Mali.
Mise à jour du 19 août 2012: Le siège du groupe éditant le journal ivoirien Le Temps, proche de l’ex-président Laurent Gbagbo et adversaire virulent du régime du président Alassane Ouattara, a été attaqué par des inconnus dans la nuit de samedi à dimanche à Abidjan.
Le local «a été attaqué par six hommes en civil, qui ont passé à tabac le vigile», a raconté à l’AFP Yacouba Gbané, directeur de publication. Une salle du rez-de-chaussée a été incendiée, et les assaillants ont tenté sans succès de mettre le feu à deux autres bureaux.
L’attaque survient après l’expédition menée la veille à Abidjan au siège du Front populaire ivoirien (FPI), parti de M. Gbagbo, par des inconnus armés qui ont fait trois blessés légers.
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Le contraste est saisissant. D’un côté, un président en tournée internationale au cœur de l’été, cherchant à attirer les investisseurs, notamment français, en vantant la stabilité de son pays.
De l’autre, de mystérieux hommes armés qui multiplient les attaques meurtrières en Côte d’Ivoire, à l’est comme à l’ouest, attaquant des casernes, des postes militaires ou des villages.
Le président Alassane Ouattara vient de quitter l’Arabie saoudite, où il a assisté à un sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).
En juillet, il avait déjà effectué une longue tournée internationale, qui l’avait mené pendant deux semaines à Addis-Abeba, en Chine, en France et en Angleterre.
Depuis un mois, le chef de l’Etat ivoirien n’est donc quasiment pas au pays. Et ça tombe mal.
Un véritable avis de tempête a été lancé sur l’Afrique de l’Ouest. Des foyers de tensions toujours plus nombreux, une famine qui menace au Sahel et maintenant des attaques armées qui se multiplient en Côte d’Ivoire.
Autant de défis à relever pour le chef de l’Etat ivoirien, aux commandes depuis la fin d’une meurtrière crise postélectorale en avril 2011. Mais aussi pour Alassane Ouattara en tant que président en exercice de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao).
De retour à Abidjan, l’ancien dirigeant policé du Font monétaire international (FMI) devra d’urgence s’atteler à trois dossiers prioritaires:
Accélérer la réforme de l’armée
Les récentes attaques qui ont fait au moins dix morts au sein des militaires soulignent la fragilité de la situation sécuritaire. Et ce n’est pas une bonne nouvelle.
Cela met en relief les difficultés à réformer la nouvelle armée, encore essentiellement constituée d’ex-rebelles du Nord. C’est pourtant un chantier prioritaire pour le président Ouattara.
La France, principal allié du régime ivoirien, ne s’y est pas trompée. Le Quai d’Orsay a appelé au «calme et à l’apaisement des tensions», tout en se déclarant préoccupé.
«Le désarmement et la réforme des secteurs de la sécurité doivent plus que jamais être une priorité, tout comme la poursuite du processus du réconciliation nationale et la lutte contre l’impunité», selon Paris.
L’Onu a dit exactement la même chose.
Une manière très polie et toute diplomatique pour souligner que pas grand-chose n’a été fait, malgré de nombreuses déclarations d’intention du pouvoir.
Il faut donc taper du poing sur la table, trancher dans le vif. Ecarter certains officiers supérieurs -des ex-rebelles sortis de la brousse- qui ne sont guère capables de diriger une armée professionnelle. Promouvoir une nouvelle hiérarchie sans distinction d’ethnie.
L’armée de la Côte d’Ivoire ne peut pas continuer d’être dominée par les personnes originaires du Nord. Il y a certes un équilibre à trouver par rapport aux forces de sécurité du temps de Gbagbo. Mais le curseur est monté trop haut vers le Nord.
Le pouvoir accuse le camp Gbagbo de fomenter les troubles. Mais le président Ouattara sait qu’il doit aussi se méfier d’une partie de ses alliés, ceux qui l’ont porté au pouvoir et qui ne sont pas prêts d’être mis sur la touche au nom d’une hypothétique réforme de l’armée.
Pour l’opposant Mamadou Koulibaly, ex-président de l’Assemblée nationale sous Gbagbo, il y aurait «près de 100.000 hommes», pro-Gbagbo comme pro-Ouattara qui «se baladent avec des armes et utilisent ces armes comme moyen de survie pour manger et se faire un peu d’argent.»
Le danger vient de là. Qui aura le courage de les désarmer? Pour le président Ouattara, c’est une question de survie. Pour la Mission de l’ONU, c’est sa crédibilité qui est en jeu.
La réconciliation passe par une justice impartiale
Depuis plus d’un an, la réconciliation en est restée au stade des paroles. Ce n’est déjà pas négligeable quand on se rappelle les discours de haine, les diatribes xénophobes, les appels aux meurtres du régime agonisant de Gbagbo et de ses «affreux» Patriotes.
Mais les belles paroles ne suffisent pas. Il faut que justice passe. Les rapports ne doivent pas se couvrir progressivement de poussières au fond des placards. Il n’y a pas de réconciliation sans justice. Et pour l’instant, la seule justice qui soit passée, c’est la justice des vainqueurs.
Malheur aux vaincus, c’est-à-dire les partisans les plus zélés du camp Gbagbo. La Cour pénale internationale (CPI) et la justice ivoirienne ne s’intéressent qu’à eux et a choisi d’avancer avec des œillères.
Ce n’est guère étonnant à Abidjan. Mais on aurait été en droit d’attendre un plus grand équilibre de la part de la CPI.
Les auteurs de massacres de civils, notamment dans l’Ouest, sont connus depuis longtemps. Des organisations de défense des droits de l’Homme et l’Onu ont donné publiquement leur nom.
Mais la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) présente, un an après sa création, un bilan effroyablement maigre. Les appels au dialogue, à la confiance ne suffisent pas.
Il est évident que le pouvoir n’est pas pressé de donner à la Commission les moyens de travailler d’une manière efficace. On peut le comprendre à défaut de le justifier.
Pour enclencher véritablement le processus de réconciliation, il faut donc un geste fort de la communauté internationale. Il faut que la CPI poursuive les auteurs des massacres de l’Ouest, les partisans de Gbagbo comme ceux de Ouattara. La réconciliation passe par là.
Stabiliser le Mali
Les malheurs viennent rarement seuls. Si les nuages s’accumulent au-dessus de la Côte d’Ivoire, l’orage a déjà éclaté au-dessus du Mali, foudroyant la fragile démocratie.
La force ouest-africaine de 3.000 hommes, brandie par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest, n’a toujours pas vu le jour et n’est pas prêt de se mettre en ordre de marche.
L’armée malienne, sous l’influence des anciens putschistes, refuse sa présence dans la partie qu’elle contrôle, la moitié sud du pays, dont la capitale Bamako. Mais ne s’oppose pas au fait que les militaires ouest-africains se fassent massacrer au Nord du Mali par les fanatiques d’Al Qaida…
Une fois le travail fait, elle reprendra possession du «septentrion» et continuera ses petits trafics transsahariens. Autant dire que le retour à la paix n’est pas pour demain.
Et le président Ouattara, en tant que chef de la Cédéao, en portera une responsabilité évidente. L’Afrique de l’Ouest francophone est le «pré-carré» de la diplomatie ivoirienne. S’il échoue au Mali, il aura raté son retour sur la scène régionale et continentale.
Adrien Hart
http://www.dakaractu.com/COTE-D-IVOIRE-Ouattara-en-peril_a30978.html
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