La Commission nationale d’enquête a rendu son « Rapport sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire survenues dans la période du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011 ». La lecture de ce rapport laisse perplexe au point de vue juridique, dans la mesure où il s’est contenté de décrire les comportements des différents acteurs sans les confronter aux textes, comme si en Côte d’Ivoire, chacun pouvait agir à sa guise, sans se conformer aux procédures en vigueur. Soutenir que la commission devait mener « des enquêtes non judiciaires » ne dispensait pas de cette analyse juridique puisqu’elle avait aussi une mission de « recherche de la vérité ». Loin de cet objectif, ce rapport est resté partisan, arcbouté sur les positions du camp Ouattara. Ce n’est qu’une reprise locale du document de charges servi par le Procureur Ocampo Moreno à la Cour Pénale Internationale (CPI).
Le rapport n’a même pas eu l’objectivité de rappeler les règles de proclamation des résultats de l’élection présidentielle. Un tel rappel lui aurait évité de laisser penser qu’une reconnaissance internationale pouvait remplacer les résultats annoncés par les organes habilités à le faire. Elle lui aurait permis d’éviter de reprendre dans son résumé la litanie habituelle servie par les média inféodés au camp Ouattara selon laquelle « La crise postélectorale est née du refus du président sortant, Monsieur Laurent GBAGBO de reconnaitre les résultats du scrutin du 28 novembre 2010 tels que certifiés par le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’ONU et reconnus par la communauté internationale, régionale et sous régionale ».
Il convient en effet de rappeler à cette commission que selon les dispositions pertinentes de la Constitution ivoirienne, c’est bien le Conseil constitutionnel qui proclame les résultats définitifs de l’élection présidentielle après avoir pris le soin de statuer sur les contestations y relatives (article 94). La certification des résultats telle que prévue par les résolutions des Nations unies n’a jamais eu vocation à se substituer aux organes internes de proclamation des résultats. C’est le lieu de rappeler à cette commission qui a abondamment énuméré les règles des droits de l’homme applicables en Côte d’Ivoire que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît dès son article premier que « tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique ». Ce qui implique « qu’il appartient aux seuls peuples de décider des méthodes à suivre et des institutions à mettre en place aux fins du processus électoral ainsi que des moyens de mettre ce processus en œuvre conformément à la Constitution et à la législation nationales » comme l’explicitera plus tard la résolution 52/119 de l’ONU adoptée le 12 décembre 1997.
Comment peut-on prétendre qu’un Président qui a été régulièrement déclaré vainqueur d’une élection et régulièrement investi à l’occasion d’une cérémonie de prestation de serment, a refusé de reconnaître les résultats ? Selon quelle logique cette CNE peut reconnaître la Constitution du 1er août 2000 (p.10) et refuser d’intégrer dans ses analyses certaines dispositions de celle-ci ?
En réalité, c’est bien à Ouattara qu’il faut imputer la responsabilité entière de cette crise, parce qu’il a refusé de reconnaître les résultats du second tour de l’élection présidentielle et déclenché la guerre. Et il n’était pas à son premier forfait. En octobre 2000, il avait demandé à ses partisans de prendre la rue et réclamer la tenue d’une « nouvelle élection présidentielle» « avec la participation de tous les candidats », en dépit d’une décision du 6 octobre de la Cour suprême qui rejetait sa candidature et d’une autre décision datant du 26 octobre qui proclamait les résultats. Le 1er décembre 2000, suite au rejet de sa candidature aux élections législatives par la Cour suprême, son parti, le RDR, se retire du scrutin et appelle ses partisans à manifester à Abidjan. Une tentative de coup d’Etat fomentée par des personnes proches de lui vient répondre à cet appel dans la nuit du 7 au 8 janvier 2001.
En outre, la CNE prend pour acquis certains actes dont l’illégalité flagrante a été à plusieurs reprises démontrée. Il en est ainsi du « serment écrit » de Ouattara (p.9). Quelle est la valeur juridique d’un tel serment qui n’est pas prévu par la Constitution et qui a été fait contre les dispositions de son article 39 qui prévoit seulement un « serment devant le Conseil Constitutionnel réuni en audience solennelle » ? Quelle valeur accorder à un serment signifié au Conseil constitutionnel qui lui – même répond à Ouattara (lettre du 8 décembre 2010) que ce serment n’est pas prévu par la Constitution et décide que ce serment est « nul et de nul effet » (avis du 22 décembre 2010)?
De même, la CNE évoque l’ordonnance n° 2011-002 du 17 mars 2011 créant les FRCI (p.11). Mais Ouattara qui n’avait pas prêté serment à cette date pouvait-il légalement prendre une ordonnance? Du reste, selon les dispositions de l’article 71 de la Constitution, cette matière relève de la loi. Avant d’intervenir dans le domaine de la loi, Ouattara a-t-il été habilité par le Parlement comme le prescrit l’article 75 de la Constitution ?
Enfin, si les nombreux textes garantissant les droits de l’homme sont énumérés, il est surprenant qu’une simple définition de la violation des droits n’a pas été proposée. Une telle définition aurait eu le mérite de préciser comment, en dépit du fondement légal de leur intervention, des forces légales peuvent violer des droits.
C’est pourquoi on reste interloqué par le rôle attribué aux différents « acteurs en présence » identifiés par le rapport, tous présentés comme « auteurs présumés ». Objectivement et légalement, peut-on placer sur un pied d’égalité les forces légales et les autres acteurs non légaux ?
Rappelons que c’est la Constitution qui prévoit en son article 24 que « La défense de la Nation et de l’intégrité du territoire … est assurée exclusivement par des forces de défense et de sécurité nationales ».
Cela signifie qu’il appartient aux forces de défense et de sécurité (FDS) de défendre la Nation et l’intégrité du territoire national. Il s’agit d’une compétence qui leur est exclusivement attribuée. Aucune autre force ne la partage avec les FDS. Les forces dites nouvelles, pro-ouattara ou dozos sont donc des hors la loi. Leur intervention dans le conflit ne peut donc être placée au même niveau que celle des FDS qui sont des forces légitimes et légales investies d’une mission officielle par les lois de la République.
La défense de la Nation et de l’intégrité territoriale est un devoir pour tout Etat souverain. Comme l’indique l’article premier du code de la fonction militaire, cette mission impose aux FDS « d’assurer la défense de la Nation, le maintien de l’ordre et l’exécution des lois ». Le même article ajoute que dans l’accomplissement de cette mission, il est exigé des militaires … discipline, loyalisme et esprit de sacrifice ».
C’est d’ailleurs certainement pour ces raisons que le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale dispose en son article 8 §3 que « rien … n’affecte la responsabilité d’un gouvernement de maintenir ou rétablir l’ordre public dans l’Etat ou de défendre l’unité et l’intégrité territoriale de l’Etat par tous les moyens légitimes ».
Conformément à leurs missions et à leurs devoirs, que doivent faire les FDS quand elles sont attaquées par des participants à une marche, comme celle du 16 décembre 2010 visant à libérer la Radio Télévision Ivoirienne, qui sont munis de gourdins, d’armes blanches, d’armes à feux et même d’armes lourdes et dont ils font usage tuant certains éléments parmi elles ?
Que doivent faire les FDS lorsqu’elles sont attaquées par des forces étrangères (ONUCI, LICORNE) en outrepassant les prescriptions d’une résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies?
Dans ces conditions n’aurait-il pas été utile de savoir si les crimes qui sont imputés aux forces de l’ordre l’ont été dans l’exécution de leur mission et dans l’accomplissement de leur devoir ?
Sans la prise en compte de ces considérations, la comptabilité macabre à laquelle la CNE s’est livrée (1 452 morts attribuées aux FDS alors que les forces pro-Ouattara, FRCI et dozos en auraient tué respectivement 727 et 200) ne revêt aucun sens.
Kouakou Edmond
Docteur en droit, Consultant
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