« L’honneur est comme une île escarpée et sans bord. On n’y peut plus rentrer dès qu’on est en dehors.»*
Honneur et politique ne font pas bon ménage, sous les cieux troublés africains, pas plus qu’ailleurs. Cette constatation sonne comme une évidence pour ceux, qui comme nous, scrutent la geste malhabile et autoritaire de l’actuel pouvoir ivoirien, élu par la communauté internationale et les bienveillants chars de la Licorne.
A la suite d’une mascarade électorale, présentée aux opinions publiques occidentales comme un parangon de démocratie à l’africaine, Alassane Ouattara a enfin touché son Graal : la présidence de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui encore, nul « pro-Gbagbo » ou « pro-Ouattara » ne peut fournir la preuve irréfutable de la victoire de son champion, cependant le perdant, le peuple Ivoirien, est connu de tous.
Les règles de l’arithmétique politique étant assujetties à la subjectivité de chaque camp, nous nous garderons ici de trancher sur ce point finalement anecdotique. Vincent Bolloré et la Plus Grande France ne s’embarrassent pas d’Ivoirité ou de querelles internes nègres, à l’heure de prélever la dîme instaurée par l’illustrissime Papa de Gaulle. On le sait, sur le continent noir, selon les oukases de l’ancienne métropole, tout est fluctuant et relatif. Qu’il s’agisse de la valeur de la vie humaine, des droits politiques, ou de celle des évanescents droits de l’Homme Africain.
Depuis la résolution militaire, désordonnée, aberrante d’un simple conflit électoral, les masques ne finissent plus de tomber en Côte d’Ivoire. M. Ouattara et ses alliés FRCI/Dozos poursuivent dans l’Ouest ivoirien un nettoyage par le vide initié lors de la « libération » du pays de « l’emprise » de Laurent Gbagbo. Il semblerait en effet, que l’orgie homicide post-électorale de Duékoué n’ait pas rasséréné ses auteurs. Le 20 juillet dernier, dans un silence assourdissant déshonorant la communauté internationale, sous les yeux complices de l’ONUCI, des dizaines de civils désarmés ont été massacrés dans le camp de Nahibly, par les animaux ayant servi de supplétifs à Alassane Ouattara, candidat chéri des médias français.
De sa responsabilité indirecte dans ces atrocités, il n’a guère été question le 26 juillet, lors de son amicale et indécente rencontre avec François Hollande. La France, prodigue en déclarations martiales sur les violations des droits humains en Syrie, est restée placide et bonhomme lors de son accueil fait à un président ivoirien aux mains maculées de sang. Mais pouvait-on attendre de l’État Français qu’il se comporte avec honneur et se déjuge, un an après avoir installé un ami « grand démocrate » à la présidence ivoirienne ? Honneur et politique internationale ne font pas bon ménage, pas plus qu’honneur et diplomatie, que cela soit en France ou en Côte d’Ivoire…
Toute honte bue, le président français s’est livré à la comédie de la réception d’un égal, en réalité un féal trop heureux de voir légitimer une stature usurpée d’homme d’état, respectable et démocrate. Lui qui se sait potentiel locataire d’une cellule de la CPI, la juridiction internationale spécialisée dans l’embastillement d’anciens responsables politiques africains. Mais que dire de la presse française reprenant sa petite musique lancinante, nous rejouant son disque rayé d’avril 2011 aux paroles mensongères, partiales et paternalistes ? Il y aurait matière à écrire et dénoncer, revendiquer et énoncer, mais choisissant le déshonneur, les médias français, ont fait leur la maxime de Mizaru, Kikazaru, Iwazaru, les trois petits singes : « Ne vois pas, n’entends pas, ne parle pas » .Qui ignore encore que « la réconciliation nationale », slogan publicitaire brandi par le pouvoir ivoirien depuis sa violente investiture, est en réalité une pantalonnade sanglante ? Qui ignore encore que l’état de non-droit s’est durablement substitué à l’état de droit ?
Qui ignore que la chasse aux anciens responsables politiques s’intensifie, concomitamment aux assassinats de civils innocents par les FRCI, ces Factions Ivoiriennes Criminelles et Ignobles, qu’une France sans honneur s’apprête à former par le truchement d’un Saint-Cyr yamoussoucresque ?
Pourtant, tous ces éléments, ces faits bruts d’information sont ignorés par les voyous usant de la plume, tel l’affligeant Thomas Hofnung de Libération et autres va-t-en-guerre planqués des rédactions parisiennes, qui ont légitimé aux yeux de l’opinion publique nationale une intervention coloniale d’un autre âge, et à bien des égards désastreuse. Que celui qui n’en est pas convaincu, contemple la catastrophique situation politique, humanitaire et économique de la Côte d’Ivoire. Que celui qui n’en est pas convaincu s’astreigne au décompte des exactions récurrentes, imputables aux bandits pro-Ouattara que la presse française, jadis, nous vendit comme des combattants de la liberté. Bandits qui se sont illustrés coup sur coup les 5 et 6 août derniers à Yopougon et à Akouédo, usant dans les attaques d’un commissariat et d’un camp militaire (dont les stocks d’armes ont été pillés) d’une violence extrême, et entraînant la mort d’au moins 12 personnes. Décidément, honneur et presse ne font pas bon ménage, pas plus que responsabilité et objectivité sous les cieux de France.
Adoubé par le camp du bien occidental, livré à ses démons internes, le pouvoir ivoirien, bafouant les plus élémentaires principes de respect des droits de la défense et des droits de l’homme, s’est lancé avec frénésie dans une campagne d’emprisonnements politiques, digne des plus grandes démocratures africaines, ne visant qu’à décapiter une opposition interne et légitime. Inculpant méthodiquement, sous des motifs plus délirants les uns que les autres, d’anciens responsables politiques proches de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara se livre à une vendetta judiciaire, d’autant plus surprenante qu’elle émanerait d’un démocrate certifié. Incarcérer d’anciens adversaires politiques n’étant, à l’évidence, pas suffisant, Ouattara leur impose des conditions de détention digne du goulag, et agrémentées de traitements inhumains et dégradants. Non-prise en charge des besoins sanitaires des détenus, humiliations filmées et diffusées sur le net, tortures, la liste des indignités à mettre au débit du régime ivoirien est interminable. Les cas emblématiques des anciens ministres Moïse Lida Kouassi et Pascal Affi N’Guessan, de Gilbert Marie Aké N’Gbo, Geneviève Bro Grébé, Philippe Henri Dacoury Tabley, Jean-Jacques Béchio, Basile Mahan Gahé, Dalo Noël Laurent Désiré, Christine Adjobi, celui du binational Michel Gbagbo, enfermé et maltraité avec un sadisme et une jubilation évidentes parce que fils de son père, ne doivent pas faire oublier ceux moins médiatiques qu’il convient de désigner comme étant les détenus politiques ivoiriens. Honneur et vengeance politique ne font pas bon ménage, pas plus qu’Alassane Ouattara et respect des droits humains.
L’honneur est l’opinion que d’autres ont de nous, la justice n’est que le principe moral exigeant le respect du droit et de l’équité. Suivant ces deux définitions, Alassane Ouattara et son régime pseudo-démocratique sont marqués du sceau du déshonneur et de l’infamie. Certes, Alassane Ouattara ne pourra retrouver ce qui est définitivement perdu à savoir son honneur (nous ne changerons pas d’opinion à son endroit), mais il peut faire en sorte de rétablir la justice et l’état de droit dans le pays que la communauté internationale et la France lui ont remis clefs en main et permis de gouverner. Pour ce faire, il doit déférer aux demandes énoncées par des voix de plus en plus nombreuses (dont la nôtre), s’élevant contre les dérives de sa présidence. Il est de fait incongru qu’il faille rappeler à un démocrate les plus élémentaires règles de droit, d’équité et de respect de la personne humaine.
Mais que cela soit lu et compris, nous ne baisserons pas la garde tant qu’il ne sera pas fait un meilleur sort à ces hommes et femmes, s’étant retrouvés en travers de la route, parsemée de cadavres, menant Alassane Ouattara au fauteuil présidentiel. Il y a un temps pour tout, selon un texte pour certains sacré : « Un temps pour aimer, et un temps pour haïr ; un temps pour faire la guerre, et un temps pour faire la paix ». Le temps de mettre en place les conditions véritables d’un apaisement national est désormais venu. Cet apaisement doit être imposé depuis le sommet de l’État Ivoirien, au risque de gangrener les blessures encore béantes de la crise post-électorale, d’accélérer la maturation d’un conflit encore latent, entraînant la Côte d’Ivoire plus avant dans la haine, et vers une implosion généralisée.
Une fois de trop, « La justice doit s’acheter avec le sang des hommes »**.
Ce dernier ayant assez coulé, le prix en a été payé. Il doit donc être fait droit à notre demande : la libération immédiate des prisonniers politiques ivoiriens. Il n’est sur ce point nullement question de prendre parti ou d’afficher un positionnement politique. En vérité, tout homme de bien sait qu’il n’est ici question que d’honneur et de justice…
Ahouansou Séyivé
http://blogs.mediapart.fr/blog/seyive-ahouansou
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