Si le Front Populaire Ivoirien est considéré, chaque fois qu’il se retrouve dans l’opposition, comme le porte-étendard de la contradiction en Côte d’Ivoire, il peut se réjouir de ne l’avoir pas usurpé. En face, d’Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara, en passant par Konan Bédié et Guéi Robert, la tradition est d’opposer fréquemment à ses appels aux débats d’idées des accusations de déstabilisation. Et pourtant en dix années d’opposition comme en dix autres de présence au pouvoir, aucune preuve formelle n’a été apportée de sa participation à un quelconque coup de force. Mais le rituel est déjà trop ancré chez les adversaires pour qu’ils désignent à chaque occasion de violence perpétrée ou soupçonnée ce parti dont l’attachement au dialogue est bien traduit par son célèbre slogan « asseyons-nous et discutons ». Parti d’opposition, il n’a généralement pas eu les moyens de l’expérimenter mais son passage aux affaires ayant coïncidé avec la plus longue crise dans le pays, l’ex-rébellion et toutes les organisations politiques alliées devraient pouvoir témoigner aujourd’hui de cette bonne ou mauvaise volonté du FPI. Malheureusement la tradition perdure. Et les évènements sanglants du weekend de l’indépendance n’y ont pas échappé. Dans les premières déclarations officielles consécutives à l’attaque du camp militaire d’Akouédo, les autorités chargées des questions sécuritaires n’ont pas eu besoin d’attendre les conclusions, même préliminaires, d’une enquête avant d’accuser ouvertement les partisans de Gbagbo d’en être les instigateurs. Selon ces membres du gouvernement c’est une action concertée de miliciens et d’anciens FDS, tous proches de Laurent Gbagbo. La presse proche du régime s’en est naturellement fait l’écho en indexant directement le FPI. Mais Miaka Oureto, Président par intérim de l’ancien parti au pouvoir, regrette que « dans des situations aussi graves et difficiles, l’Etat ne se donne pas suffisamment de temps et de moyens de procéder à des investigations avant de faire ces accusations ». Depuis le mois de juin, et même bien avant, la Côte d’Ivoire est submergée par des nouvelles sur des coups d’Etat éventés, avec promesse des tenants du pouvoir d’en apporter bientôt les preuves. L’attente se prolonge mais le bouc émissaire, lui, est d’une façon ou d’une autre désigné. Pour exemple, Lida Kouassi, ancien ministre de la Défense sous Laurent Gbagbo est arrêté au Togo puis accusé d’être à l’intersection d’actions visant à déstabiliser les institutions étatiques, et derrière lui, le pouvoir désigne le Front Populaire Ivoirien avant même d’avoir convaincu sur la sincérité ses déclarations ainsi que sur leur condition d’obtention. De la même façon, la mort des casques bleus dans la forêt de Taï a été attribuée aux pro-Gbagbo. le FPI y réagi vigoureusement en dénonçant, une fois de plus, cette tendance facile à l’accusation qui enlève à priori tout crédit au travail des enquêteurs. Il avait rejeté l’entière responsabilité de la crise au pouvoir en place tout en l’invitant à gérer avec la rigueur correspondante la situation sécuritaire de la région de l’ouest. Le débat s’est refermé là mais cela n’a pas empêché le régime d’indexer ce parti à nouveau en voyant des miliciens pro-Gbagbo dans l’âme des braqueurs qui auraient déclenché l’effroyable tuerie de Nahibly le 20 juillet dernier. Finalement les accusations portées aussi souvent contre le parti de Laurent Gbagbo s’apparentent d’avantage à une guerre psychologique à but de l’affaiblir. Mais sa capacité de réaction montre qu’il en faudrait plus. A l’époque d’Houphouët-Boigny, combien d’émissaires volontaires n’ont-ils pas défilé chez Laurent Gbagbo pour lui annoncer l’imminence d’une arrestation parce qu’il serait soupçonné par le pouvoir de fomenter des opérations de déstabilisation ? Malgré ses appels à « s’asseoir et discuter », il a plu au régime Houphouët de lui coller, le 18 février 1992, des casses au cœur du Plateau. Le verdict du procès qui s’en est suivi a été attaqué en appel mais il n’ira pas à son terme, le pouvoir ayant invoqué, par le biais du ministre de la justice, « la suspicion légitime ». Les ères Bédié et Guéi n’ont pas été différentes. Adepte du monologue, Bédié est resté sourd et aveugle devant les revendications communes du FPI et du RDR. Mais l’action d’envergure, controversé certes mais menée au grand jour, à laquelle s’est associé le Front Populaire Ivoirien contre le pouvoir Bédié n’est pas un coup d’Etat mais un boycott actif de l’élection présidentielle de 1995. Il y a eu des arrestations, des procès et des condamnations, sans que le FPI ne décline sa responsabilité. Le parcours de ce parti est donc si accessible que le pouvoir actuel devrait être à son aise dans ses rapports à l’opposition dont il est la tête de pont naturelle. Malheureusement c’est le contraire qu’il nous est donné de voir.
Dékos Badaud
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