Publié par diopdame Source: Afriquedemocratie.net
Les nationalistes et autres patriotes français, rejoints par des africains naïfs ou intéressés par des miettes dont ils raffolent, clament à longueur de journées que la France ne joue plus aucun rôle en Afrique depuis l’accélération de la mondialisation. La France aurait perdu toute influence politique voire économique en Afrique, supplantée par la Chine, les autres pays dits émergeants mais aussi les Etats Unis d’Amérique qui confirment au jour le jour leur assise, nous dit-on. Outre des élus français qui réfutent violemment la continuité française en Afrique, de simples citoyens se disant lassés d’entendre des « accusations gratuites » contre la France se positionnent et déplacent les responsabilités. Les élites intellectuelles et médiatiques ne sont pas en reste. Ainsi, de Pierre Péan à Antoine Glaser en passant par les petits sicaires de RFI, de France 24, de Le Monde… et des spécialistes autoproclamés de l’Afrique sévissant ici ou là, la France ne pèserait plus rien dans les territoires africains où, par pure compassion, elle n’aura gardé qu’une présence humanitaire. Avec l’avènement de François Hollande à l’Elysée et son attitude calme, plutôt froide contrairement à l’agitation de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, ils sont très nombreux ces africains à voir là une rupture et un changement.
Or les faits disent justement le contraire de tout ce que nous venons de mentionner. On a vu Sarkozy tout au long des cinq années qu’il aura passées à l’Elysée recevoir quasiment tous les préfets africains. Un président français élu se rend en Allemagne, un pays européen où avec son homologue ils passent en revue les dossiers européens ou communs montrant ainsi qu’ils travaillent pour eux-mêmes. Les guignols africains eux, démontrant que Paris étant le centre du pouvoir africain, se rendent à Paris alors même que dans leurs territoires les citoyens ne connaissent même pas encore leur visage. Ainsi à peine « élu » au Sénégal vers la fin du mandat de Sarkozy, Macky Sall courait à Paris pour se faire adouber. Fait encore plus révélateur que Paris demeure maître en Afrique, Alassane Ouattara, le proconsul du territoire de Côte d’Ivoire a été reçu par Sarkozy le 07 mai 2012, le lendemain même de sa défaite à l’élection présidentielle. Un satrape africain aura été ainsi un des derniers dirigeants du monde à rencontrer le président français sur le départ, rejeté qu’il était par le suffrage. N’est-ce pas là une preuve de l’importance que revêt l’Afrique ?
Le successeur de Sarkozy n’a pas dérogé à la règle qui veut que la France soit « une puissance africaine » depuis les temps de la colonisation directe. Ayant pris ses fonctions seulement le 15 mai 2012, François Hollande a déjà reçu dans son palais, 06 préfets africains. En 02 mois de présidence, Yayi Boni du Bénin, Mahamadou Issoufou du Niger, Alpha Condé de la Guinée, Macky Sall (encore lui !) du Sénégal, Ali Bongo du Gabon, l’incontournable Gabon grand financier des campagnes présidentielles françaises, territoire qui accueillait le futur ministre des affaires étrangères Laurent Fabius de Hollande quelques semaines avant le premier tour de la présidentielle de 2012, et Alassane Ouattara ce 26 juillet 2012. Si on ajoute à cette liste, la réception du Roi du Maroc, Mohamed VI et celle de Moncef Marzouki de la Tunisie, le continent africain montre le visage triste du seul endroit de la planète où la France reste incontournable. Son influence demeure terrible au point où chacun des guignols se bousculent au portillon de l’Elysée pour avoir « l’imposition des mains » par son locataire de quelle que obédience qu’il soit. Cette imposition des mains élyséenne est le baptême ou l’acte confirmatoire par lequel lesdits guignols reçoivent la bénédiction pour accomplir leur tâche dans les colonies et par lequel ils sont assurés de bénéficier de tout le soutien nécessaire tant qu’ils ne sont pas tentés par une rébellion d’enfants gâtés contre leur tuteur.
Par ce défilé des petites têtes couronnées africaines à Paris, l’Afrique fait mieux que l’Europe même où se trouve la France. Elle offre la preuve qu’elle est une terre française et que la France, véritablement demeure une « puissance africaine ». On a peu vu des dirigeants européens se présenter à l’Elysée ces deux derniers mois. Pour un pays qu’on nous présente comme ne jouant plus grand rôle en Afrique, c’est dur de café de voir cette bousculade au portillon de sa présidence. Pour une rupture, c’en est une, vraiment !
Mais Hollande est un fin joueur. En recevant premièrement Yayi Boni et Mahamadou Issoufou, Alpha Condé et Macky Sall sur fond de la suppression de la cellule africaine à l’Elysée et de la refonte du ministère de la coopération annoncées urbi et orbi, Hollande entend vendre l’image d’une présidence française nouvelle qui traite avec des dirigeants africains moins répressifs et jouissant d’une relative tranquillité dans leur territoire respectif. Cette tactique, toutefois, fut très vite rattrapée par la réalité avec la réception d’Ali Bongo probablement pour sa contribution à la conquête du pouvoir par Hollande. La visite rendue par Fabius à Bongo en pleine campagne électorale en février 2012 démontre qu’il s’est passé quelque chose entre les deux pôles. Car, Ali Bongo, publiquement reconnu par des officiels français comme non-élu dans un documentaire diffusé sur France 2, la chaîne publique française a été quand même reçu et ceci malgré la protestation de quelques organisations et de quelques « opposants ». Même si François Hollande n’a pas fait de conférence de presse avec Bongo, se dérobant ainsi d’une éventuelle question surprise venant d’un journaliste français impertinent à l’occasion, il n’en demeure pas moins vrai que Ali Bongo fut reçu à l’Elysée au grand dam de certains enthousiastes du « Le Changement c’est maintenant ».
L’autre réalité qui rattrape la tactique hollandienne amorcée, c’est la réception d’Alassane Ouattara de la satrapie de Côte d’Ivoire ce 26 juillet 2012 à l’Elysée, sanctuaire connu pour les tyrans africains obséquieux. L’homme qui a replongé le territoire de Côte d’Ivoire dans le bain françafricain en refermant de façon violente la parenthèse Laurent Gbagbo à coups de bombardements français à l’appui, avec cette seconde réception au palais en l’espace de 3 mois, montre que la Côte d’Ivoire française des temps de Houphouët Boigny est de retour. L’ancien ministre de la défense, Gérard Longuet voyant parfaitement cela n’affirmait-il pas devant l’Association des journalistes de défense (AJD), le mercredi 16 novembre 2011 à propos du redéploiement du dispositif militaire français en Afrique : « On aurait choisi Port-Bouët, en Côte d’Ivoire si Ouattara avait été en place plus tôt » ?
Somme toute, le ballet des contremaîtres africains à Paris rappelle étrangement celui fit par « les soleils des indépendance » au lendemain de la proclamation des indépendances fictives accordées ou reprises en main à la suite des assassinats pour rencontrer le général De Gaulle. On vit défiler tous ces « dirigeants » de « l’Afrique indépendante » à l’Elysée où « Mon Général » leur offrait des « toasts » à l’issue desquels, sourire aux lèvres, ils étaient invités à lever leur verre et à boire au nom de l’indépendance et son corolaire de « l’Amitié franco-africaine ». On célébra alors la rupture avec la confirmation du franc CFA, le maintien ou la signature des accords de coopération militaire et le renforcement de « l’aide française » à cette « Afrique indépendante ». Il en est ainsi dans les années 90 avec, cette fois-ci, LA Rupture sous Mitterrand car le « vent de l’Est » soufflait et ce vent apportait, aux dires de « l’élite indigène » collaboratrice coloniale, une « ère de démocratie ». Pour que cette Rupture fût, rien de moins qu’un « grand discours » devant leurs « excellences » africaines à Baule dont les lendemains s’étaient traduits par un ballet à l’Elysée des mêmes à qui le « Président de la République », semble –t-il, intimait l’ordre de réformer. De l’ère de Jacques Chirac « l’avocat de l’Afrique » comme il aimait s’appeler, n’en parlons pas. Les satrapes africains n’avaient autant été accueillis sous les « ors de la République » avec émotion. Chirac l’Africain savait transborder et retourner à ses visiteurs noirs « l’accueil authentiquement africain », formule consacrée dans les satrapies africaines. Sarkozy, préparant la conquête s’était senti obligé de promettre LA RUPTURE de la rupture, cette fois-ci, ce sera LA RU-RUPTURE, (ne rions pas !). En 2006, dans un discours à Cotonou, puis dans un autre à Bamako, Nicolas Sarkozy ira jusqu’à dire que « la France n’a pas besoin de l’Afrique ». On aurait donc attendu que la France sous Sarkozy se débarrasse d’une Afrique qui n’est qu’un poids pour cette France. Finalement, pour des raisons humanitaires, oui, pour des raisons humanitaires et nulle autre, Sarkozy ne s’en est pas débarrassé. Qui vous a dit que « l’humanitaire » n’est pas bénéfique ? Surtout s’il se traduit par un accès aux matières premières quasi-gratuitement, le franc CFA mettant sous tutelle française les économies africaines, les bases militaires françaises et des guerres de reconquête ici ou là ?
François Hollande, rusé qu’il était dans sa conquête du pouvoir, promettait le changement face à un adversaire plus dru, plus direct et tutoyant la vulgarité. Au point 58 de ses 60 engagements, Hollande écrit, en ce qui concerne l’Afrique, « Je romprai avec la « Françafrique », en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité… ». Cette proposition n’est pas une nouveauté. Au contraire, elle est dans la droite ligne de la rupture de ses prédécesseurs depuis de Gaulle. C’est cette rupture que nous voyons avec le tapis rouge déroulé aux préfets africains à Paris.
Certains africains, forcés qu’ils sont, voudraient bien croire en leurs rêves et en leurs espérances illusoires qu’ils espèrent voir se matérialiser par un décret que le nouveau locataire du palais présidentiel français prendrait pour sortir l’Afrique de l’orbite française. Peut-être que ces réceptions traduisent les négociations en cours (sans rire !) entre leurs « excellences » africaines et Paris pour LA RU-RU-RUPTURE. L’espoir ne fait-il pas vivre ? Il fait mieux vivre d’ailleurs quand il est illusoire !
Concluons avec Cheikh Anta Diop : « l’esclave ne devient un acteur de l’histoire que dans la mesure où il est pleinement conscient de son aliénation et qu’il cherche activement à changer de condition. Un esclave qui n’a pas le sentiment d’avoir perdu sa liberté ne jouera aucun rôle révolutionnaire, même si le théoricien n’a aucune peine à démontrer son statut d’esclave. » Mieux, disons que les esclaves qui attendent que la toute puissance de leurs maîtres se transforme un jour en toute bonté à la suite d’un humanisme retrouvé face aux intérêts économiques qui fondent leur démarche, sont définitivement condamnés à la servitude.
Le décret de libération attendu ne viendra donc pas de Paris. Il sera de notre fait.
28 juillet 2012
Komla KPOGLI
Web. http://lajuda.blogspot.com
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