Le Village Rasta rasé: le désarroi des habitants

Par Kouassi

Par Rédaction Afrique Radio Pays-Bas Internationale

Selay Marius Kouassi, Abidjan

Le « village rasta » a été rasé, ses habitants déguerpis. Mais les hommes et femmes aux longs cheveux (dreadlocks) sont plus que déterminés à ne pas partir. Le village rasta se bat pour son existence. Ses habitants, désormais sans toit, et sans source de revenus, luttent pour leur survie.

Mémorable ‘‘mercredi noir’’

Du ‘village rasta’, il ne reste plus que des gravats grossiers de ciments, des morceaux de planches, des effets personnels et des portraits d’artistes musiciens reggae qui jonchent le sol, après le passage des bulldozers et d’un cargo de policiers équipés de matériel anti-émeute, aux premières heures de l’aube, le mercredi 11 Juillet.

“Un mercredi noir”, se souviennent les rastas qui vivaient sur le site. “Nous n’avons pas eu le temps de prendre nos affaires. Nous n’avons reçu aucune mise en demeure. Pourtant nous avons une attestation délivrée par la municipalité nous autorisant à occuper ce site”, s’indigne Blaka, qui affirme être venu habiter le « village rasta », pour trouver la quiétude au milieu de ses “frères”, après avoir été “victime de nombreuses tribulations dans le monde”.

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Par Kouassi

A qui profite le déguerpissement?

“Nous sommes non-violents et nous prônons la paix. Qui dérangeons-nous? Et à qui profite ce déguerpissement?”, s’interroge Dongo Patricia, assise devant ses effets personnels étalés à même le sol. Patricia est l’épouse de l’artiste musicien rasta surnommé “Bulldozer”. Tous deux habitent le ‘village rasta’.

Le nom d’un certain Zaher – un opérateur économique et ressortissant d’origine libanaise- revient constamment sur les lèvres des jeunes rastas lorsqu’on leur demande qui les a fait déguerpir de là. Zaher aurait, selon ce qu’ils ont ouï dire, acquis cette propriété foncière à prix d’or. Une pratique courante en Côte d’Ivoire, où plusieurs fois des parcelles habitées ont été cédées à plus offrant et où la contestation des riverains a été soit étouffée soit matée.
“Même la gendarmerie et la municipalité de Port-Bouët n’en savent pas plus que nous. Encore moins le ministère de la Culture vers qui nous sommes allés pour nous renseigner. Il y a paradoxe”, s’étonne Blaka. Les tentatives pour entrer en contact avec le présumé acquéreur sont restées vaines.

“Crime contre une minorité pacifique”

“C’est un crime contre nous les rastas, un crime contre une minorité pacifique. Notre communauté est un exemple d’union. Nous ne connaissons ni divisions politiques ni querelles, et nous prônons la paix et l’amour”, affirme Joseph Naba 29 ans, barbe hirsute, et cheveux cachés sous une longue chéchia rouge, debout au milieu des décombres du village rasta, brandissant une pancarte à l’effigie de Sa Majesté Haïlé Sélassié’.

“Crime contre la culture universelle”

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Par Kouassi

Pour Koko Shenko, 31 ans, artiste peintre rasta, habitant du village, “ce déguerpissement sauvage n’est pas seulement un crime contre la communauté rasta en Côte d’Ivoire, c’est un crime contre la culture universelle”.

Pour l’auteur de la quasi-totalité des fresques murales qui décorent le site du village, “tout le monde s’émeut parce que des mausolées sont en train d’être détruits à Tombouctou, au Mali. Mais avec la destruction du village rasta, c’est un pan de la culture ivoirienne et de la civilisation universelle qui est effacé. Le monde devait s’en offusquer”.

Le village rasta comptait en son sein une galerie d’art exposant la plupart des œuvres produites par les artistes qui y habitaient. A présent, la galerie n’est plus qu’un tas de décombres au milieu desquels Koko Shenko traîne lentement les pas, l’air pensif.

Résister à l’oppresseur et réclamer justice

“Peut-être veut-on nous contraindre à rejoindre le monde et à y mener une vie vicieuse pour survivre. Mais c’est impossible, c’est contre la philosophie rasta. Nous nous sentons mieux au sein de notre communauté”, crache Foloh Jah, habitant du village.

Avis partagé par la jeune rasta Fatoumata Traoré, qui se fait désormais appeler Mama Africa, depuis son entrée au village rasta, où elle vit avec son fiancé, qui lui est également rasta.

“Ici, dans la famille rasta, on vit ensemble et en harmonie. L’oppresseur est venu casser notre demeure pour qu’on suive le monde. Nous sommes jeunes, mais nous ne suivrons pas le monde. On se sent mieux ici en communauté, c’est la meilleure vie, on préfère ça. On ne rejoindra pas le monde”, affirme Mama Africa.

Mama Africa a rejoint de nombreux autres jeunes rastas qui se sont regroupés sur le site du village détruit pour, disent-ils, “dire non à l’oppresseur et réclamer justice”, mais pas en posant des actes violents, mais plutôt en chantant. Au milieu des tambours de différentes tailles et des grelots, ils entonnent ‘nyabinghi’, un chant de combat dont l’écho retentit loin.

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