Depuis le 26 juin 2012, la Côte d’Ivoire a atteint le point d’achèvement de l’Initiative des Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE), un objectif poursuivi par les autorités gouvernementales depuis la création de ce mécanisme de désendettement en 1996.
C’est le Président Bédié qui a commencé les négociations et obtenu l’éligibilité de la Côte d’Ivoire en 1998. Le Président Gbagbo a poursuivi et presque finalisé le travail en faisant franchir les étapes décisives à la Côte d’Ivoire. Ouattara ne fait donc que récolter les dividendes des actions menées par ses prédécesseurs, alors même que ses actes et sa gouvernance empêchent la Côte d’Ivoire de jouir pleinement de l’IPPTE.
En effet, c’est à Ouattara qu’incombe la responsabilité du retard accusé dans l’obtention du PPTE, après 32 autres pays sur les 41 admissibles. A deux reprises, notre pays était sur le point d’obtenir le point de décision, mais à chaque fois, les ambitions de pouvoir de Ouattara ont repoussé l’échéance. Ce fut d’abord le coup d’Etat de décembre 1999 qu’il a revendiqué et qui a ruiné les espoirs de reprise des négociations de l’initiative. Puis vint la rébellion de septembre 2002 qui visait à l’installer au pouvoir alors que le point de décision était prévu pour le dernier trimestre de 2002. L’instabilité politique qui s’ensuit ne permettra pas des négociations pour le PPTE jusqu’en 2007. Enfin, c’est la crise postélectorale à partir de décembre 2010, née du refus de Ouattara de se soumettre pour la énième fois à une décision juridictionnelle et la guerre consécutive qu’il a enclenchée, avec l’appui de son ami Sarkozy, qui ont retardé l’atteinte du point d’achèvement attendue en 2011, mais finalement accordée en juin 2012.
Les dégâts provoqués par ces différentes secousses politiques expliquent la nature des investissements qui seront en définitive réalisés dans le cadre du PPTE. En effet, ceux-ci seront en grande partie consacrés à la réhabilitation de ce que la rébellion et la guerre de Ouattara ont détruit dans les secteurs prioritaires (éducation, santé et infrastructures). Certes, un nouveau souffle sera donné aux routes non entretenues depuis le coup d’Etat de 1999 ou aux écoles et centres de santé sinistrés par la rébellion, et certaines infrastructures sans cesse reportées (3e pont d’Abidjan) seront réalisées.
Mais, ces piètres ambitions n’étaient pas celles affichées par nos dirigeants quand ils plaçaient beaucoup d’espoir sur l’IPPTE qui aurait certainement offert plus d’opportunités et de perspectives, si elle avait été obtenue sans la rébellion et la guerre de Ouattara. Les investissements attendus n’apporteront qu’une plus-value dérisoire, sans commune mesure avec les ambitions des douze travaux de « l’éléphant d’Afrique » qui, quoi qu’on en dise, complétaient opportunément les infrastructures de base des trois premières décennies de l’indépendance et ouvraient des perspectives pour une Côte d’Ivoire encore plus flamboyante. Paradoxalement, ces investissements ne nous permettront pas non plus de réaliser l’assurance maladie universelle et l’école obligatoire (jusqu’en 3e) alors que le PPTE constituait une belle opportunité pour les incruster durablement dans le paysage économique et social de la Côte d’Ivoire. Ces deux pans du projet de société du Président Laurent Gbagbo s’inscrivaient en droite ligne dans les objectifs de l’initiative. Quelle perte de chance quand on connaît l’effet structurant de l’assurance maladie à l’exemple de la France! Quelle perte de chance quand on connaît le rôle de l’éducation dans tous les pays du monde ! « Un trésor est caché dedans » confiait Jacques Delors.
Ces programmes de gouvernement nous propulsaient mieux dans les sillons d’un pays émergent dans un horizon plus rapproché que les incantations servies par les vendeurs d’illusions, spécialistes de la communication mensongère.
Ouattara, un obstacle à la pluie de milliards
D’ailleurs, il faut garder à l’esprit que les ressources du PPTE sont constituées par les ressources que la Côte d’Ivoire réussira à rembourser au titre de sa dette remise. Comment constituer ce pactole si les comzones de Ouattara continuent de capter une bonne partie des ressources publiques à leur seul profit? C’est aussi un secret de polichinelle qu’une grande quantité du cacao produit en Côte d’Ivoire transite par le Burkina Faso et est exportée à partir du port d’un autre pays. Ce trafic illégal provoque un manque à gagner pour les ressources de l’Etat, puisque le DUS (droit unique de sortie) dû sur chaque kilogramme de cacao ne peut plus l’être. C’est le Burkina qui prélève désormais des taxes sur le transit de cette marchandise, augmentant d’autant les ressources de son budget. Des observateurs évaluent à 200 000 tonnes le cacao qui échappe ainsi au circuit ivoirien. En y ajoutant le trafic portant sur toutes les autres ressources (minières, ligneuses etc.), on mesure l’ampleur des revenus qui auraient pu venir abonder le financement PPTE.
Le budget de l’Etat ne peut que ressentir négativement ce manque à gagner d’autant que la dette ivoirienne étant redevenue supportable en conséquence de l’atteinte du point d’achèvement – c’est d’ailleurs l’objectif visé par l’IPPTE – l’Etat va recommencer à payer les échéances de la dette hors PPTE évaluée à 4000 milliards de F. CFA. Il devra aussi respecter ses échéances de paiement.
Il convient de noter que, compte tenu de la structure de la dette publique ivoirienne, une grande partie de cette annulation (1300 milliards de F.CFA) devra être accordée par la France à travers les contrats de Désendettement et Développement (C2D). Ce mécanisme prévoit le remboursement effectif de la dette, à chaque échéance, au trésor français qui ensuite reversera la somme correspondante dans un compte séquestre ouvert à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Ces fonds, transformés en dons devraient servir à financer des programmes de lutte contre la pauvreté.
Non seulement les C2D sont négociés, mais la gestion du processus d’allocation des ressources est assurée par des organes dans lesquels la partie française est omniprésente. C’est donc peut dire que d’affirmer que d’excellentes relations avec le pouvoir français sont indispensables pour une bonne conduite de cette opération de désendettement. Or Ouattara ne semble pas être l’interlocuteur le plus indiqué pour négocier avec la France. La faute politique commise à l’occasion de la dernière présidentielle française le plombe. Au-delà des convenances diplomatiques, le « Président reconnu par la communauté internationale » avait entouré de tous ses soins le Président sorti Nicolas Sarkozy. Ce n’est qu’après avoir mis un point d’honneur à être le Premier chef d’Etat reçu par le Président déchu qu’il a daigné adresser une lettre de félicitations au nouveau Président Hollande. Après cette bévue diplomatique sans précédent, il ne faut pas être étonné de constater que Ouattara ne sera reçu à l’Elysée qu’après ses homologues du Bénin, Niger, Gabon, Sénégal et de Tunisie. Ah ! Qu’elle est bien loin l’époque où les nouveaux dirigeants français s’empressaient de venir faire leurs civilités sur les bords de la lagune ébrié avant toute autre initiative en Afrique.
Pis, Ouattara ne s’inscrit pas dans la nouvelle gouvernance française. Le Président Hollande avait déclaré qu’il « n’accepterai(t) pas des élections frauduleuses» et que son élection « sera … terrible pour les dictateurs ». Après avoir fait la guerre pour s’imposer à la suite d’une élection très contestée à l’occasion de laquelle il a été accusé de fraudes graves et massives, Ouattara montre, à travers ses actes, son aversion pour la démocratie et une tendance atavique à la répression de tout contre pouvoir. Ce n’est certainement pas la meilleure posture pour améliorer ses relations avec les dirigeants français. Ainsi, si à la lourdeur du mécanisme C2D, il faut ajouter une contrainte d’ordre politique, il y a à parier que les efforts des ivoiriens pourraient être vains. Pour avoir obtenu le point d’achèvement en dépit d’une gouvernance très approximative – M. Madani Tall, représentant résident de la Banque mondiale a lui-même reconnu que la Côte d’Ivoire n’a pas satisfait cinq des treize déclencheurs – Ouattara sait mieux que quiconque l’importance de la décision politique dans ce genre de programmes.
Ouattara, une gouvernance pénalisante
Mais c’est la mal gouvernance de Ouattara qui risque d’annihiler nos espoirs. En effet, pour jouir pleinement du PPTE il ya tout un environnement qu’il faudra créer pour stimuler la croissance dont les retombées permettront d’avoir le supplément de ressources publiques nécessaires pour payer une bonne partie de la dette. Ouattara ne semble pas être l’homme qui peut créer cet environnement à cause des pratiques de ses soldats en guenilles dont 40 000 dozos (LC, n°639) et d’une justice (des vainqueurs) inéquitable qui découragent les investisseurs. A l’occasion d’une mission récente du patronat français regroupé au sein du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF), la délégation ne s’est pas gênée de le rappeler aux autorités gouvernementales. Les investissements directs étrangers espérés pourraient donc ne pas arriver pour booster l’économie tant que le climat des affaires ne s’améliore pas.
Il faudra aussi créer une paix durable, en évitant les tensions politiques et sociales (notamment dans le foncier rural et avec les syndicats). Ouattara qui refuse de créer les conditions du dialogue avec l’opposition significative et de se pencher sur le cas des victimes de la crise postélectorale n’est pas l’homme d’un nouveau départ.
Kouakou Edmond
Docteur en droit, consultant
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