Par Vincent Duhem – Jeune-Afrique
Toujours en exil, Charles Blé Goudé dénonce le manque de liberté de l’opposition ivoirienne pro-Gbagbo. Et demande des gages d’équité à la justice de son pays pour pouvoir y rentrer librement. Interview.
L’exil qu’il mène depuis plus d’un an ne lui a pas fait perdre le sens de la formule. Si l’ancien cacique du régime de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, se dit prêt à faire face à la justice de son pays, le retour dans la mère-patrie ne semble pas encore à l’ordre du jour. Le « général de la rue » pro-Gbagbo estime pourtant avoir un avenir certain en Côte d’Ivoire, et se démène pour le faire savoir.
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Jeune Afrique : On vous a dit très malade, récemment. Que s’est-il passé et comment allez-vous maintenant ?
Charles Blé Goudé : J’ai eu un problème à la gorge. C’est une réaction due à un changement de rythme de vie radical. Mais grâce à dieu, tout va mieux maintenant. Quel est votre sentiment après l’inculpation de « génocide » émise par la justice ivoirienne contre six proches de Laurent Gbagbo ?
Il va falloir regarder la définition de ce qu’est un génocide et un crime de sang. Je suis curieux de voir ces procès se dérouler pour qu’enfin on sache ce qui s’est réellement passé en Côte d’Ivoire.
Vous avez récemment déclaré être prêt à faire face à la Cour pénale internationale (CPI), ainsi qu’à la justice ivoirienne. Pourquoi alors demeurer en exil ?
Il faut d’abord préciser que je ne suis l’objet d’aucun mandat d’arrêt de la part de la CPI. Je refuse que l’on me présente comme un criminel en fuite, ou un bandit de grands chemins. Mais, dans une philosophie de résistance, j’ai organisé des manifestations aux mains nues, des marches, des meetings. Alors si pour cela, on doit me citer à la CPI, si ma présence peut éclairer l’opinion, je n’y vois pas d’inconvénient. En ce qui concerne la justice ivoirienne, j’attends qu’elle pose un seul acte qui prouve qu’elle œuvre pour tous. Et qu’elle ne soit plus cette justice sélective qui, depuis avril 2011, ne fait qu’inculper les pro-Gbagbo. J’attends que les prisonniers politiques connaissent une justice équitable, que les menaces contre mes proches cessent.
Quand on arrête et torture mes proches, on me montre le sort qui me sera réservé.
Une fois que cela sera fait, je n’aurai aucun problème à mettre fin à mon exil et à me présenter devant la justice de mon pays. Même si, quand on arrête et torture mes proches, on me montre le sort qui me sera réservé.
Avez-vous des contacts avec la CPI ?
Oui. Mon avocat est en contact permanent avec elle. Et selon les échos que j’en ai, la CPI ne s’intéresse pas à moi.
Il y a tout juste un an, vous aviez posé comme condition pour vous livrer et être jugé qu’Alassane Ouattara soit lui aussi confronté à des juges. Est-ce toujours le cas ?
Ce n’est pas à moi de dire la justice. Mais j’estime qu’elle a pour mission de se prononcer de manière équitable pour que chacun réponde de ses actes, et non pas pour protéger les hommes au pouvoir. Le président Gbagbo n’est-il pas à la CPI en tant qu’accusé d’être co-auteur de crimes, parce que des militaires auraient répondu à ses ordres ? N’est-il pas vrai qu’en Côte d’Ivoire, il a été reconnu par toutes les organisations de défense des droits de l’homme que des hommes pro-Ouattara ont tué d’une manière massive des gens à Duékoué ou à Abobo ? Au nom de qui les FRCI ont-ils commis ces actes ? Aux ordres de qui répondaient-ils ? Qui était le chef des Forces nouvelles, dont les crimes de sang ne souffrent d’aucun doute ? Que veut-on savoir en Côte d’Ivoire ? J’ai bien peur que la justice internationale se fasse manipuler.
Pourquoi souhaitez-vous rencontrer Charles Konan Banny en Afrique du Sud ? Êtes-vous prêt à témoigner devant la Commission dialogue vérité et réconciliation ?
Comme je suis un acteur majeur de la crise ivoirienne, mon témoignage est un impératif et un devoir. Je suis donc prêt à rencontrer Charles Konan Banny pour que nous puissions parler de la Côte d’Ivoire, car je suis inquiet pour mon pays.
De quoi est constitué votre quotidien ?
J’ai beaucoup de sujets qui m’occupent. Le matin quand je me réveille, je fais ma prière, puis ma revue de presse, selon les moyens dont je dispose. Je me rends souvent chez des amis qui me permettent d’avoir accès à internet. Je lis et écris beaucoup.
Vous déplacez-vous souvent ? À quelle fréquence ?
Oui. Vous savez, je suis menacé. On me recherche pour me tuer. Des tueurs à gage sont envoyés dans tous les pays où l’on me soupçonne d’être. Et en Côte d’Ivoire, plusieurs membres du Cojep [Congrès panafricain des jeunes et des patriotes, crée par Blé Goudé, NDLR] ont été enlevés. Mais quand des gens comptent sur vous, c’est une raison suffisante pour résister. J’essaye de me déplacer pour résister. Quand on frappe le margouillat, le lézard s’empresse.
Avez-vous des contacts avec des anciens de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’ivoire (Fesci), ou des membres du camp Gbagbo ?
Non. J’ai coupé tout lien et suis dans un endroit où j’estime qu’il n’est pour le moment pas opportun que j’ai des contacts avec qui que ce soit.
Avec Guillaume Soro non plus ?
Non, il n’est pas opportun d’en avoir aujourd’hui. Nous aurons le temps de nous parler quand le moment viendra.
Quel regard portez-vous sur son bilan politique ?
Je ne souhaite pas commenter ce qu’il a fait ou est en train de faire. En politique, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises décisions. Elles sont opportunes ou inopportunes.
Et sur le dialogue politique en Côte d’Ivoire ? Le FPI doit-il continuer de discuter avec le pouvoir ?
Le pouvoir en place veut régner, il a besoin pour cela d’une opposition sous emprise. Je ne veux pas de ça. Je souhaite que la réconciliation se fasse sur la base des règles démocratiques élémentaires qui permettent à l’opposition de s’affirmer. Ce qui n’est pas le cas. Laurent Gbagbo m’a enseigné le dialogue. Mais on ne dialogue pas seul. Est-ce que le pouvoir Ouattara veut vraiment une atmosphère politique détendue ? Est-il prêt à affronter la contradiction ? Je ne pense pas. Le pouvoir en place veut régner, il a besoin pour cela d’une opposition sous emprise. Je ne veux pas de ça.
Pensez-vous avoir un avenir politique en Côte d’Ivoire ? Si oui, où sur l’échiquier politique ?
Tout combat a besoin d’un visage ou d’un nom. Je pense qu’il y a des Ivoiriens qui croient en moi et j’ai encore une partition à jouer en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire post-crise électorale est une Côte d’Ivoire d’alliances. Aucun parti politique ne peut seul remporter des résultats électoraux. Mais cela se fera au moment opportun. Le moment venu, je dirai où je me place mais pour le moment je ne me réclame d’aucune chapelle politique. Une chose est claire : je participerai dans les années à venir à la vie politique de mon pays.
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Propos recueillis par Vincent Duhem
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