Cacao: la Côte-d’Ivoire tiraillée entre réforme d’Etat et certifications privées

Depuis la stabilisation de la situation politique en Côte d’Ivoire, la filière cacao est en plein bouleversement. Tandis que les multinationales misent sur un cacao « certifié » à défaut d’être « équitable », le gouvernement va réintroduire un prix plancher pour les planteurs en octobre 2012. Ces initiatives peuvent-elles s’accorder ?

Fin mai 2012, l’un des principaux vendeurs mondiaux de produits chocolatés, l’Américain Mars annonçait qu’il atteindrait dès cette année 20% de cacao « certifié ». Un mois plus tôt, le fabricant de Nutella Ferrero annonçait le même objectif que celui de Mars pour 2020 : faire certifier 100% de son cacao. Outre l’amélioration des conditions de vie des planteurs et l’objectif de bonne réputation pour les multinationales, la certification vise désormais à augmenter la qualité et la productivité de la filière via des « bonnes pratiques agricoles ». Car l’industrie du chocolat fait face à un risque de pénurie mondiale, évalué par Mars à un million de tonnes de cacao en 2020, en raison de la croissance de la demande en Asie – où le chocolat est vu comme un produit de luxe – et du vieillissement des arbres en Afrique de l’Ouest. Face à ces enjeux, la Côte d’Ivoire reste un fournisseur incontournable, en tant que premier producteur mondial, comptant plus de 800.000 planteurs. Mais les multinationales doivent aussi prendre en compte, depuis novembre 2011, la réforme du secteur décidée par le nouveau gouvernement ivoirien. Une réforme dont les objectifs rejoignent en partie ceux de la certification, mais qui pourrait contrarier plus d’un acteur de la filière.

Certification : la qualité remplace l’équitable

Qu’il s’agisse de Mars, Nestlé, Ferrero ou Barry Callebaut, tous les vendeurs de produits chocolatés s’appuient sur les trois grands systèmes de certification existants en Côte d’Ivoire, à savoir Fair Trade/FLO (le même système que Max Havelaar) et surtout, Rain Forest Alliance et UTZ. C’est d’ailleurs le petit dernier, le Hollandais UTZ qui semble avoir le vent en poupe avec 150.000 planteurs de cacao certifiés dans le monde en 2011, contre 40.000 un an plus tôt. Un tiers, soit 50.000 planteurs, opèrent en Côte d’Ivoire. De fait, un nombre croissant de marques annoncent des produits labélisés UTZ que ce soit les chocolats IKEA et la gamme « Balisto » de Mars en 2011, ou encore Kit Kat de Nestlé en 2014… Même le hard discounter Lidl annonce un chocolat estampillé UTZ pour 2020, en Allemagne. La demande des multinationales est plus élevée que prévue, reconnaît UTZ, dont le système, co-créé par Nestlé, est parfois taxé d’être du « Fairtrade light ».

Outre les aspects sociaux, UTZ met l’accent sur des bonnes pratiques agricoles et environnementales, sensées « améliorer la qualité et la productivité du cacao, deux éléments recherchés par les multinationales », explique Andrea Wilhelmi-Somé, de l’agence du développement allemande GIZ à Abidjan. Mais contrairement au commerce équitable, le système refuse de garantir un prix minimum aux paysans, au motif qu’il risquerait d’augmenter le prix payé par le consommateur final et donc, de cantonner le chocolat certifié à une niche. Un prix minimum que le gouvernement Ouattara a lui décidé de réintroduire dès la saison 2012/2013, avec qui plus est la bénédiction du FMI.

800 000 enfants dans les plantations

L’Etat ivoirien veut un prix minimum pour les planteurs
Lancée en novembre 2011, la réforme de la filière cacao en Côte d’Ivoire vise notamment « le développement d’une économie cacaoyère et caféière durable à travers la réorganisation de la production, l’amélioration de la productivité, (…) et la sécurisation des revenus des producteurs ». Derrière les formules, il s’agit de s’attaquer aux enjeux spécifiques du cacao ivoirien : éradiquer le travail des enfants, qui concernait encore 800.000 enfants en 2009 selon une étude de l’université Tulane, renouveler les arbres âgés sans recourir au défrichage/brûlis, faire cesser la contrebande de cacao vers le Ghana et les barrages routiers mafieux qui prélèvent un droit de passage sur les sacs de fèves… La réforme prévoit d’ors et déjà de garantir aux paysans un prix minimum, égal à 50 ou 60% du prix d’exportation, à partir d’octobre 2012.

« La part du prix final au producteur n’a cessé de baisser, passant de 18% du produit fini en 1960 à 5% aujourd’hui. Cette diminution s’est faite au bénéfice des industries de transformation et de la distribution », écrivait en 2005 un chercheur du Ministère de l’agriculture français . Sept ans plus tard, alors que 40% des Ivoiriens vivent sous le seuil de pauvreté, la part reversée aux paysans n’a probablement pas augmenté, mais le principe du prix garanti est désormais soutenu par le FMI : celui-ci « soutient les principes de la réforme, particulièrement l’accent mis sur l’augmentation de la part des prix mondiaux payés aux fermiers », déclare Tobias Oudejans, « senior press officer » pour l’institution multilatérale.

Du côté des multinationales, aucune n’a pour l’instant commenté officiellement la réforme, bien que Nestlé sur son site web se fasse l’avocat de la « valeur partagée », tandis que Mars annonce vouloir « développer une stratégie globale, qui repose sur un principe directeur, mettre les intérêts des planteurs de cacao au premier plan ». Quant à leurs fournisseurs directs, ces grands exportateurs et/ou broyeurs qui contrôlent le marché mondial, ADM, Cargill, Barry Cannegaut, ils mettent aussi en avant leurs efforts pour améliorer les conditions de vie des planteurs… Enfin du côté des labels, Fair Trade estime que « le principe d’un prix minimum est intéressant et va dans le bon sens », tandis qu’UTZ juge prématuré de s’exprimer sur le sujet.

Un partenariat public privé pour se concerter

Pour coordonner tous les acteurs, le nouvel organe de régulation, le Conseil du Café Cacao de Côte d’Ivoire, lançait le 21 mai dernier un grand partenariat public privé. Il s’agit notamment de répondre à « la faible coordination des actions, au manque de synergie et à la nécessité d’actions concertées », selon sa directrice Massandjé Touré-Litse. Un semaine plus tard, une organisation de planteurs, le Cercle national des producteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire , rendait publique une série de demandes, dont la fin des exemptions de taxes dont bénéficient les grands transformateurs installés dans le pays. Ces subventions représentent « des millions de vaccins et de lits d’hôpital, plusieurs milliers de salles de classe et des milliers de km de route », selon l’organisation paysanne. Le partenariat permettra, peut-être, de répondre à ces demandes.

Thibault Lescuyer
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