LePoint.fr –
Par Claude Imbert
« Heureusement, il n’y a qu’un seul Afghanistan… » C’était le soupir de ceux qui combattirent l’État taliban, antre du terrorisme islamiste. Hélas, voici qu’un second se profile. Cette fois en Afrique, dans son Sahel semi-désertique. Le nomadisme caravanier s’y était, depuis quelques décennies, enrichi de trafics multiples et de rapts d’otages à la barbaresque. Puis, avec la complicité d’États voyous de la côte ouest, du trafic international de la drogue. Enfin donc, l’islam radical met sa patte sur le nord du Mali, arraché à la tutelle débile de Bamako.
Pour le continent noir, cette perspective d’un Afghanistan malien est grosse de menaces. Avant de heurter, ici ou là, l’aire des nations christianisées, l’islam djihadiste, exploitant les séquelles anarchiques de la guerre de Libye, enfonce son coin dans l’islam africain et sa séculaire sagesse. Cette chape vandale, déployée dans le nord du Mali sur Tombouctou – la cité sainte aux 300 000 manuscrits de l’antique civilisation négro-musulmane -, c’est le dernier drapeau noir dans la diaspora des fous d’Allah.
Que le « printemps arabe » ait partout – en Tunisie, Égypte, Libye – viré au « printemps islamiste » inspire à l’Occident, au Maghreb laïque et à toute l’Afrique une inquiétude croissante. Absent de la révolte populaire, l’islam politique y détourne, à son profit, l’éclosion libertaire. Exilés ou emprisonnés par Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, les islamistes s’engouffrent dans le sillage des premières élections libres. La révolution y dévore ses enfants et les pionniers du « printemps arabe », amers et floués, abordent une nouvelle résistance.
En Egypte, pays ruiné, l’armée, par un coup d’État institutionnel et la bienveillance des dollars américains, dispute aux Frères musulmans le pouvoir arraché à Moubarak. En Tunisie, l’islam d’Ennahda et de son président Marzouki balance entre une modération affichée et les raids du salafisme intégriste contre les résistances laïques. Et d’abord celles de la femme tunisienne, la plus libérée de tout l’univers musulman. En Libye, l’anarchie tribale n’a pas encore désarmé. Bref, partout, l’avenir hésite entre un islam modéré, à la turque, et les coups de boutoir de l’intégrisme. Seules l’Algérie militaire et la Syrie de Bachar el-Assad affichent, contre l’islam politique, une violence assumée. Comme on imagine, les massacres syriens ne servent pas, en terre d’islam, la cause laïque…
C’est la confiscation d’une révolte touareg qui offre le nord du Mali au djihad islamiste. Seigneurs du désert, les Touaregs trouvèrent dans les séquelles de la guerre de Libye, ses mercenaires en fuite et ses énormes flux d’armes l’occasion de proclamer, par la dissidence, leur ressentiment de Maliens de seconde zone. Cette dissidence fut d’abord soutenue puis vite confisquée par l’islamisme radical qui, en Afrique, ne prospérait ouvertement que dans le bourbier somalien.
En Afrique de l’Ouest, une de ses factions imposait déjà la charia dans le nord du Nigeria, avec émeutes antichrétiennes. Dans tout le Sahel, l’intégrisme infiltrait prêcheurs et activistes. Le Sénégal, la Mauritanie, le Niger, tous musulmans, s’alarment et s’activent désormais à la reconquête du Mali dépecé. Dans une clandestinité relative, des agents de la CIA, avec drones et avions de reconnaissance, et les services spéciaux français, bridés par le sort de nos otages, en préparent l’assistance logistique.
Cependant, dans le Nord dissident, à Gao ou à Tombouctou, en tragique détresse alimentaire et médicale, la charia voile les femmes et fouette l’adultère sur la place publique. Dans toute l’Afrique, les radios, les télévisions et les palabres des marchés propagent, loin du Sahel, un cortège assourdissant de peurs et de rumeurs.
En première ligne, l’islam noir – ses marabouts et son syncrétisme paisible – réveille sa longue aversion contre l’islam des « esclavagistes arabes » de l’ère pré-coloniale. Il dénonce les libéralités équivoques du messianisme saoudien.
Mais, bien au-delà, les pays – tels le Soudan, le Cameroun ou la Côte d’Ivoire – que traverse une frontière mouvante entre le Sud chrétien et le Nord musulman voient s’attiser des passions assoupies. Exemple : dans le Sud ivoirien, encore fidèle à l’ex-président Gbagbo, détenu au Tribunal international de La Haye, fermente une sourde insubordination au président Ouattara, musulman du Nord suspecté, bien malgré lui, de soutenir la poussée islamiste. Effet pervers : la France s’y voit accusée d’avoir combattu Gbagbo et d’avoir, par la guerre libyenne, contribué à la déstabilisation de l’Afrique…
L’islam est un fleuve immense parcouru de courants adverses. Ils divisent en profondeur le Moyen-Orient entre chiites et sunnites. En Afrique, voici que l’intégrisme infecte la sérénité de l’islam africain. Tortueuse évolution où Allah tarde à reconnaître les siens !
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