La Côte d’Ivoire a été déclarée éligible, le 26 juin dernier, au point d’achèvement, ultime étape de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE). Avec l’obtention de ce point d’achèvement, la Côte d’Ivoire bénéficie d’une annulation du tiers de sa dette extérieure (près de 2500 milliards de FCFA sur environ 6500 milliards de FCFA) par les bailleurs de fonds (FMI, Banque Mondiale, BAD,etc). Le journal l’Inter a interrogé Mamadou Koulibaly, Président d’Audace Institut Afrique, pour éclairer les Ivoiriens sur l’impact de cet allègement sur l’économie du pays.
Que gagne effectivement la Côte d’Ivoire en termes de ressources financières additionnelles?
Le stock d’aide extérieure est diminué de 2500 milliards de FCFA. C’est l’aboutissement d’un programme qui date de 1996. Ceci peut redonner un peu d’espoir aux populations de voir une partie des promesses du gouvernement enfin se réaliser.
Pour les entreprises, l’allègement de la dette va, nous l’espérons, permettre à l’Etat de régler les arriérées de sa dette intérieure car actuellement de nombreuses entreprises privées sont dans l’attente des remboursements alors qu’elles sont écrasées par l’impôt. L’entreprise devrait pourtant être le moteur de la croissance mais l’Etat les étouffe et le chômage augmente.
Les populations, quant-à elles vont peut-être percevoir un peu de progrès dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la sécurité. Les autorités vont peut-être engager les réformes nécessaires dans ces domaines et investir enfin au profit des pauvres qui pour l’instant sont abandonnés dans un pays où la vie est de plus en plus chère et où l’insécurité freine tout.
Autre espoir, les exigences de la Banque mondiale, du FMI et des autres bailleurs de fonds contraignent l’Etat ivoirien à une meilleure gestion : la gestion des finances publiques doit être plus claire ; le système éducatif doit être amélioré ; le gouvernement se doit de publier périodiquement les chiffres de l’évolution de la dette ; une transparence est exigée sur les revenus miniers et pétroliers ; le secteur du cacao doit être réformé et les taxes pesant les producteurs doivent diminuer. Le document de stratégie de sortie de la pauvreté impose une stabilité macro économique. Si réellement l’Etat ivoirien s’engage sur cette voie, ce serait une bonne chose pour tous et nous souhaitons que les bailleurs de fonds veillent à cela sans complaisance. S’ils ne le faisaient pas, avec tout le bruit qui a été fait autour de ce PPTE , les populations savent désormais ce qu’elles sont en droit d’attendre et resteront vigilantes. Elles viennent de gagner un droit de regard sur la gestion de l’Etat et c’est une bonne chose. Elles sont en droit désormais, plus que jamais, d’exiger des comptes aux gouvernants.
Quelles sont les limites du PPTE?
La corruption ambiante et l’incompétence de ceux qui gèrent l’Etat limitent les chances de réussite. En effet, les programmes qui doivent être appliqués maintenant sont plus compliqués que d’ordinaire et les ministres, qui ont été recrutés plus dans un souci de rattrapage ethnique que pour leurs compétences réelles, vont avoir beaucoup de mal à appliquer ces politiques complexes.
L’insécurité est également un frein. Lorsque le bruit des fusils fait fuir le droit, il ne peut y avoir de politique économique efficace. Et c’est le cas également pour la justice. Seuls ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui prétendent avoir raison sur tout et sur tous. Un tel environnement est mauvais pour le programme qui vient d’être octroyé au gouvernement.
Le gaspillage des ressources de l’Etat risque également de limiter l’intérêt du programme PPTE. La taille de l’Etat est énorme. Le nombre de ministères est injustifié et crée d’ailleurs une confusion totale et des conflits de compétences. On ne sait plus qui fait quoi et on finit par tourner en rond sans avancer. Pendant ce temps, la pauvreté augmente. D’une manière générale, la mauvaise gouvernance de l’Etat est un danger car c’est justement l’Etat qui a en charge l’application du programme. Quand on voit les affaires scandaleuses, autour des déchets toxiques et des marchés publics qui éclaboussent plusieurs membres du gouvernement qui restent pourtant impunis. Tout cela ne donne pas confiance en cette équipe. Les Ivoiriens doivent rester très vigilants malgré leur déception.
Quid des 4.500 milliards de FCFA restant?
Même si le PPTE est présenté comme un cadeau, comme une solution, c’est juste un moyen d’assurer la viabilité de la dette. Les efforts restent devant nous car l’encours de la dette reste énorme. Les responsables du FMI ne le cachent d’ailleurs pas lorsqu’ils prévoient même une augmentation à court et moyens termes du service de la dette. En effet, les créanciers privés internationaux qui étaient jusque là marginalisés parce que le pays était insolvable, vont présenter leur créance. Il va falloir faire face également à la dette intérieure (Secteur bancaire et non bancaire, soit près de 2000 milliards de FCFA). Pour donner une image, c’est comme si vous coupiez un pied gangréné pour sauver le corps. C’est bien mais il n’y a pas trop de quoi se réjouir. On espère que la gangrène s’arrête.
Que peuvent attendre les populations de ce PPTE (et à quoi ne doivent-elles pas s’attendre?)
Les populations doivent espérer et veiller aux résultats, cependant, rien ne changera du jour au lendemain. La pluie de milliards ne viendra pas et de nombreuses difficultés sont en vue. L’augmentation du prix de l’électricité pour les entreprises va encore se traduire par des augmentations du coût de la vie. Le panier de la ménagère risque devenir de plus en plus vide malheureusement. Il reste à espérer, comme nous le disions auparavant, que les bailleurs de fonds et la société civile veillent scrupuleusement à l’application des programmes et des mesures de transparence imposés par le programme PPTE pour que le progrès arrive enfin aux populations.
Le PPTE est-il la panacée pour sortir notre économie nationale du gouffre dans lequel il elle se trouve en ce moment (raréfaction de l’argent, cherté de la vie, montée de l’inflation, etc.)?
La Côte d’Ivoire est le 33ème pays à atteindre le point d’achèvement PPTE mais notons que 27 de ces 33 pays sont africains. Nous sommes les derniers pays de l’UEMOA à intégrer le groupe. Nous sommes pourtant supposés en être la locomotive. Ce n’est pas très honorable. Où est le progrès ?
C’est assez étonnant de voir les ministres se réjouir quand on sait que l’on entre dans le club des pays les plus assistés au monde. La Côte d’Ivoire vit de l’aumône internationale et aucun dirigeant, depuis les années 90, n’a été capable de proposer autre chose. La bonne nouvelle, à mes yeux, est que tout cela devrait contribuer à réduire l’arrogance des dirigeants et des élites car l’atteinte de ce point d’achèvement n’est pas une preuve de succès mais un échec flagrant des politiques économiques.
Le PPTE n’est donc pas la panacée mais, si le programme est bien suivi, ça pourrait être un tremplin vers de véritables politiques de recul de la pauvreté. Ces politiques reposent sur la liberté. La liberté permet en effet à la pauvreté de reculer et cela partout dans le monde donc c’est dans ce sens que nous devons aller en ayant l’audace d’engager des réformes de fond.
Il faut réformer le foncier rural et urbain pour que les Ivoiriens disposent de titres de propriété qui leur permettent de s’enrichir en contribuant, par le biais de l’impôt foncier, à améliorer les ressources de l’Etat. Il est inadmissible qu’encore aujourd’hui l’Etat reste propriétaire de la terre en milieu rural. C’est arriéré et fermé. Des réformes profondes s’imposent. Il faut plus de liberté. Et la terre contrairement à ce que dit le code foncier rural doit être commercialisable. Les populations doivent pouvoir la vendre à qui elles veulent et acheter des terres à qui elles veulent. Le code foncier rural de 1998 est contre le progrès du monde rural.
Il faut réformer l’environnement des affaires car aujourd’hui encore c’est une galère terrible de créer une entreprise en Côte d’Ivoire et ça coûte trop cher. Les jeunes entrepreneurs sont pourtant les vecteurs du recul du chômage. Il faut tout faire pour leur faciliter la tâche. Il faut également simplifier l’impôt et les procédures du commerce international de notre pays car les formalités font peur et la pression anéantit le secteur privé industriel et commercial sur lequel devrait reposer une économie saine et efficace.
Le secteur judiciaire aussi devrait être une priorité de réforme car une mauvaise justice fait fuir les investisseurs qui doivent pourtant être nombreux pour créer des emplois.
Les retraites doivent également être libérées de la mauvaise gestion de l’Etat pour que les nouveaux retraités ne se retrouvent plus dans l’insécurité, la pauvreté et la peur.
Il faut oser des réformes sur la monnaie également. Ce qui saute aux yeux, c’est que l’ensemble des pays membres de l’UEMOA de même que trois pays de la CEMAC sur six, sont tous dans le club des PPTE. Cela prouve que le succès est difficile et qu’un contexte encadré par le franc CFA n’est pas nécessairement un gage de succès. Vous remarquerez qu’aucun pays asiatique ne s’est éreinté à courir après le PPTE.
Il est important aussi de pouvoir contrôler le gouvernement car, depuis les indépendances, on voit des présidents forts, issus de tous les partis politiques traditionnels et les affaires de l’Etat vont toujours plus mal. Il faut une gestion transparente pour un meilleur contrôle de l’argent du contribuable. L’adoption d’un régime parlementaire aide à cela et les pays d’Afrique qui ont choisi ce modèle sont plus riches, plus en paix, plus heureux. Cela nous prouve qu’une constitution est un engagement collectif et ainsi un instrument de développement.
Audace Institut Afrique que je préside va, à ce propos, présenter à Abidjan le 19 septembre prochain, l’audit de la liberté économique en Côte d’Ivoire. Cette rencontre permettra d’aborder tous ces sujets de reformes structurelles nécessaires au succès du PPTE, de déterminer ensemble où sont les défis que le pays doit relever pour progresser en sortant du traumatisme de la guerre. C’est une rencontre ouverte à tous, qui n’a rien de politique et qui permettra de proposer des voies de progrès stimulantes adaptées au pays. Les personnes intéressées peuvent s’inscrire dès maintenant sur le site internet de l’institut : http://www.audace-afrique.net
Le président de la république pense qu’avec le PPTE notre pays pourrait, dans 8 ans, devenir un pays émergent. Et vous ne semblez pas inscrire cela dans les attentes que suscite ce programme. Pourquoi ?
Il est curieux que notre pays renonce maintenant au développement et ne semble rechercher que l’émergence économique. Un pays émergent est un pays en développement qui a réussi, par des politiques appropriées, à sortir de la trappe à pauvreté. Pour émerger il faut transformer complètement ses structures de production pour avoir sur place un tissu industriel et commercial (de PME et PMI) capable de recevoir en joint venture des partenaires industriels et commerciaux des pays riches et développés. C’est ainsi que ce pays peut devenir un exportateur significatif de produits industriels. Une telle stratégie industrielle signifierait que le pays a pris des mesures courageuses pour sortir des chasses gardées protectionnistes et pour s’insérer dans les circuits commerciaux internationaux en ouvrant ses marchés. Or, qui dit ouverture des marchés dit place financière active et flexible et abondance de l’épargne par une réforme du système de retraite et une maîtrise du coût de la vie.
C’est à ce prix que l’émergence arrive et se caractérise par un taux de croissance rapide et élevé du PIB pendant plusieurs années consécutives et une réduction effective du nombre de pauvres. L’émergence implique un marché intérieur en expansion.
Comme vous voyez dans les économies qui prennent la voie de l’émergence les structures économiques sont totalement restructurées pour qu’elles offrent à leurs populations des niveaux de vie semblables à ceux des pays développés. Les pays émergents sont des pays dynamiques qui se développent. Et on ne peut vouloir être émergent et mettre en œuvre des politiques qui cultivent non pas l’enrichissement des populations mais leur appauvrissement par la guerre, la précarité et l’exclusion d’une partie des habitants des circuits productifs. Aucun pays émergent n’est passé par le PPTE. Ils ont tous pris les dispositions pour encourager l’investissement direct étranger et la bonne gouvernance. Le PPTE compte moins que les mesures d’accompagnement que nous attendons tous maintenant.
Interview réalisée par ANASSE Anassé, Journal l’INTER
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