Affaire Bettencourt: le juge cherche des preuves contre Nicolas Sarkozy
LE MONDE
Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Le juge Jean-Michel Gentil, qui instruit au tribunal de Bordeaux les différents volets de l’affaire Bettencourt, a mené à Paris, mardi 3 juillet, plusieurs opérations spectaculaires visant Nicolas Sarkozy, ouvertement soupçonné d’avoir été financé illégalement par le couple de milliardaires à l’occasion de sa campagne présidentielle de 2007. Accompagné d’une dizaine de policiers de la brigade financière, le magistrat a conduit dans la matinée plusieurs perquisitions, réalisées en l’absence de l’ex-chef de l’Etat, parti la veille en vacances au Canada.
Une première perquisition l’a conduit au domicile privé de Nicolas Sarkozy et de sa compagne Carla Bruni, villa Montmorency (16e), une deuxième dans les bureaux mis à sa disposition courant juin en tant qu’ancien chef de l’Etat, rue de Miromesnil (8e). Une troisième visite a eu lieu au cabinet d’avocats Arnaud Claude et associés – dans lequel M. Sarkozy détient toujours des parts – dont les statuts ont été saisis.
Les enquêteurs auraient saisi quelques documents, notamment l’original de l’agenda 2007 de l’ancien chef de l’Etat, dont une copie avait été adressée au juge à la mi-juin par son avocat. Me Thierry Herzog avait souhaité anticiper une éventuelle convocation de son client, rendue possible à partir du 16 juin, date à laquelle a pris fin l’immunité rattachée à la fonction présidentielle.
Me Herzog, les opérations de police à peine dévoilées par Le Monde. fr, a violemment réagi dans un communiqué adressé mardi après-midi à l’AFP : « Ces perquisitions, alors qu’avaient été envoyés à ce magistrat, depuis quinze jours, tous les éléments nécessaires, se révéleront être, ce qu’on peut en attendre, des actes inutiles. » L’avocat fait allusion au contenu du fameux agenda, supposé établir « l’impossibilité absolue de prétendus « rendez-vous secrets » avec Mme Liliane Bettencourt ». Le document porte une mention attestant d’une seule rencontre, d’une vingtaine de minutes, entre M. Sarkozy et André Bettencourt, à la date du 24 février 2007.
MOUVEMENTS DE FONDS ET RENDEZ-VOUS
De source proche de l’enquête, on indique que le juge Gentil n’avait guère apprécié l’initiative de M. Sarkozy et la stratégie médiatique l’accompagnant, le magistrat ayant découvert le contenu de la contre-offensive de l’ex-président dans les colonnes du Journal du dimanche, le 17 juin.
Par ailleurs, sur le fond, les enquêteurs semblent estimer que le fameux agenda ne prouve rien, M. Sarkozy ayant pu – surtout s’il avait voulu que cela reste confidentiel – se rendre chez les Bettencourt sans que cela figure sur son agenda officiel. Et le seul rendez-vous du 24 février, dont l’existence n’est pas contestée par M.Sarkozy, suffit à nourrir les soupçons. C’est dans l’espoir de les étayer matériellement que le juge Gentil a décidé de fouiller les bureaux et l’appartement de l’ancien président de la République. Car pour le moment, la mise en cause directe de ce dernier repose essentiellement sur des témoignages.
Le plus embarrassant reste celui de l’ancienne comptable des Bettencourt, Claire Thibout, qui affirme que l’ancien gestionnaire de fortune du couple, Patrice de Maistre, lui avait réclamé au début de l’année 2007 de sortir 150 000 euros en liquide, somme qu’il devait remettre à Eric Woerth afin de contribuer illégalement au financement de la campagne de M. Sarkozy. Elle ne lui aurait remis que 50 000 euros, M. de Maistre prélevant le reste sur un compte suisse. Confortées par des mouvements de fonds et des rendez-vous entre M. Woerth et M. de Maistre, les déclarations de Mme Thibout ont d’ailleurs provoqué la mise en examen des deux hommes.
D’autre part, plusieurs anciens employés ou proches de Liliane et André Bettencourt (décédé en novembre2007) ont donc évoqué diverses visites faites par le candidat Sarkozy au domicile du couple, durant la campagne 2007, au cours desquelles il serait venu réclamer de l’argent (Le Monde du 24mai).
Ainsi, Dominique Gautier, chauffeur de 1994 à 2004, a rapporté au juge, le 8 mars, une confidence de l’ex-gouvernante du couple, Nicole Berger, morte en 2008: « C’était au téléphone. Mlle Berger m’a dit que M. Sarkozy était venu pour un rendez-vous voir Monsieur et Madame très rapidement, et que c’était pour demander des sous. » Claire Thibout, questionnée en septembre2011 sur une remise de fonds à M.Sarkozy, avait, elle, déclaré: « J’ai eu vent de cela. »
Il y a aussi cette annotation trouvée dans le carnet de l’écrivain François-Marie Banier, longtemps familier des Bettencourt. Il rapporte, à la date du 26 avril 2007 – soit à une période évoquée par plusieurs témoins et divers agendas comme pouvant correspondre à une visite de M.Sarkozy, mais aussi au jour où Mme Bettencourt se fit remettre une somme de 400 000 euros – des propos tenus par la milliardaire: « De Maistre m’a dit que Sarkozy m’avait encore demandé de l’argent, j’ai dit oui. » Sans compter les propos de la juge de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez, relatant les dessous du supplément d’information qu’elle eut à conduire, et révélant en août 2011 dans le livre Sarko m’a tuer (éd. Stock) qu’un témoin – qui s’est depuis rétracté – avait confié à sa greffière : « J’ai vu des remises d’espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais pas le dire sur procès-verbal. »
Le juge Gentil va maintenant devoir décider s’il est nécessaire ou non de convoquer l’ancien chef de l’Etat et, dans l’affirmative, sous quel statut : témoin simple, témoin assisté ou mis en examen. M. Sarkozy, désormais justiciable ordinaire, est sous la menace d’autres procédures judiciaires, qu’il s’agisse de l’éventuel financement occulte de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995, apparu dans le volet financier de l’enquête sur l’attentat de Karachi, ou encore dans l’affaire des sondages de l’Elysée.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
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Karachi, Bettencourt, Kadhafi: le citoyen Sarkozy sur la sellette
Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
LeMonde.fr
Pour Nicolas Sarkozy, la perspective est particulièrement désagréable : lui qui avait tant tenu à marquer sa différence avec un Jacques Chirac cerné par les juges risque à son tour, une fois son immunité présidentielle arrivée à son terme – un mois après la fin de son mandat, soit le 15 juin à minuit –, d’être convoqué par des magistrats. Redevenu justiciable ordinaire, M. Sarkozy s’expose en effet, dans les procédures où son nom est cité, à des convocations auxquelles il aurait à répondre en qualité de témoin, de témoin assisté, voire de mis en examen.
Lire « Le statut pénal du chef de l’Etat, mode d’emploi »
Dans la seconde partie de son quinquennat, l’actuel chef de l’Etat a déjà été éclaboussé par plusieurs enquêtes judiciaires qui ont provoqué la mise en cause de nombre de ses proches. Ainsi, dans l’affaire dite des « fadettes », le patron du contre-espionnage Bernard Squarcini et le procureur de Nanterre Philippe Courroye sont poursuivis pour avoir cherché à identifier les sources des journalistes du Monde coupables d’avoir publié des informations gênantes pour le pouvoir dans l’affaire Bettencourt.
> Lire « Les contre-vérités de Sarkozy sur les « fadettes » des journalistes »
Amis de longue date du président, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire sont quant à eux mis en examen dans le volet financier de l’affaire de l’attentat de Karachi – dont on commémore le dixième anniversaire, mardi 8 mai. Quant à Eric Woerth, il a subi le même sort dans le cadre de l’affaire Bettencourt. Ces deux derniers dossiers sont ceux dans lesquels M. Sarkozy ne devrait a priori pas échapper à une convocation.
L’affaire Bettencourt, la plus menaçante à court terme
Dans le volet politique du dossier Bettencourt, instruit à Bordeaux, le président sortant est soupçonné d’avoir été financé illégalement par le couple de milliardaires lors de sa campagne présidentielle de 2007. L’ancienne comptable des Bettencourt, Claire Thibout, a déclaré avoir remis à Patrice de Maistre, alors gestionnaire de fortune, 50000 euros en espèces. Une somme, à en croire Mme Thibout, destinée à Eric Woerth, trésorier de la campagne de M. Sarkozy.
Dans le même dossier, le chef de l’Etat est, plus directement, accusé d’être venu chercher – comme d’autres hommes politiques – de l’argent liquide au domicile de Liliane et André Bettencourt.
> Voir « Le feuilleton Bettencourt en images »
La juge de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez, relatant les dessous du supplément d’information qu’elle eut à conduire, a provoqué un tollé en révélant en août 2011 dans le livre Sarko m’a tuer (éd. Stock) qu’un témoin avait confié à sa greffière: « J’ai vu des remises d’espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais pas le dire sur procès-verbal. » Ses déclarations fracassantes lui ont valu d’être dessaisie du volet « abus de faiblesse » du dossier et une convocation dans le bureau du juge bordelais Jean-Michel Gentil, qui gère désormais les différents aspects de l’affaire.
Le magistrat, qui souhaiterait boucler rapidement son dossier, ne pourra faire l’économie d’une audition de M.Sarkozy, d’autant que d’autres témoignages ou documents ont également évoqué d’éventuelles remises de fonds au profit de l’ancien maire de Neuilly.
Dans une ordonnance du 22 mars, le juge Gentil écrit d’ailleurs, à propos de retraits d’espèces suspects de février et avril 2007 : « Il convient de noter que des témoins attestent d’une visite du ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, au domicile des Bettencourt pendant la campagne électorale de 2007, que des investigations sont donc nécessaires s’agissant de ces premières remises de 2007. »
L’affaire de Karachi, l’ombre du président sortant
Dans l’affaire de Karachi, le juge Renaud Van Ruymbeke qui instruit le volet financier de l’affaire, attend avec impatience les explications de l’actuel chef de l’Etat. Si pour le moment le magistrat n’a pas réuni à l’encontre de l’ancien maire de Neuilly suffisamment d’éléments justifiant une éventuelle mise en examen, son ombre plane sur cette sombre histoire de vente d’armes.
Lire « Affaire de Karachi : l’ombre de Sarkozy »
Le juge semble considérer que les contrats Agosta (la vente de sous-marins au Pakistan) et Sawari II (la cession de frégates à l’Arabie saoudite), conclus en 1994, pourraient avoir donné lieu au versement de rétrocommissions au profit de la campagne présidentielle du premier ministre Edouard Balladur, en 1995. Or, à cette époque, M. Sarkozy était non seulement un acteur de premier plan de la campagne, dont il était le porte-parole, mais il était surtout ministre du budget – qui joue un rôle clé dans les contrats d’armement.
A ce titre, il a notamment validé la création d’une société au Luxembourg, Heine, par où ont transité des commissions suspectes. En janvier2010, la police luxembourgeoise a conclu que les accords sur la création de Heine « semblaient venir directement de M. le premier ministre Balladur et de M. le ministre des finances Nicolas Sarkozy ».
Par ailleurs, l’enquête a confirmé la très grande proximité de l’intermédiaire Ziad Takieddine, au cœur des soupçons de redistribution occulte d’argent, avec l’entourage de M. Sarkozy, Claude Guéant, Jean-François Copé et Brice Hortefeux notamment.
Lire aussi « Comment la justice pourrait traiter la piste libyenne »
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Encadré
Sondages de l’Elysée : un nouveau front judiciaire
Autre dossier menaçant pour Nicolas Sarkozy, l’affaire des sondages de l’Elysée, qui porte sur la convention signée en 2007 par Emmanuelle Mignon, ex-directrice du cabinet du chef de l’Etat, avec la société Publifact de Patrick Buisson, conseiller politique de M. Sarkozy. La dépense engendrée – sans appel d’offres – avait été critiquée par la Cour des comptes. Pour ces faits, M. Sarkozy bénéficie de l’immunité présidentielle. Un débat juridique est en cours pour savoir si « le principe constitutionnel de l’inviolabilité » du chef de l’Etat s’étend à ses collaborateurs. La Cour de cassation doit le trancher dans les mois qui viennent.
Mais un deuxième front juridique s’est ouvert depuis que Raymond Avrillier, maire adjoint (Verts) honoraire de Grenoble, s’est fait communiquer par l’Elysée des factures et des sondages de 2007 à 2009. Il a dénoncé le 4 mai au parquet de Paris des éventuels faits prise illégale d’intérêts. Le nouveau procureur, François Molins, doit dire s’il estime que l’immunité présidentielle s’étend à ses collaborateurs.
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