Depuis la mort de son premier président, Félix Houphouêt-Boigny (décembre 1993), la Côte d’Ivoire est tombée dans une tourmente d’insécurité, jamais observée après quarante (40) ans de stabilité politique et économique. Du putsch du général Robert Guei (1999), qui a emporté le dauphin Henri Konan Bédié à la chute de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011, suite à la crise postélectorale de novembre 2010 en passant par le coup d’état manqué du 19 septembre 2002, muée en rébellion et qui a consacré la partition du pays pendant dix (10) ans, les ivoiriens vivent avec la crainte permanente d’un regain de violence.
Malgré le semblant d’accalmie observé sous le régime des frontistes ivoiriens grâce à la contribution des différents acteurs de la crise militaro-politique au jeu politique (accord de Ouaga, gouvernement d’union nationale…), le pays n’arrive toujours pas à recoller ses morceaux pour parvenir à une paix durable.
Et si les crises précédentes ont été sans trop de casse, celle en cours en Côte d’Ivoire pourrait laisser une tâche indélébile dans la mémoire collective des ivoiriens.
En effet, porté au pouvoir avec le soutien de la communauté internationale, le nouveau président ivoirien, Alassane Ouattara, ne parvient toujours pas à ramener la paix dans son pays. « Il nous reste à gagner la guerre contre l’insécurité » avait dit, le N°1 ivoirien. C’était le mercredi 30 juin dernier, au cours de la 4eme conférence présidentielle « Facing Tomorrow » à Jérusalem en Israël. Et ce n’est pas la commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) qui dira le contraire.
L’impossible réconciliation en Côte d’Ivoire.
Si la nomination de l’ex gouverneur de la BCEAO, Charles Konan Banny, devenu par la force des choses Premier Ministre (2005-2007), comme facilitateur de la crise postélectorale de novembre 2010, est diversement interprétée, nul n’ignore que cette nouvelle « mission » serait délicate, au vue de son contexte et de son but.
Et c’est sans surprise qu’un an après, Banny et son équipe tardent encore à trouver leur marque. La récente sortie d’un de ses proches est la preuve des difficultés que la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) rencontrées sur le terrain. « Je ne peux pas comprendre que pendant que nous travaillons à ramener la confiance entre les uns et les autres, on ait l’impression qu’il y a un bulldozer derrière nous qui efface toutes les traces » avait martelé, Ouattara Karim, conseiller chargé de la jeunesse au sein de la commission. C’était au cours d’une conférence de presse tenue à Abidjan, le jeudi 21 juin 2012.
Selon une récente note secrète sur la situation en Côte d’Ivoire du cabinet de conseil en gestion de crise, prévention des risques de crises hotline et assistance médicale et sécuritaire « Odyssey West africa » dont nous avons eu copie, « la réconciliation nationale est en panne, malgré les efforts du président de la commission dialogue vérité et réconciliation entre les fils et filles de la Côte d’Ivoire (…) Le FPI ancien parti au pouvoir continue de s’exclure de tout dialogue dans le sens de la réconciliation conditionnant sa participation à la libération de son leader charismatique et ancien président de la République M. Laurent Gbagbo ». Aussi décrit la note, face à ce blocage, que de trouver une solution durable « le régime de Ouattara taille une armée, une police et une gendarmerie sur mesure (…) La méfiance est de mise et l’on nomme à tous les postes stratégiques des hommes du Nord du pays (…) C’est parfois impuissant que le ministre de la Défense assiste aux nombreuses exactions et justice punitive des ex FN (force nouvelle ex rébellion) devenus par la force des choses FRCI (…) Aujourd’hui force est de constater et d’admettre que les FRCI qui sont censés être la nouvelle armée ivoirienne font plus penser à une bande armée hors la loi qu’une institution de Défense républicaine ».
Le cabinet conseil, note aussi que « l’alliance RHDP, coalition des partis d’opposition qui a battu le Fpi aux récentes élections présidentielles montre ses premiers signes de désamour ». En effet, décrivent les agents de l’Odyssey West Africa « ces derniers jours, le PDCI lève de plus en plus la voix pour dénoncer la politique ethnique de son allié d’hier et surtout de l’insécurité qui reste une plaie au lendemain de la grave crise postélectorale qui a secoué le pays ».
Toujours pour le cabinet conseil en prévention des risques de crise : « A l’approche du début du procès de l’ex dirigeant ivoirien, il faut s’attendre à un déploiement massif des FRCI, de la police et de la gendarmerie dans les zones acquises à l’ancien dirigeant ; la tension va certainement monter dans les deux camps lors du début du procès » prévient-il et de conclure : « la plus grande vigilance et prudence vous sont recommandés pendant cette période hautement sensible de l’actualité ivoirienne (…) Nous vous rappelons, à toutes fins utiles que le niveau d’alerte de Sécurité de Odyssey West Africa reste au 2 Rouge, compte tenu de l’indice de sécurité qui est à un niveau des plus inquiétants et de la situation socio-sécuritaire qui reste volatile et fragile ».
Enfin, notons qu’à ce jour, les 148 personnes accusées par les procureurs nationaux de crimes commis durant la crise qui a suivi les élections appartiennent ou sont affiliées au régime de l’ancien président Gbagbo. « Ce fait a continué à renforcer encore la vision d’une justice unilatérale et d’une situation d’impunité », note le dernier rapport du Conseil de sécurité des nations unies.
L’Ouest, une poudrière !
Dans son rapport N° S/2012/186 du 29 mars 2012, le secrétaire général sur l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire, décrit une situation des plus alarmantes en matière de sécurisation du pays.
« Si la sécurité s’est améliorée à Abidjan, les menaces s’avèrent plus diffuses et la situation semble s’être dégradée dans d’autres régions du pays où la présence de l’Etat est faible et où les armes prolifèrent. On redoute de plus en plus que les éléments fidèles à l’ancien président Gbagbo, qui avaient fui vers d’autres pays de la sous-région pendant et après la crise, viennent déstabiliser la situation » décrit le rapport et d’ajouter : « La situation reste particulièrement fragile dans l’ouest de la Côte d’Ivoire où la prolifération des armes et la présence d’éléments armés, d’ex-combattants, de milices et de chasseurs dozos ainsi que la lutte pour le contrôle des ressources sont autant de sources importantes d’insécurité (…) Certaines régions demeurent sous la protection des dozos, ce qui accentue l’insécurité ».
En effet, l’ouest de la Côte d’Ivoire, si elle a pu résister à la guerre du Libéria et de la sierra Leone, elle est devenue depuis la crise postélectorale de novembre 2010, une zone à risque. Minées par des ex-combattants libériens venus prêter main forte au régime de Laurent Gbagbo et les milices pro-Ouattara déployées dans la zone, les régions du moyen Cavaly et des 18 Montagnes sont une véritable poudrière.
« On ignore où se trouve les quelque 3 000 combattants étrangers qui étaient rentrés en Côte d’Ivoire pendant la crise en provenance du Libéria principalement. Certains se seraient mêlés à la population des réfugiés. D’autres ne seraient pas rentrés dans leur pays d’origine et seraient restés en Côte d’ivoire ou près de la frontière » rapporte, la commission d’évaluation des Nations Unies en Côte d’ivoire non sans affirmer que « les quelques armes qui ont été découvertes dans la région frontalière ne représenteraient qu’une fraction infime des armes qui y sont cachées ».
Aussi, s’ils étaient 1000 éléments se revendiquant dozos avant la crise, ce sont actuellement 10 000 combattants, prétendus dozos, qui sèmeraient la panique et la confusion parmi les populations locales.
Enfin, selon le rapport, « malgré la volonté politique exprimée aux plus hauts niveaux de l’Etat en Côte d’Ivoire et au Libéria, aucune stratégie nationale n’a jusqu’à présent été élaborée par ces deux pays pour donner une solution plus complète aux problèmes de sécurité aux frontières et à la question des ex-combattants ivoiriens et libériens.
Où est passée la communauté internationale ?
Très active avant, pendant et juste après la crise postélectorale, la communauté internationale est devenue muette depuis peu. Et si le printemps arable, la crise en Libye et au Mali ont volé la vedette à la crise ivoirienne, le changement de régime en France depuis le 6 mai 2012 a considérablement donné un coup de jeunesse aux relations franco-ivoiriennes. La France qui continue d’avoir des relations de bon voisinage avec son ancienne colonie veut désormais conjuguer « la françafrique » au passé. Le récent refus d’envoyer la Licorne aux frontières libériennes est un avertissement.
En effet, selon une source bien introduite, la mort des militaires onusiens à l’ouest de la Côte d’Ivoire, serait dû au refus de la Licorne de prêter main forte aux FRCI, qui ont dû recourir aux forces onusiennes en poste dans la région depuis 2002 et qui finiront par tomber dans une embuscade. Bilan, 146 morts dont une cinquantaine de militaires onusiens selon une autre source, alors qu’il était annoncé seulement 7 soldats onusiens tués.
C’est dans cette atmosphère délétère qu’il est annoncé une visite officielle du président ivoirien, la première depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir, à Paris, pour le mois prochain. Une occasion pour les nouveaux locataires de l’Elysée de clarifier le nouveau type de coopération en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire. « La gauche a tiré les leçons de l’échec de la politique étrangère de la Droite. Avec la crise au Moyen Orient, elle ne veut plus faire de victimes dans les rangs des soldats français. Et si elle a laissé la CEDEAO gérer la crise au Mali, ce n’est pas en Côte d’ivoire qu’elle voudra intervenir » nous confie une source proche du Quai d’Orsay, qui rapporte qu’ils sont de plus en plus nombreux les investisseurs étrangers qui s’inquiètent de la sécurité de leurs affaires en Côte d’Ivoire.
Allons-nous pour la seconde fois vers un blâme de la destination Côte d’Ivoire après le fameux slogan « Côte d’ivoire is back » ?. En tout cas tous les signaux sont au rouge et il y aurait une base raisonnable de penser que ce beau pays deviendra ingouvernable à jamais si rien n’est fait.
Philippe Kouhon
Mail : pkouhon@gmail.com
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