Pour préserver leurs atouts respectifs dans l’avenir, l’Europe et l’Afrique doivent renouveler leur coopération
Par Edgard BOSSOKEN, ingénieur, consultant en politiques publiques énergie – climat
Après avoir subi une crise économique et financière rude en 2008/2009, l’Europe connait actuellement une crise de confiance sans précédent liée à la situation actuelle de ses comptes publics. La plupart des pays de l’Union Européenne connaissent un déficit public et un niveau d’endettement largement supérieur aux niveaux contractuels des accords de Maastricht.
Aujourd’hui, la zone euro toute entière est en pleine tourmente. Les enjeux d’une orthodoxie budgétaire à l’allemande croisent le fer avec une approche française de croissance dans la rigueur budgétaire à expérimenter. Jamais l’Europe n’aura été autant à la croisée des chemins. En plein doute, endettée, en quête d’un équilibre budgétaire et surtout en perte de vitesse de compétitivité (à l’exception près de l’Allemagne) et avec une croissance en berne face à des pays émergents en pleine croissance et pour certains (notamment la Chine) en conquête du leadership mondial. Sans qu’on ne sache vraiment le positionner dans la mondialisation actuelle des économies et bien qu’il demeure dans une reconnaissance marginale, le continent africain, poursuit une profonde transformation lente mais perceptible. Certaines études sont même optimistes.
PourMcKinsey Global Institute, l’Afrique détient aujourd’hui 60% des terres arables et non cultivées dans le monde. En 2020, le continent pourrait atteindre 2600 milliards de dollars de PIB et 1400 milliards de dollars de dépenses de consommation (contre 860 en 2008). L’Institut estime par ailleurs à 1,1 milliards de personnes en âge de travailler à l’horizon 2040 sur le continent. Pour le cabinet REXECODE, à l’horizon 2050, l’espérance de vie pourrait atteindre 69 ans (66 ans pour l’Afrique subsaharienne et 77 ans pour les pays du nord), et la population devrait rester relativement jeune.
Le continent recèle de nombreuses ressources naturelles. En plus du pétrole, il est doté d’abondantes ressources minières. Il détient les plus importantes réserves mondiales d’or, de diamants et surtout de chrome (81% des réserves mondiales), de cobalt (60%) et de manganèse (61%) principalement utilisées dans les alliages d’acier. Il détient 90% des réserves de platine (utilisé dans l’industrie automobile) et de l’uranium (participe à 17% à la production mondiale). Selon les derniers chiffres de l’African Statistical Yearbook, la part de l’Afrique dans le commerce mondial est de l’ordre de 3,2% et la moitié des exportations totales est constituée de produits énergétiques. Il faut noter qu’en 2009, le commerce africain de pétrole brut et de gaz naturel représentait 18% du commerce mondial de ces produits et les principaux partenaires commerciaux de l’Afrique étaient l’Union Européenne à 34% (dont 8,2% pour la France), la Chine à 12,5% et les USA à 12,2%.
Par ailleurs, les économies africaines se sont mieux sorties de la récession mondiale de 2008/2009. La plupart des pays ont connu des plans d’ajustement structurel et de remises de dettes publiques préalables sur de longues années qui les ont préservés d’un déficit budgétaire chronique et d’un fort endettement public. En 2010, le taux de croissance moyen de l’Afrique s’est établi à 4,9%, en progression par rapport à 3,1% en 2009. D’après la Banque Mondiale, boostée par l’exploitation des matières premières lui permettant de participer plus aux échanges mondiaux, la part de l’Afrique dans ces échanges devrait atteindre 6% dans les vingt prochaines années. Les principaux gagnants de cette embellie sont les pays émergents qui représentent désormais 37% du volume du commerce total du continent. Soit le double en valeur nominale en dix ans. Alors que la part des pays européens ne cesse de décroitre.
Cette situation devrait interpeler l’Europe à revisiter son approche du continent Africain Les pays du Sud comptent déjà 850 millions – dont 300 millions en Afrique – de membres de classes moyennes, c’est-à-dire disposant d’un revenu allant de 10 à 100 dollars par jour et par tête en parité de pouvoir d’achat. Ce qui constitue un marché considérable qui croitra inexorablement avec l’amélioration des conditions de vie des populations.
Face à la dynamique que connait le continent africain, la France et avec elle, l’Europe n’ont certainement pas pris la mesure des enjeux d’avenir qui pourraient lier les deux continents. Il est certain que l’évolution dangereuse de mouvements islamistes dans le vaste espace sahélien allant de la Mauritanie au Soudan, la récurrence des crises de famine, le développement de la piraterie dans la corne-est de l’Afrique ainsi que la résurgence de coups d’Etat militaires ou de crises postélectorales, donnent le sentiment d’un continent embourbé dans des difficultés structurelles et insurmontables. Les raisons d’un rapprochement à consolider Nous sommes sans aucun doute à la croisée des chemins des deux continents. L’Europe doit retrouver son équilibre stable dans une économie concurrentielle et mondialisée en pleine mutation. En Europe, les statistiques de population sont tendanciellement à la baisse pour les 20 prochaines années. La compétitivité de son industrie est en perte de vitesse. La fragilité structurelle des finances publiques des économies du sud du continent a fortement réduit ses ambitions de croissance.
L’Afrique pour sa part, doit s’inventer son destin. Elle est restée en marge de la mondialisation du moins elle n’a pas encore su trouver les moyens de peser dans cette mondialisation pour s’assurer une place légitime et incontournable. Et pourtant, comme évoqué plus haut, son potentiel n’a jamais été aussi élevé. Comment ne pas être conforté dans l’idée que l’avenir de l’Afrique tout comme celui de l’Europe, au regard des enjeux actuels de la mondialisation passent par ce rapprochement à conforter ? L’Europe et l’Afrique ont destin lié du fait de leurs proximités historique et géographique.
L’ignorer reviendrait à défaire ce que les deux continents ont contribué à construire avec tant d’efforts et de moyens. Pour y parvenir, je plaide pour un renouvellement de la coopération euro-africaine. Elle doit avant tout, reposer sur de nouveaux fondements procédant plus d’une relation partenariale que d’une approche de solidarité humanitaire. Il est urgent de sortir de ce schéma de pensée qui empêche de concevoir l’avenir en toute objectivité.
D’abord, les processus d’intégration régionale ou continentale bien qu’imparfaits jusqu’alors doivent être poursuivis afin de constituer des blocs pertinents pour la prise de décision et la conduite de négociation ou d’actions. Ces entités constituent le niveau où des politiques cohérentes d’investissement peuvent être engagées pour assurer d’une part le désenclavement des territoires et le développement des activités économiques et d’autre part, la promotion d’équipements de biens collectifs de nature sociale, sanitaire et environnementale. Elles permettent de mutualiser les moyens d’action et de partager leurs bénéfices de manière raisonnée. C’est probablement sur la base d’investissements de cette nature que pourraient être totalement refondés les accords de partenariat entre l’Afrique et l’Union Européenne. Ces accords pourraient à ce niveau, trouver toute leur pertinence. Ils permettraient aux Africains de trouver des moyens de financer des investissements structurants en empruntant collectivement à des taux hors marché.
Le rapprochement entre l’Afrique et l’Europe pourrait être conforté à travers la coopération décentralisée. L’efficacité des systèmes de gouvernance repose dans la plupart des pays du monde dans la capacité des collectivités locales, en proximité des attentes de leurs populations à développer et à aménager leur territoire en prenant des initiatives locales efficaces et complémentaires de l’Etat central ou fédéral. L’Afrique doit poursuivre cet effort de décentralisation et là encore les accords de partenariat entre les deux continents doivent être consolidés et devraient permettre un rapprochement vertueux. Enfin, je plaide pour la consolidation des rapports des deux à travers le renforcement de capacité humaine et notamment en portant sur l’investissement en capital humain. L’Afrique regorge de potentiels individuels et collectifs qui ne demandent qu’à être mobilisés pour soutenir et renforcer le développement du continent. La formation des femmes et des hommes et la sauvegarde d’options pour la jeunesse en sont la clé. Conforter le partenariat entre les continents passe par des accords de coopération universitaire et de formation professionnelle à redéfinir. Cette logique participe de l’implication effective des populations dans les processus d’intégration des Etats. L’Europe comme l’Afrique possèdent des sociétés civiles de mieux en mieux organisées et capables de participer à la formulation des stratégies locales, nationales voire supranationales de développement. Elles élaborent et promeuvent désormais des actions qui sont des réponses pertinentes et opérationnelles adaptées aux besoins des populations. Aussi ces actions pourraient être éligibles, sous certaines conditions, aux concours de fonds institutionnels dont une partie leur serait dédiée. Cette pratique est à même d’instiller quelques innovations susceptibles de renouveler et de dynamiser les actions issues des accords de partenariat. Elle traduit plus le besoin du peuple, des hommes que celui des institutions en mettant l’accent sur l’importance de la coopération spécifique et substantielle en tant que fondement d’un partenariat élargi. Les peuples de part et d’autre, mieux impliqués dans l’édification d’ensemble supranationaux, en comprendraient le sens tout en contribuant substantiellement à leur prise sur le réel.
Bâtir de nouveaux accords de partenariat Europe – Afrique devient une nécessité objective et impérieuse pour deux continents qui devraient conjuguer leurs efforts dans une relation gagnante à terme pour l’un comme pour l’autre. C’est certainement aujourd’hui, dans un monde en pleine mutation qu’il faut oser reconsidérer cette relation entre deux partenaires qui doivent rechercher un équilibre dans un ordre mondial nouveau qui s’écrit en nos jours.
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