Entrée en Bourse de Facebook, le directeur financier au centre du fiasco ?

Le directeur financier de Facebook a augmenté de 25 % le nombre de titres émis

Le Monde.fr

Le directeur financier de Facebook a fait cavalier seul lorsqu’il a décidé d’émettre 25 % plus d’actions pour l’entrée en Bourse du champion des réseaux sociaux, une initiative qui pourrait expliquer le fiasco de l’opération, rapporte mercredi la presse américaine.

David Ebersman, 41 ans, a gardé “une forte emprise” sur toutes les décisions importantes prises lors du processus, “ne consultant pas ses banquiers comme le font beaucoup de sociétés”, écrit le Wall Street Journal sur son site Internet. La décision du “CFO” (chief financial officer) d’augmenter le nombre de titres pourrait avoir “condamné” à l’échec l’entrée en Bourse du site communautaire, affirme le journal, disant avoir interviewé plus d’une douzaine de personnes impliquées dans le processus.

LES PLAINTES EN NOM COLLECTIF SE MULTIPLIENT

Lancé en Bourse vendredi à 38 dollars, le titre “FB” a perdu près de 20 % sur les trois premières séances de cotation, même s’il a regagné 3,23 % à 32 dollars mercredi. Selon le WSJ, M. Ebersman avait pour “principal confident” le co-directeur des opérations bancaires liées au domaine technologique de Morgan Stanley, Michael Grimes. Le quotidien financier explique que ce dernier l’avait assuré que la demande en actions Facebook était forte… ce qui n’a finalement pas été le cas.

Morgan Stanley, en tête des banques organisatrices, s’était défendue mardi d’avoir averti seulement certains gros actionnaires de l’abaissement des prévisions de résultats du site aux 900 millions d’utilisateurs. Elle avait affirmé avoir respecté toutes les procédures habituelles et légales.
Face à la déception suscitée par cette entrée en Bourse très attendue, les plaintes en nom collectif d’actionnaires mécontents se sont multipliées mercredi, visant à la fois le réseau communautaire, ses banques et la plateforme boursière Nasdaq. La commission bancaire du Sénat américain a annoncé de son côté qu’elle allait ouvrir une enquête informelle sur l’affaire.

Avant l'entrée en Bourse de Facebook, vendredi 18 mai. | REUTERS/KEITH BEDFORD

Facebook: le ratage pourrait tourner au scandale

LE MONDE |

Par Sylvain Cypel (New-York, correspondant)

Pour la troisième fois en trois jours d’existence, l’action Facebook a chuté à Wall Street (de 8,90 %).

L’entrée en Bourse de Facebook est déjà un échec financier. Va-t-elle tourner au scandale judiciaire ? La question se pose, au vu des événements survenus mardi 22 mai. Pour la troisième fois en trois jours d’existence, l’action Facebook a chuté à Wall Street (de 8,90 %). Introduite vendredi à 38 dollars (30 euros) par le consortium bancaire chargé de la mise sur le marché – opération que les banquiers appellent IPO, pour Initial Public Offering -, et proposée à la vente à 42,05 dollars, elle a clôturé mardi à 31 dollars. Soit une chute de 26,3 %, par rapport au premier prix proposé aux investisseurs.

Il n’en fallait pas plus pour que les marchés découvrent avec une innocence confondante que Facebook était vraisemblablement survalorisé, que son “modèle économique” restait à préciser, que sa croissance, jusqu’ici effrénée, ne pouvait plus dès lors que décélérer, que sa stratégie dans la téléphonie mobile (premier vecteur de connexion au réseau) était très floue et sa capacité à engranger des recettes publicitaires loin d’être démontrée…

Quant à Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, il est la risée de Wall Street: “Avec son ego, il était obnubilé par l’idée de dépasser les 100 milliards de valorisation, rien d’autre ne comptait”, y entend-on.

Au-delà de ces questions, la mise en Bourse de Facebook pose aujourd’hui des questions sur la manière dont l’opération s’est déroulée. “Il y a toutes les raisons d’avoir confiance en nos marchés et en leur intégrité, mais, concernant Facebook, il y a des questions que nous devons regarder plus spécifiquement”, estime Mary Schapiro, la présidente de la Securities & Exchange Commission (superviseur des Bourses américaines). Et d’annoncer une enquête.

La Financial Industry Regulatory Authority, principale administration fédérale de contrôle du secteur bancaire et financier, s’intéresse aussi de très près aux conditions dans lesquelles l’IPO s’est déroulée.

L’Etat du Massachusetts a, pour sa part, assigné la banque d’affaires Morgan Stanley, le chef de file du consortium de 33 institutions financières qui ont géré l’opération de mise en Bourse de 16 milliards de dollars, pour qu’elle réponde de la façon dont elle a informé les investisseurs.

Le directeur financier de Facebook, David Ebersman, devra répondre à nombre de questions. Tout comme le Nasdaq, qui voyait dans l’arrivée du réseau social l’occasion de s’affirmer comme le lieu de cotation de toutes les firmes high-tech, pas seulement des “jeunes pousses”. Et qui devra justifier les ratés de son système informatique qui ont perturbé l’opération.

Mais c’est Morgan Stanley, plus que tout autre, qui est désormais soupçonné, au mieux d’incompétence, au pire de tromperie. La banque d’affaires, qui souhaitait asseoir sa primauté dans la gestion des IPO de valeurs technologiques, se voit reprocher d’avoir largement surestimé la valeur boursière de Facebook. Elle a “surjoué l’enthousiasme et mal lu l’état d’esprit réel des marchés”, juge Keith Wirtz, directeur des investissements d’une société de gestion d’actifs, Fifth Third Asset Management.

Dans ce type d’opérations, les banques sont juge et partie. Elles évaluent l’entreprise, le prix de l’action et le volume de titres mis en vente, et elles sont rémunérées en fonction de la capitalisation boursière qu’elles promettent à leur client. Dans le cas Facebook, Morgan Stanley n’a pas lésiné sur les moyens pour gonfler celle-ci.

L’action, dont le prix d’introduction en Bourse avait d’abord été fixé à 28 dollars, a été réévaluée à 34 puis à 38 dollars. Et, à la veille de la cotation, le nombre d’actions mises sur le marché a été augmenté de 25 %, aidé par un “buzz” très favorable entretenu par Facebook et ses banquiers.

“ILS ONT TOUT FOIRÉ”

Prix trop élevé, volume d’actions trop important… “Ils ont tout foiré. L’offre aurait dû être moitié moindre et la clôture se serait faite à 45 dollars” le premier jour, clamait lundi Michael Pachter, analyste du conseil en investissements Wedbush Securities. Pour nombre de ses confrères, si le prix et le volume des actions avaient été maintenus au premier niveau prévu (28 dollars), avec le même résultat obtenu le premier jour (34 dollars), chacun aurait conclu à une réussite, et le titre n’aurait ensuite pas plongé.

Cette erreur était-elle évitable ? C’est là qu’intervient le soupçon, dès lors que Morgan Stanley aurait disposé d’informations qui auraient dû l’alerter. Selon des sources encore anonymes, plusieurs analystes de la banque – dont Scott Devitt, spécialiste du secteur de l’Internet – auraient fait valoir à leurs supérieurs, dans les jours précédant l’IPO, qu’à leur avis, la banque survalorisait Facebook.

M. Devitt, en particulier, pronostiquait une croissance du chiffre d’affaires du réseau social en 2012 inférieure aux estimations fournies aux investisseurs. D’autres indiquaient que les prévisions de bénéfices au second trimestre avaient reculé de 5 %. Des inquiétudes similaires seraient apparues chez Goldman Sachs et JPMorgan, également banques conseil de Facebook.

La direction de Morgan Stanley et le directeur financier de Facebook auraient minoré ces alertes et mis une forte pression pour que les investisseurs n’en sachent rien. Seuls quelques clients privilégiés auraient été informés des craintes des analystes.

Pourtant, indique une source proche du dossier dans l’une des banques chargées de l’introduction en Bourse, Facebook aurait demandé, le 9 mai, à Morgan Stanley de “revoir ses modèles à la baisse”. On ne sait pas à ce jour qui chez Facebook aurait effectué cette démarche, ni quels analystes auraient été contactés.

On sait en revanche que ce jour-là, l’entreprise a enregistré auprès de l’autorité des marchés financiers américains un amendement à son prospectus d’introduction en Bourse, qui incluait une mise en garde à propos des revenus publicitaires sur le mobile : ils risquaient de ne pas être à la hauteur des attentes. Ce document était consultable et public.

Autre interrogation : pourquoi avoir poussé à augmenter fortement le volume des actions proposé alors que des indices concordants montraient que des investisseurs institutionnels amorçaient un mouvement de repli ? Face à une demande bien plus faible que prévu, la banque interviendra le premier jour pour éviter que le cours ne descende sous son niveau initial de cotation.

Si les enquêtes démontrent que Morgan Stanley a sciemment maintenu un cours d’introduction artificiellement haut et placé un volume d’actions trop important, s’il s’avère, pire encore, qu’elle a fourni à des clients des informations cachées à d’autres, le scandale pourrait être retentissant. En attendant, Morgan Stanley percevra 67,8 millions de dollars de commission. Mardi, la banque s’est contentée d’un communiqué lapidaire : les “procédures ont été conformes aux règles en vigueur”.

Sylvain Cypel (New-York, correspondant)

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